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Le microbiote : quand les microorganismes interagissent avec les animaux et les végétaux

L’avènement des nouvelles techniques de séquençage à haut débit donne aujourd’hui accès au génome complet d’une multitude de microorganismes – virus, bactéries, champignons, parasites – vivant au sein des animaux ou aux alentours des racines des plantes. En cela, il est impossible de passer à côté de l’immense diversité des communautés microbiennes. De plus, leur étude met en lumière les innombrables effets de ces êtres vivants microscopiques sur les organismes qu’ils côtoient.

Le microbiote se définit comme étant l’ensemble des microorganismes commensaux, vivant dans un environnement spécifique, que ce soit dans une lumière intestinale ou encore dans la zone à proximité des racines des plantes appelée rhizosphère.

C’est à partir de ces deux exemples que seront soulignées les étroites interactions entre les microorganismes avec les animaux et les végétaux, et leur incontestable utilité à la vie des individus qui les hébergent.

Le microbiote animal : exemple du microbiote intestinal de l’Homme

Figure 1. Photographie en microscopie à fluorescence mettant en évidence la flore intestinale commensale (en rouge) juxtaposée à l’épithélium intestinal (en vert) (crédit photo : T. Pédron/Inserm).

Figure 1. Photographie en microscopie à fluorescence mettant en évidence la flore intestinale commensale (en rouge) juxtaposée à l’épithélium intestinal (en vert) (crédit photo : T. Pédron/Inserm).

Le microbiote intestinal, ou flore intestinale, se constitue de différents microorganismes, principalement des bactéries, colonisant l’intestin des Hommes (fig. 1). Par exemple, chez un individu, il est dénombré près de 1014 bactéries dans le tractus intestinal. En comparaison, un Homme est formé d’environ 1013 cellules : soit dix fois moins de cellules animales que de microorganismes !

L’étude du microbiote intestinal a pendant longtemps été peu active du fait notamment des difficultés de culture des microorganismes le constituant. Toutefois, depuis peu, le progrès en biologie moléculaire a permis de s’affranchir des contraintes de culture pour découvrir le microbiote et en décrire son importante diversité.

Les microorganismes, dont les bactéries, sont généralement perçus comme étant néfastes pour la santé humaine. Ces bactéries sont malheureusement associées, à tort, à des pathogènes. Or, une grande majorité d’entre elles sont utiles voire indispensables aux diverses fonctions d’un individu.

Pour en comprendre ces bénéfices, il faut tout d’abord commencer par étudier la composition du microbiote intestinal.

Comment étudier et décrire la composition du microbiote intestinal chez l’Homme ?

Outils d’étude et composition du microbiote intestinal de l’Homme

Figure 2. Stratégies d'identification bactérienne et d'exploration métagénomique par clonage et séquençage de grands fragments d'ADN génomique (illustration : E. Force, d’après Dauga et al., 2005).

Figure 2. Stratégies d'identification bactérienne et d'exploration métagénomique par clonage et séquençage de grands fragments d'ADN génomique (illustration : E. Force, d’après Dauga et al., 2005).

Plusieurs méthodes de détermination du microbiote intestinal existent (fig. 2). Ces dernières consistent principalement en la détermination de la séquence des ARNr 16S bactériens. En effet, avec la généralisation des techniques de séquençage à haut débit, il est possible de séquencer directement une région du gène codant pour l’ARNr 16S, et déterminer par la suite la composition du microbiote avec une grande précision (genre et parfois même espèce).

De plus, il est aussi possible de s’intéresser à l’ensemble de l’ADN microbiens par les diverses approches métagénomiques (fig. 2). Ces approches permettent de déterminer les gènes microbiens composant le microbiote et conduit à une meilleure caractérisation des microorganismes.

Plus récemment, de nouvelles approches ont été élaborées avec notamment une approche métatranscriptomique. Elles permettent de séquencer les ARN microbien et amènent à l’obtention d’un inventaire des gènes microbiens transcrits à un temps donné. Plus largement, il est également possible d’étudier le protéome ou encore le métabolome des organismes constituant le microbiote. Ces techniques consistent respectivement en l’étude de l’ensemble des protéines et des métabolites des microorganismes.

