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Les écosystèmes à travers le temps : des systèmes dynamiques

Les écosystèmes sont définis par de multiples interactions au sein des êtres vivants ainsi qu’entre les organismes et leur milieu. Par ailleurs, ces interactions ne sont pas constantes dans l’espace et dans le temps. En effet, elles fluctuent selon les conditions abiotiques d’une part et selon les conditions biotiques d’autre part. Toute espèce modifie son environnement par sa seule présence et par le prélèvement de ressources nécessaires à son développement et à sa reproduction. De plus, certains organismes aux traits comportementaux particuliers modifient activement leur milieu de vie pour en tirer des bénéfices, et ce, généralement au profit d’autres espèces : il s’agit d’espèces dites ingénieures comme le Castor, la Vache, le Lombric ou le Termite. Ainsi, chacune des espèces influe sur les conditions de vie des autres organismes. De ce fait, les écosystèmes sont des ensembles dynamiques composés de nombreux sous-systèmes. Aussi, ces écosystèmes tendent vers une complexité structurale optimale eu égard aux facteurs biotiques. Des changements naturels ou d’origine humaine peuvent faire évoluer l’état des écosystèmes d’une manière plus ou moins réversible.

L’ensemble de ces considérations laisse penser que des écosystèmes figés ne peuvent pas être concevables. Ceci est d’ailleurs confirmé par l’observation de la transformation progressive des écosystèmes dans le temps, faisant l’objet de cet article.

Les successions temporelles, des évolutions progressives des écosystèmes

Les stades de végétation et leur succession

Figure 1. Exemple d’une succession végétale. A : prairie native ; B : prairie mature (crédits photos : E. Force).

Figure 1. Exemple d’une succession végétale. A : prairie native ; B : prairie mature (crédits photos : E. Force).

Les écosystèmes terrestres connaissent différents stades de végétation se succédant dans le temps, tel qu’il est possible de l’observer dans le cas d’un écosystème prairial. En effet, sur une surface nue, une végétation dite pionnière s’installe. Celle-ci comprend des lichens, des Bryophytes ainsi que des Angiospermes annuelles ou bisannuelles. Ces espèces sont à stratégie "r", elles produisent une descendance nombreuse à croissance rapide en compensation de leur importante mortalité. Une prairie native apparaît (fig. 1A). Par ailleurs, les premières communautés végétales contribuent à former un sol. Après plusieurs années, les espèces végétales occupent une plus large aire géographique pour donner une pelouse. Cette dernière laisse ensuite place à une prairie mature (fig. 1B).

Figure 2. Exemple d’une succession végétale. A : lande à Genêts ; B : forêt de Hêtres et Épicéas (crédits photos : E. Force).

Figure 2. Exemple d’une succession végétale. A : lande à Genêts ; B : forêt de Hêtres et Épicéas (crédits photos : E. Force).

S’ensuit une augmentation du nombre de strates verticales par le développement d’arbustes et de buissons à l’origine d’une lande (fig. 2A). Celle-ci traduit la maturation d’un peuplement sur une dizaine d’années environ pour les climats tempérés. Par la suite, des arbres s’installent progressivement, conduisant au passage d’une lande arborée à une forêt, et ce, sur plusieurs dizaines d’années (fig. 2B). C’est ainsi qu’un stade mature métastable dans le temps est atteint ; on parle également de stade climacique. Par ailleurs, cette évolution de la végétation s’accompagne d’une évolution du sol et de la faune.

Schéma récapitulatif d’une succession écologie progressive (illustration : E. Force).

Schéma récapitulatif d’une succession écologie progressive (illustration : E. Force).

L’évolution des caractéristiques des stades successifs

Les caractéristiques écosystémiques connaissent aussi des variations au cours d’une succession écologique. En effet, la richesse spécifique tend à augmenter et les relations interspécifiques se complexifient. Quant aux niches écologiques, celles-ci se diversifient : la proportion des espèces à stratégie "K" (caractérisées par une durée de vie longue et une reproduction rare et tardive) augmente. La biomasse s’accroit en suivant une loi dite logistique. La production est à son maximum aux stades juvéniles, cependant elle diminue pour devenir égale aux pertes cataboliques. De plus, au sein des stades climaciques, les pertes cataboliques sont autant élevées que la production brute, alors que la production nette ou l’accumulation de biomasse est nulle. Ainsi, l’exploitation d’un écosystème par l’Homme est plus rentable si elle est réalisée à un stade juvénile. Ceci explique donc que de nombreux systèmes d’exploitation soient conçus et développés sur ce mode : pâturages rotatifs, taillis à courte rotation, etc. Toutefois, une gestion dans des conditions sub-limitantes et sans considérations des variations du biotope, comme les aléas climatiques, rendent ces systèmes très fragiles. Pour finir, la productivité, soit le rapport de la production nette sur la biomasse, décroît au cours du temps.

