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La conception biologique du plaisir

Les sentiments de bien-être et de contentement dépendent de sensations ou d’émotions agréables, sources de plaisir. Cette définition du plaisir s’oppose à la souffrance ou à la douleur. De plus, le plaisir est généralement associé à la satisfaction d’un besoin ou d’un désir.

 

Le plaisir n’est pas restreint à une seule acception. En effet, il est possible de caractériser plusieurs gammes de plaisirs :

  • Le plaisir des sens, le plus commun des plaisirs naturels, fait partie des plaisirs dits viscéraux. Ce plaisir s’accompagne de la satisfaction de besoins physiques, qu’ils soient alimentaires, sexuels, etc., et est associé au fonctionnement des appareils végétatifs et de relation des organismes.
  • Le plaisir moral ou plaisir social répond à un besoin psychique. Il est associé aux satisfactions d’amour, d’amitié, de pouvoir et de reconnaissance sociale.
  • Le plaisir esthétique et le plaisir intellectuel peuvent être associés à l’activité cérébrale. Ces plaisirs naissent d’activités culturelles telles la peinture, la musique, la lecture ou encore de toutes activités ludiques. Ces plaisirs sont assimilés au plaisir de penser comme cela peut être le cas lors d’une interrogation philosophique sur la notion de plaisir ou lors de la découverte d’une nouvelle fonction biologique par exemple.

 

Un dernier plaisir existe. Il s’agit du plaisir artificiel, provoqué par la consommation de substances dites toxicomanogènes comme les drogues. Ce type de plaisir ne sera pas traité dans cet article.

 

Quelle est la source biologique du plaisir ? Où et comment se font la perception et l’intégration des sensations et émotions agréables à l’origine du plaisir ?  Et, quels sont les formes d’expressions du plaisir ?

 

La découverte du circuit de la récompense

 

La compréhension et la localisation d’une partie des mécanismes du plaisir ont été mis en évidence par Olds et Milner en 1954 lors de l’étude du comportement d’autostimulation.

Figure 1. A : schéma du montage expérimental de Olds et Milner en 1954 (illustration : E. Force) ; B : photo du dispositif expérimental appliqué à un Rat (crédit photo : Olds et Milner, 1954).

Figure 1. A : schéma du montage expérimental de Olds et Milner en 1954 (illustration : E. Force) ; B : photo du dispositif expérimental appliqué à un Rat (crédit photo : Olds et Milner, 1954).

Le protocole expérimental repose sur le positionnement d’une électrode de stimulation électrique dans l’hypothalamus latéral du cerveau d’un Rat (fig. 1). En détails, le Rat peut activer l’électrode de stimulation électrique par le biais d’un levier placé dans la cage de ce dernier (fig. 1). Par la suite, le Rat sollicitera le levier, jusqu’à épuisement, afin de pratiquer l’autostimulation.

Figure 2. Coupe schématique du cerveau humain en vue latérale (illustration : E. Force).

Figure 2. Coupe schématique du cerveau humain en vue latérale (illustration : E. Force).

De cette expérience, a été mis en évidence la prépondérance de certains centres nerveux dans l’obtention du plaisir. En effet, les régions découvertes : le faisceau médian du télencéphale, l’aire tegmentale ventrale, le noyau accumbens, l’amygdale et le septum entre autres, ont été identifiées comme appartenant au circuit de la récompense (fig. 2).

 

Cette expérience fut reproduite chez plusieurs autres organismes, tous des Vertébrés. Il a été constaté les mêmes effets que chez le Rat, à savoir une activation du levier jusqu’à épuisement dans le but de pratiquer l’autostimulation. Aussi, ceci a été expérimenté chez l’Homme. Les stimulations effectuées à des fins thérapeutiques ont suscité une impression d’aise et un sentiment de joie, poussant le patient à demander sa répétition.