De ces diverses études, en ressort une composition très diversifiée du microbiote intestinal. En effet, chaque individu humain adulte abrite environ un millier d’espèces bactériennes différentes au sein de son intestin.

Figure 3. Composition et densité moyenne du microbiote intestinal chez l’Homme (illustration : E. Force, d’après Dave et al., 2012). CFU : unité formant colonie.

Figure 3. Composition et densité moyenne du microbiote intestinal chez l’Homme (illustration : E. Force, d’après Dave et al., 2012). CFU : unité formant colonie.

On remarque que la densité bactérienne est à son maximum au niveau du côlon distal avec environ 1012 bactéries par gramme de contenus (fig. 3). Aussi, l’étude des espèces dominantes constituant le microbiote d’un individu montre que celles-ci lui sont propres. Toutefois, des analyses plus précises, notamment des analyses en taxa par grands groupes phylogénétiques voire par genres, mettent en lumière l’existence d’entités récurrentes et visibles chez tous les individus (fig. 3). Il s’agit entre autres des groupes Firmicutes, Bacteroidetes et Actinobacteria. En détails, le groupe des Firmicutes est composé de bactéries Gram + dont les genres Eubacterium, Clostridium, Ruminococcus et Butyrovibrio. Le phylum des Bacteroides comporte les genres Bacteroides, Prevotella ainsi que Porphyromonas. Puis, le phylum des Actinobacteria regroupe les Bifidobactéries et les bactéries des genres Collinsella et Atopobium. Enfin, quelques Entérobactéries sont constatées dans le microbiote intestinal, tout comme certaines bactéries bien connues : Lactobacillus et Streptococcus.

Il est certes possible de dégager quelques caractéristiques très conservées en termes de composition au niveau des groupes phylogénétiques, cependant au niveau des espèces, cela est plus difficile. En effet, le microbiote d’un individu semble lui être propre. Des données récentes de métagénomique confirment ceci.

Quant à l'origine de ce microbiote intestinal, il s’établit après la naissance de l'individu. Comment se met-il en place ?

L’établissement du microbiote intestinal chez l’Homme

Lors de la naissance d’un nourrisson, une recherche de bactéries au sein de l’intestin montre que ce dernier en est totalement dépourvu. Cela indique que le microbiote intestinal s’établit après la naissance de l’individu. Dès lors, une colonisation microbienne débute et suit plusieurs étapes, dépendantes de différents facteurs endogènes et exogènes. Les facteurs exogènes comprennent l’exposition de l’individu aux microorganismes d’origine maternelle (microbiotes fécal, vaginal et cutané), environnementale ainsi qu’alimentaire. En effet, récemment, il a été montré que certaines bactéries constitutives du microbiote intestinal provenaient du lait maternel. De ce fait, même si le lait est collecté de façon aseptique, celui-ci n’est pas stérile. Concernant les facteurs endogènes, diverses sécrétions intestinales et produits des tout premiers microorganismes colonisateurs façonnent la physicochimie de la lumière intestinale à l’origine de l’installation d’autres microorganismes.

L’établissement du microbiote intestinal se fait selon une chronologie précise. Premièrement, tout de suite après la naissance, les bactéries anaérobies facultatives colonisent l’intestin. La consommation de l’oxygène du milieu par ces premières bactéries permet l’installation de bactéries anaérobies strictes. Ensuite, des interactions antagonistes prennent progressivement place amenant alors à un microbiote stable sur le plan fonctionnel à l’âge de 3 ans environ.

Une fois le microbiote mis en place, si les conditions environnementales ne sont pas modifiées, la composition en grands groupe bactériens, vue précédemment, est stable dans le temps. Cependant, il n’est pas rare que le microbiote intestinal connaisse des changements de sa composition lors d’infections intestinales, de prises d’antibiotiques ou encore à la suite d’une modification du régime alimentaire.

Quel que soit la diversité des microorganismes à l’origine du microbiote intestinal, celui-ci possède des fonctions globalement conservées chez l’Homme.

Le microbiote intestinal de l’Homme et ses fonctions

Figure 4. Les principales fonctions du microbiote intestinal chez l’Homme (illustration : E. Force).

Figure 4. Les principales fonctions du microbiote intestinal chez l’Homme (illustration : E. Force).

Le microbiote intestinal présente des effets physiologiques bénéfiques. Parmi les principales fonctions du microbiote (fig. 4), la fermentation des substrats disponibles au niveau du côlon ainsi que le rôle de barrière à la colonisation par des microorganismes pathogènes en sont d’illustres exemples.

Les fonctions de protection et de barrière ante-immune

L’établissement du microbiote intestinal fait office de barrière ayant un effet protecteur à la fois contre les bactéries pathogènes exogènes mais aussi contre les bactéries présentes dans l’intestin en faible quantité et potentiellement dangereuses si leur biomasse venait à augmenter. Cette fonction de barrière se caractérise par divers mécanismes : la compétition pour les nutriments et les sites épithéliaux entre des bactéries pathogènes, et des bactéries commensales plus adaptées au milieu intestinal. Aussi, on peut citer la production, par les cellules épithéliales, de peptides antimicrobiens au rôle fondamental dans la défense contre les agents pathogènes. Cette production est notamment induite par le microbiote intestinal. D’ailleurs, les bactéries commensales produisent également des bactériocines aux propriétés antibiotiques. Le microbiote intestinal favorise la production des IgA sécrétoires et renforce les jonctions serrées entre les cellules épithéliales.

Le microbiote intestinal et ses fonctions immunitaires

La découverte des fonctions immunitaires du microbiote intestinal provient d’études faites à partir de Souris dites axéniques, sans microbiote intestinal, en comparaison avec des Souris dites conventionnelles possédant un microbiote normal. Ces diverses études ont conclu sur le rôle primordial du microbiote dans l’établissement, le développement et la maturation du système immunitaire. En effet, les Souris axéniques ont de multiples anomalies du système immunitaire : hypoplasie des plaques de Peyer, nombre de lymphocytes intraépithéliaux réduit, déficit en certaines populations de lymphocytes T, sécrétions intestinales d’IgA amoindrie, concentration en immunoglobulines sériques ainsi que production de cytokines limitées, etc. Plus largement, les altérations du système immunitaire ne se cantonnent pas au seul épithélium intestinal mais à l’organisme dans son ensemble. Par exemple, les Souris axéniques montrent une rate et des ganglions lymphatiques non structurés avec des zones lymphocytaires atrophiées. Néanmoins, ces divers déficits du système immunitaire peuvent être corrigés, en quelques semaines, par inoculation d’un microbiote intestinal de Souris conventionnelle. Cette réversibilité peut s’expliquer par l’action de certaines bactéries stimulant d’une part les lymphocytes Th17 intestinaux et d’autre part les lymphocytes T régulateurs (Treg), indispensables au maintien de l’homéostasie intestinale.

            Les fonctions métaboliques du microbiote intestinal

Le microbiote intestinal agit sur le métabolisme de son hébergeur en favorisant la transformation et l’assimilation de divers composés glucidiques, protéiques ainsi que lipidiques.

Figure 5. Rôles du microbiote intestinal dans le métabolisme des glucides (illustration : E. Force). La taille des différents objets biologiques n’est pas respectée par soucis de visibilité.

Figure 5. Rôles du microbiote intestinal dans le métabolisme des glucides (illustration : E. Force). La taille des différents objets biologiques n’est pas respectée par soucis de visibilité.