 

D’autres expériences, aux protocoles peu différents de l’expérimentation précédente, montrent de légères variations dans la localisation de la zone d’autostimulation. Celles-ci ne changent pas la sensation de plaisir mais provoquent une modification des comportements associés. En effet, lors d’une stimulation de l’aire septale ou septum, la sensation de plaisir se voit accompagnée d’un calme, alors que, la sollicitation de la bandelette longitudinale médiane renforce probablement l’excitation et la réactivité de l’individu.

 

Ces diverses expériences confirment d’autres études antérieures. Ces études ont mis en évidence une hypoactivité lors d’autostimulations des aires du système limbique. En revanche, des autostimulations du faisceau médian du télencéphale ont montré une hyperactivité du système limbique.

 

Afin d’expliquer la présence de ces deux comportements, Stein et Belluzzi proposa en 1978 l’existence de deux formes de plaisir. Un premier plaisir, incitatif, renforcerait l’initiative et l’activité, ce qui est favorable à l’élévation du niveau d’excitation ; et un second plaisir serait ressenti à l’issu de la satisfaction, c’est-à-dire dans un contexte de diminution de l’excitation, de détente et de calme. Somme toute, le plaisir pourrait ainsi accompagner aussi bien la diminution que l’augmentation des niveaux d’excitation et d’activité.

 

Comment les aires impliquées dans le circuit de la récompense communiquent-elles entre-elles ?

 

Le circuit de la récompense et la dopamine

 

Suite à l’utilisation de substances inhibitrices de la fonction dopaminergique qui interrompent les conduites d’autostimulations - alors que les stimulants dopaminergiques favorisent un tel comportement - Wise montra en 1978 l’existence d’un lien entre la dopamine et le circuit de la récompense. Plus tard, d’autres auteurs ont pu préciser les structures cérébrales impliquées dans le circuit de la récompense avec notamment des travaux sur les divers mécanismes de l’addiction. C’est ainsi que Di Chiara et Imperato ont démontré en 1988 que les substances addictives tels les opiacés, la cocaïne, la nicotine ou encore l’alcool, avaient un point commun : celui de stimuler la fonction dopaminergique mésencéphalique et d’augmenter le niveau de dopamine dans le noyau accumbens.

Figure 3. Coupe schématique du cerveau humain en vue latérale et figuration des voies intervenant dans le circuit de la récompense (illustration : E. Force).

Figure 3. Coupe schématique du cerveau humain en vue latérale et figuration des voies intervenant dans le circuit de la récompense (illustration : E. Force).

Les mécanismes d’action du circuit de la récompense reposent sur l’interaction de la voie descendante du faisceau médian du télencéphale avec la voie dopaminergique méso-limbique ascendante (fig. 3). D’autres voies descendantes et ascendantes interviennent dans les mécanismes d’action du circuit de la récompense mais ne seront pas ici détaillées.

 

Plus spécifiquement, tout commence par la détection d’un contexte de récompense effectuée par le cortex préfrontal. Ces entrées sensorielles permettent ensuite l’activation des fibres descendantes du faisceau médian du télencéphale. Celles-ci vont stimuler les neurones à dopamine de l’aire tegmentale ventrale. Cette excitation provoque, par des projections axonales ascendantes, une libération de dopamine dans le noyau accumbens, l’aire tegmentale ventrale, l’amygdale et dans le cortex préfrontal. En dernier lieu, le noyau accumbens permet l’expression de comportements suscités par les récompenses attendues via la communication de messages nerveux par des motoneurones.

 

Cependant, la transmission des informations nerveuses au sein du circuit de la récompense ne se résume pas à la seule libération de dopamine par certains neurones dits dopaminergiques. D’autres neurotransmetteurs tels des monoamines et des opioïdes endogènes interviennent dans le circuit de la récompense. D’ailleurs, ces neurotransmetteurs possèdent des effets sur les neurones dopaminergiques.