Différents groupes bactériens agissent sur le métabolisme glucidique. En effet, ces bactéries participent à la dégradation anaérobie des différents substrats de nature glucidique. Ces bactéries possèdent des activités complémentaires permettant l’établissement de chaines trophiques indispensables à la transformation des polyosides en métabolites secondaires (fig. 5). Des bactéries dites fibrolytiques participent à l’hydrolyse de polymères glucidiques en fragments de plus petite taille. Ces bactéries comportent des enzymes hydrolytiques, comme des glycosidases, que l’Homme ne possède pas. S’ensuit l’action de bactéries glycolytiques transformant les oses produits. Plus précisément, une grande partie des bactéries commensales pratiquent la glycolyse pour convertir les glucides en pyruvate, lui-même métabolisé en produits finaux de la fermentation : acétate, propionate et butyrate. Cependant, d’autres bactéries forment des métabolites intermédiaires comme le lactate, le formate ou encore le succinate, qui sont alors convertis en produits finaux de la fermentation. Ces derniers – acétate, propionate et butyrate – sont des acides gras à chaine courte. Ils sont absorbés par l’épithélium colique et transformés localement ainsi qu’à distance. Ces métabolites apportent l’énergie nécessaire et favorisent l’absorption colique du sodium : l’acétate intègre la circulation sanguine et apporte de l’énergie à l’ensemble de l’organisme ; le butyrate est le principal nutriment des colonocytes et participe à l’immunomodulation locale (stimulation des lymphocytes T régulateurs dans la muqueuse intestinale).

Outre le métabolisme des glucides, le microbiote exerce aussi une activité sur le métabolisme des protéines.

Figure 6. Rôles du microbiote intestinal dans le métabolisme des protéines (illustration : E. Force). La taille des différents objets biologiques n’est pas respectée par soucis de visibilité.

Figure 6. Rôles du microbiote intestinal dans le métabolisme des protéines (illustration : E. Force). La taille des différents objets biologiques n’est pas respectée par soucis de visibilité.

Dans le côlon, les protéines sont la principale source d’azote. Les bactéries coliques sont dotées d’enzymes permettant d’hydrolyser les protéines pour disposer de l’azote et du carbone indispensables à leur fonctionnement. Bon nombre de bactéries coliques dispose d’une activité protéasique libérant des peptides à partir des protéines (fig. 6). Ces derniers sont directement transformés par d’autres bactéries fournissant ainsi des acides aminés au milieu, utilisés par la suite par des bactéries ne pouvant pas assimiler les peptides. Aussi, les acides aminés peuvent être utilisés à des fins énergétiques en tant que source d’azote. Pour ce faire, les bactéries utilisent la voie réductrice de désamination. Cette voie métabolique aboutit à la production d’acides gras à chaine courte tels l’acétate, le propionate et le byturate, mais aussi d’ammoniac et de nombreux autres composés : phénols, acides dicarboxyliques, acides gras ramifiés.  En détails, les composés phénoliques sont absorbés et détoxifiés par les cellules coliques, et par la suite excrétés dans les urines. L’ammoniac, quant à lui, est aussi absorbé par les colonocytes. Il circule alors dans le sang et emprunte la circulation portale pour atteindre le foie, organe dans lequel l’ammoniac est métabolisé en urée et ensuite éliminé par voie urinaire.

La synthèse protéique du microbiote est stimulée par la fermentation des glucides de ces mêmes bactéries. Un lien étroit entre les métabolismes glucidique et protéique existe. En parallèle, une troisième voie métabolique est utilisée par les bactéries du microbiote intestinal : il s’agit du métabolisme des lipides.

Figure 7. Rôles du microbiote intestinal dans le métabolisme des lipides (illustration : E. Force). La taille des différents objets biologiques n’est pas respectée par soucis de visibilité.

Figure 7. Rôles du microbiote intestinal dans le métabolisme des lipides (illustration : E. Force). La taille des différents objets biologiques n’est pas respectée par soucis de visibilité.

Les lipides transformés lors du métabolisme bactérien proviennent du tractus intestinal, de la desquamation des cellules épithéliales coliques ainsi que des bactéries elles-mêmes. En effet, les acides gras non utilisés dans l’intestin grêle sont par la suite métabolisés au niveau du côlon. Par exemple, le cholestérol colique provient pour la majeure partie de la bile et, en moindre quantité, de l’alimentation et de la desquamation des cellules épithéliales intestinales. Ce cholestérol est transformé en coprostanol (fig. 7). Ce métabolite n’est pas absorbé par l’organisme et est éliminé dans les fèces. En détails, la bile se compose d’acides biliaires produit lors du métabolisme du cholestérol par le foie. 95% de ces acides sécrétés dans la bile sont réabsorbés au niveau de l’intestin grêle et transportés au foie par la circulation sanguine. Les 5% restant parviennent au côlon et sont transformés par les bactéries du microbiote. Ils se forment des acides biliaires dits secondaires. L’acide cholique et chénodésoxycholique (acides biliaires primaires) sont transformés, par le microbiote, en acides lithocholique et désoxycholique (acides biliaires secondaires). Aussi, les hormones stéroïdes et certains xénobiotiques empruntent les mêmes voies métaboliques avec les étapes de conjugaison hépatique, déconjugaison bactérienne colique et circulation entérohépatique.

Hommes et bactéries : une histoire symbiotique

À l’entente du mot « bactérie », l’Homme présente souvent une peur virant parfois à l’absurde. Certes, quelques bactéries causent de graves maladies, mais l’écrasante majorité des microorganismes qui nous entourent et nous habitent est inoffensive, voire nous est même indispensable. L’étude du microbiote intestinal en est un excellent exemple : les bactéries prélèvent, dans la lumière intestinale, des nutriments nécessaires à leur fonctionnement et en libèrent d’autres bénéfiques à l’hébergeur.

Cette étroite association n’est pas statique, elle subit des modifications au cours du temps. Les communautés bactériennes peuplant l’intestin d’un individu peuvent connaitre un changement de leur composition selon le régime alimentaire de celui-ci. Aussi, les bactéries peuvent échanger des petites molécules d’ADN circulaire, ou plasmides, les unes avec les autres leur permettant de résister à un environnement changeant lors d’une prise d’antibiotiques par exemple. Ainsi, tout un réseau d’interactions dynamiques entre les bactéries et notre organisme est établi, procurant un bénéfice réciproque incontestable. C’est pourquoi il est important de prendre soin des quelques 1013 microorganismes peuplant notre corps.

Outre ces diverses interactions possibles entre les microorganismes et les animaux, il existe aussi de nombreuses relations entre les plantes et les microorganismes, notamment au niveau des feuilles, des racines et des graines.

Le microbiote des plantes : exemple de la rhizosphère

Les plantes, tout comme les animaux, établissent d’étroites relations avec les microorganismes. En effet, ces dernières ne poussent pas dans un environnement axénique ou stérile. Elles abritent dans leurs tissus, ainsi qu’aux alentours de leurs racines, moultes bactéries et champignons.

Figure 8. Photographie en microscopie optique d’une coupe transversale de rhizome fossile d’Aglaophyton de Rhynie (A) et détail au niveau de deux cellules (B) (crédit photo : F. Le Tacon & M.-A. Selosse).

Figure 8. Photographie en microscopie optique d’une coupe transversale de rhizome fossile d’Aglaophyton de Rhynie (A) et détail au niveau de deux cellules (B) (crédit photo : F. Le Tacon & M.-A. Selosse).

Ces interactions semblent s’établir dès l’apparition des végétaux dans les milieux aquatiques et plus certainement lors de la colonisation des écosystèmes terrestres par les plantes à partir du milieu de l’Ordovicien (475 Ma). En effet, au sein de la flore ancestrale de Rhynie, datée à 410 Ma environ, a été retrouvé des traces fossilisées d’interactions étroites entre un champignon et un rhizome de plante terrestre (fig. 8). Ainsi, cette longue évolution des plantes et des microorganismes a conduit à la formation de relations entre ces êtres vivants, allant de la symbiose stricte à des interactions aux bénéfices constatés, en passant par des relations néfastes avec des microorganismes hétérotrophes comme la prédation et le parasitisme entre autres.

Néanmoins, toutes ces interactions contribuent à la nutrition ainsi qu’au développement des plantes et microorganismes. C’est ce que nous allons aborder dès à présent en nous intéressant plus particulièrement à la zone avoisinant les racines des plantes : la rhizosphère.