 

Des travaux à propos du rôle de la dopamine dans le circuit de récompense, effectués par Schultz et al. en 1997, montrent l’existence d’un niveau de base dans l’activité des neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale et de la substance noire. De plus, la présence de signaux précurseurs de plaisir provoque une activation rapide des neurones à dopamine à l’origine d’un dépassement du niveau de base. Toutefois, suite à des signaux précurseurs de plaisir et en absence de récompense attendue, une diminution rapide et en dessous du niveau de base de l’activité des neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale et de la substance noire est engendrée. Cette réponse traduit ainsi la sensation de frustration. En somme, le seuil de fluctuation de dopamine au niveau de ces aires cérébrales est à l’origine du plaisir ou du déplaisir. Le plaisir n’est pas seulement le résultat d’une récompense due à une satisfaction, mais est le fruit de son anticipation. En effet, la pensée de satisfaction, à elle seule, active les mécanismes du plaisir et renforce de ce fait la motivation de l’individu à atteindre celle-ci.

 

Quelles sont les différentes formes d’expression du plaisir ?

 

Les formes d’expression du circuit de la récompense

 

Les formes d’expression du circuit de la récompense peuvent se décrire selon deux modalités. Pour commencer, une première expression du circuit de la récompense est motivationnelle. En effet, la dimension incitative liée au plaisir est prévalente. L’initiative et toutes activités pouvant procurer une récompense renforcent positivement le plaisir.

 

Puis, une seconde modalité est liée à l’impact hédonique. Autrement dit, la recherche de plaisir peut amener au plaisir lui-même. Cette modalité intervient dans un contexte de détente et de calme. La satisfaction est accompagnée du plaisir, prenant ainsi une valeur de gratification.

 

Le plaisir peut inciter à l’action. Il tend à renforcer les prédispositions à agir, notamment lors de perspectives appétitives ou aversives : peur et colère par exemple.

 

 

Pour conclure, les multiples expérimentations à propos de la conception biologique du plaisir ont permis de mettre en évidence la présence de plusieurs centres nerveux intervenant dans le circuit de la récompense. Chacun d’entre eux est impliqué dans des situations précises : la stimulation de l’aire tegmentale ventrale est génératrice de sensation de plaisir et de satisfaction. Alors que, la stimulation de l’amygdale provoque des sensations de peur ou d’agressivité conduisant à la fuite ou au combat.

 

De plus, au sein du circuit de la récompense, la transmission des informations se fait par libération de neurotransmetteurs dont la dopamine. Outre la complexité de son mode d’action, la dopamine est un médiateur chimique fondamental du circuit de la récompense. En effet, cette molécule médit les émotions d’excitation, de plaisir ainsi que de désir.

 

Aussi, le plaisir n’est pas limité par la sensation hédonique perçue à l’issue d’une satisfaction. Le plaisir agit comme facteur d’incitation à l’action. Tout comme d’autres émotions, il est une source de motivation. Le plaisir amène à des comportements d’appétence. À l’inverse, le déplaisir conduit à éviter les actions menant à quelconques dangers.

 

Des substances toxicomanogènes comme la nicotine, l’alcool et les drogues sont source d’un plaisir artificiel. Elles agissent sur le circuit mésocortico-limbique en provoquant la libération massive de dopamine au niveau du noyau accumbens. Plusieurs études s’intéressent aujourd’hui au lien éventuel entre la dépendance, la procuration de plaisir et la quantité de dopamine libérée dans le circuit de la récompense suite à la prise de telles substances.

 

Bibliographie et sitographie

Beaudin S.. Découverte du circuit de la récompense : Olds & Milner, 1954. In Plateforme ACCES [en ligne]. Institut français de l’éducation, [consulté le 11 août 2020]. Disponibilité et accès sur : http://acces.ens-lyon.fr/acces/thematiques/neurosciences/actualisation-des-connaissances/circuit-de-la-recompense/contenus-et-figures-activites-pedagogiques/images-relatives-a-lactivite-pedagogique/experience-de-olds-milner-1954

 

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