La communauté microbienne de la rhizosphère

La rhizosphère représente un milieu favorable à la colonisation par des bactéries. Toutefois, la répartition de ces dernières n’est pas aléatoire dans le sol. En effet, le sol est un milieu hétérogène agissant comme un filtre qui permet l’installation à certains microorganismes seulement. Ces filtres environnementaux reposent sur la physicochimie ou bien la teneur en nutriments qui détermine la possibilité à des microorganismes de s’installer dans la rhizosphère. Aussi, des filtres biotiques entrent en jeu dans ce processus de colonisation bactérienne de la rhizosphère : il s’agit de l’affinité des microorganismes pour la plante en question, et de diverses interactions établies entre les microorganismes eux-mêmes (compétition, etc.).

Une fois les microorganismes établis au sein de la rhizosphère, ceux-ci peuvent alors interagir avec la plante selon des modalités plus ou moins fortes. La diffusion des produits photosynthétiques de la plante dans le sol conduit à une spatialisation de la ressource nutritive libérée par la plante. Cela amène à une spéciation des microorganismes selon leur position dans la rhizosphère et selon l’utilisation des photosynthétats. En conséquence, il est possible de distinguer des microorganismes symbiotiques, situés à l’intérieur ou à la surface des racines, des microorganismes non symbiotiques ou libres, présents au niveau du sol dans la rhizosphère.

La rhizosphère est donc un milieu dynamique et structuré. Elle abrite une importante communauté de microorganismes, tous interagissent de diverses façons avec la plante, mais aussi entre-eux. Au sein de cette communauté microbienne, des microorganismes se distinguent par leur effet sur la plante, qu’ils soient bénéfiques ou non pour cette dernière.

Plante et microorganismes symbiotiques

La plante structure la communauté microbienne aux alentours de ses racines. Certaines sont même totalement dépendantes des microorganismes pour leur nutrition et leur croissance : cela concerne environ 20 000 espèces de plantes sur les 300 000 espèces connues. Cette dépendance implique la mise en place de systèmes de reconnaissance et de fonctionnement entre les microorganismes et la plante. Ces systèmes sont régulés et permettent une association étroite entre les différents acteurs.

Figure 9. Les différentes étapes de l’établissement de la symbiose rhizobienne (illustration : E. Force).

Figure 9. Les différentes étapes de l’établissement de la symbiose rhizobienne (illustration : E. Force).

La mise en place de la symbiose rhizobienne (fig. 9) se décline en trois grandes étapes. Une première étape dite pré-symbiotique durant laquelle les symbiontes s’associent après la reconnaissance de molécules diffusibles. S’ensuit la pénétration des bactéries dans les tissus de la plante. Cette seconde étape montre également une initiation des divisions cellulaires corticales de la plante. Enfin, une organogenèse nodulaire a lieu : il y a établissement d’un nouvel organe dédié à une nutrition azotée pour la plante.

Comment s’établie la reconnaissance de certains microorganismes par la plante et en quoi l’édification d’un nouvel organe est-elle bénéfique aux organismes ?

            L’étape pré-symbiotique

Figure 10. Dialogue moléculaire entre une bactérie rhizobienne et une plante (illustration : E. Force). Les échelles ne sont pas respectées.

Figure 10. Dialogue moléculaire entre une bactérie rhizobienne et une plante (illustration : E. Force). Les échelles ne sont pas respectées.

L’établissement d’une symbiose rhizobienne débute par une interaction étroite entre les rhizobia et la plante, en particulier des Fabacées. Cette interaction consiste en un dialogue moléculaire entre les deux organismes (fig. 10). Un tel dialogue moléculaire se voit élaboré lorsque la plante connait une carence en azote. Ainsi, la plante diffuse dans la rhizosphère des composés phénoliques, en l’occurrence des flavonoïdes, reconnus par les rhizobia présents aux alentours des racines de la plante. Chez les bactéries, ces molécules activent une voie de biosynthèse d’une autre molécule appelée facteur Nod. Ce dernier est en retour perçu par la plante et permet les premières réponses cytologiques ainsi que moléculaires au niveau de la racine. En effet, une première réponse cytologique consiste en la déformation des poils absorbants. S’ensuit la pénétration des bactéries au sein des tissus végétaux.

            La pénétration des rhizobia et l’initiation des divisions corticales

La pénétration des bactéries au sein de la plante est permise par la fixation des rhizobia à la surface des poils absorbants. À la suite de cette fixation, quelques bactéries sont piégées par la déformation des poils prenant alors la forme de crosses de berger. Dans le même temps, les bactéries se divisent activement et attaquent la paroi des poils absorbants par l’action d’enzymes pariétales. Les bactéries commencent leur pénétration par invagination de la membrane plasmique des cellules végétales. Se forme ainsi un cordon d’infection progressant dans les tissus végétaux. Il reste toutefois délimité par la membrane plasmique des cellules végétales qu’il traverse. En parallèle de la pénétration des rhizobia au sein de la plante, des divisions corticales sont initiées au niveau du cortex racinaire. Ces divisions sont impliquées dans la formation du primordium nodulaire.

Le développement nodulaire

L’aboutissement de la symbiose rhizobienne se caractéristique par l’organogenèse nodulaire. Celle-ci consiste au développement d’un organe racinaire unique, le nodule, dédié à la fixation de l’azote. Pour ce faire, les bactéries ayant pénétré au sein de la plante se différencient en bactéroïdes. Ces microorganismes possèdent un équipement enzymatique permettant l’assimilation de l’azote atmosphérique, transformés ensuite en ammonium et distribué à la plante hôte.

En quoi cette étroite association profite-elle aux symbiontes ?

La symbiose rhizobienne et ses bénéfices réciproques

Figure 11. Modalités de la coopération entre le bactéroïde et la plante (illustration : E. Force). Les échelles ne sont pas respectées.

Figure 11. Modalités de la coopération entre le bactéroïde et la plante (illustration : E. Force). Les échelles ne sont pas respectées.

Cette symbiose rhizobienne présente des effets bénéfiques pour les organismes impliqués. En effet, les rhizobia fournissent à la plante des éléments nutritifs indispensables à sa croissance. En temps normal, sans association étroite avec des bactéries, ces éléments sont limitants du fait des trop faibles quantités absorbées par rapport aux besoins de l’organisme végétal. L’établissement d’une symbiose avec les bactéries rhizobiennes permet à la plante un approvisionnement considérable en azote estimé entre 20 et 80% des ressources azotées prélevées par la plante (fig. 11).

Outre des fonctions nutritives, ces interactions symbiotiques stimulent les mécanismes de défenses des plantes contre divers agresseurs. De plus, certains minéraux dissous et présents dans le sol sont toxiques lorsque qu’ils sont prélevés en trop forte quantité. En effet, les métaux lourds tels le Cadmium ou le Plomb sont nocifs pour les végétaux. Pour pallier ce problème, certains microorganismes peuvent accumuler et dégrader ces éléments, diminuant ainsi la toxicité pour la plante.

Ainsi, l’ensemble de ces interactions étroites entre les microorganismes et les plantes joue sur la répartition des communautés végétales. La compétition pour les nutriments est un facteur notable dans la structuration d’une communauté végétale. Sachant que les microorganismes impactent la nutrition des végétaux, ils ont de ce fait un rôle important dans l'établissement des communautés végétales : ils peuvent intervenir sur l’aptitude compétitrice de la plante, ou encore modifier les interactions entre les végétaux. Aussi, les microorganismes symbiotiques participent à la diversité des communautés végétales. Par exemple, celle-ci est augmentée de 34% lorsque les plantes sont en association avec des rhizobia.

Par ailleurs, d’autres interactions non symbiotiques peuvent exister entre la plante et les microorganismes.

Les microorganismes non symbiotiques et la plante

Les produits issus de la photosynthèse non utilisés par la plante ou par les microorganismes symbiotiques, peuvent alors être absorbés par des microorganismes non symbiotiques. Ces derniers décomposent et minéralisent les photosynthétats. Les composés ainsi formés sont soit assimilés par la plante soit stockés par ces microorganismes.

Les microorganismes non symbotiques apportent également des bénéfices à la plante. En effet, le stockage de l’azote par ces microorganismes limite les pertes de cet élément par lessivage des sols, le maintenant ainsi à disposition des végétaux. De plus, au sein d’écosystèmes pauvres en azote, les communautés microbiennes accumulent cet élément lors de la senescence de la plante courant l’automne. L’azote est stocké tout l’hiver puis libéré et rendu accessible par la plante dès la venue du printemps. Par ailleurs, les microorganismes non symbiotiques jouent également un rôle protecteur des plantes. Ceci se réalise principalement par la production d’antibiotiques. Par exemple, Pseudomonas fluorescens est une bactérie productrice d’antibiotiques conférant à la plante, en l’occurrence le Radis (Raphanus sativus), une défense contre d’autres microorganismes pathogènes (ici les champignons du genre Fusarium). Aussi, cette protection de la plante par les microorganismes peut se faire par l’établissement d’interactions entre les microorganismes comme la compétition : P. fluorescens entre en compétition pour le fer avec d’autres microorganismes pathogènes. Enfin, le rôle protecteur des microorganismes non symbiotiques peut se caractériser par la sécrétion de biosurfactants et de diverses enzymes dégradant les membranes de microorganismes pathogènes pour la plante.

Quand certains microorganismes non symbiotiques ont des effets positifs sur la plante, d’autres agissent en défaveur de la plante. En somme, qu’ils soient mutalistes ou parasites, les microorganismes non symbiotiques de la rhizosphère influencent la diversité et la composition des communautés végétales. Cela passe par une modification du potentiel adaptatif des plantes au milieu abiotique et même biotique.

Figure 12. Les interactions mutualistes entre la plante et les microorganismes et entre les microorganismes eux-mêmes au sein de la rhizosphère (illustration : E. Force).

Figure 12. Les interactions mutualistes entre la plante et les microorganismes et entre les microorganismes eux-mêmes au sein de la rhizosphère (illustration : E. Force).

Pour résumer (fig. 12), la plante réalise la photosynthèse (1) et une partie des photosynthétats produits sont fournis aux microorganismes symbiotiques (2). En échange, ces derniers distribuent des nutriments à la plante comme l’azote par exemple (3). Le reste des produits issus de la photosynthèse sont libérés dans le sol par rhizodéposition (4) et sont ainsi accessibles par les microorganismes non symbiotiques. En retour, ces microorganismes dégradent la matière organique (5) au sein de la rhizosphère ou dans le sol nu (6). De plus, la matière organique végétale disponible après la mort de la plante est aussi consommée par les microorganismes non symbiotiques (7). De cela, sont libérés des nutriments disponibles pour les autres plantes encore vivantes (8). Enfin, il existe également des interactions entre les microorganismes eux-mêmes (9), pouvant impacter les relations plantes-microorganismes.

 

En conclusion, la biologie moléculaire a permis une révolution dans l’étude du microbiote, tant chez les animaux que chez les végétaux. Les études sur la diversité des microorganismes attirent l’attention sur le fait que la grande diversité du vivant est microbienne. D’ailleurs, cela montre les limites du concept d’organisme animal ou végétal. En effet, ces animaux et végétaux ne peuvent vivre sans la grande diversité des microorganismes qui les habitent. Il n'est alors pas abusif de définir un holobionte comme un ensemble constitué par un organisme et les microorganismes qu'il héberge. Cet holobionte forme un écosystème complexe façonnant à la fois l’hôte et ses microorganismes. Cependant, cette nouvelle notion peut se confronter à une limite : celle de l’importance des interactions qui constituent l’holobionte. Ainsi, le vivant est fait d’entités, mais surtout, des multiples liens entre elles.

 

Bibliographie et sitographie

Baudin M.. Structure et fonction des complexes protéiques impliquant les facteurs de transcription NF-Y au cours de l'interaction symbiotique entre Medicago truncatula et Sinorhizobium meliloti. Thèse de l’université de Toulouse III – Paul Sabatier, 2014.

Ben Ytzhak L. & Pigenet Y.. Microbiote : des bactéries qui nous veulent du bien [en ligne]. CNRS Le journal, 2014, [consulté le 1 janvier 2021]. Disponibilité et accès sur : https://lejournal.cnrs.fr/articles/microbiote-des-bacteries-qui-nous-veulent-du-bien

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