Schéma représentant l’évolution des caractéristiques écosystémiques au cours d’une succession écologique (illustration : E. Force).

Schéma représentant l’évolution des caractéristiques écosystémiques au cours d’une succession écologique (illustration : E. Force).

Les fluctuations au cours du temps des caractéristiques écosystémiques citées précédemment démontrent que le stade climacique est l’état le plus stable mais pas pour autant le plus riche. Aussi, cet état n’est pas non plus immuable dans le temps.

Le contrôle de la dynamique spontanée des écosystèmes

La dynamique des écosystèmes est dépendante des facteurs du milieu comme les facteurs du sol et du climat. De plus, cette dynamique est contrôlée par les interactions entre les êtres vivants. En effet, au sein d’une forêt de moyenne montagne principalement dominée par les Épicéas, la strate arbustive se retrouve clairsemée du fait de la faible luminosité sous de la strate arborée.

Figure 3. Écosystème forestier après une forte tempête (crédit photo : E. Force).

Figure 3. Écosystème forestier après une forte tempête (crédit photo : E. Force).

En revanche, si un évènement tel qu’une forte tempête vient à ouvrir la forêt et à augmenter la luminosité dans les basses strates, alors la densité de buissons augmente fortement (fig. 3).

Cet équilibre spontané peut connaître des modifications plus ou moins réversibles. Les écosystèmes connaissent des modifications naturelles mais certaines peuvent être provoquées par l’Homme.

Perturbation et stabilité des écosystèmes

Les écosystèmes, apparaissant stables sur des temps courts, connaissent une succession de stades qui reflète une métastabilité. Les stades matures, plus stables que les stades précoces, sont également les plus durables. Cette stabilité est à corréler avec la diversité des espèces. En effet, plus la diversité spécifique est importante, plus la complexité du réseau trophique s’accroit, conférant alors plus de possibilités de réponses face aux variations du biotope.

Les perturbations : une menace pour la stabilité des écosystèmes

Une perturbation se définie par un évènement modifiant les relations entre les différentes composantes d’un écosystème. Elle peut être la résultante de changements physiques de l’environnement (érosion ou induration du sol) ; d’une destruction de la biomasse par des incendies, des tempêtes, etc. ; d’une surexploitation par un pâturage trop important ; ou encore d’un afflux de ressources nutritives comme une prolifération d’algues à l’origine des marées vertes sur le littoral. Une perturbation peut avoir une origine naturelle : origine climatique, géologique voire biotique, mais peut aussi être provoquée par l’Homme.

La résistance : une mesure de la stabilité des écosystèmes

La résistance est la capacité d’un écosystème à préserver son état initial durant et après une perturbation. Il n’est par exemple pas rare d’observer des arbres déracinés au sein d’une forêt. Les causes de ces déracinements peuvent être exogènes, le vent, ou alors endogènes, une maladie. Ces perturbations de l’écosystème forestier sont nommées chablis. Ainsi, la forêt est considérée comme résistante aux chablis tant que le nombre d’arbres déracinés reste faible. En effet, dans cette configuration, la composition de la biocénose et la production de biomasse ne sont que très peu modifiées. Par ailleurs, les chablis sont à l’origine de clairières pouvant être propices au développement de nouveaux organismes.

La résistance d’un écosystème à une perturbation n’est qu’apparente au vu des effets souvent lents, une résistance à court terme n’est toutefois pas incompatible avec des modifications à plus long terme.

Des perturbations périodiques à l’origine d’une plus forte stabilité des écosystèmes

Une considérable variabilité des facteurs du milieu conduit à réduire la diversité spécifique de la biocénose, et ainsi diminuer la stabilité des écosystèmes. Cependant, une hétérogénéité spatiale liée à des perturbations répétées dans le temps et d’intensité faible tend à accroitre la diversité spécifique favorisant alors la stabilité des écosystèmes. En forêt, l’hétérogénéité spatiale provoquée par les chablis est bénéfique pour la biodiversité. En effet, des expériences d’aplanissement des sols au niveau de chablis montrent que la régénération de la végétation est plus lente et que la qualité des sols est altérée. Puis, en prairie, l’hétérogénéité des zones rases pâturées entraîne une diversification des habitats.

Malgré les multiples perturbations, les écosystèmes possèdent la capacité à retrouver un état d’équilibre initial : on parle de résilience.

La résilience des écosystèmes

L’évolution régressive des écosystèmes

Après avoir franchi le seuil de perturbation, la résistance d’un écosystème n’est plus possible. En effet, si une tempête entraine la formation de nombreux chablis, la compensation des modifications du biotope et du fonctionnement de l’écosystème induit par la perturbation n’est alors plus possible. En conséquence, la biodiversité diminue : seules les espèces robustes à forte aptitude colonisatrice persistent. Tout ceci s’apparente aux stades juvéniles des écosystèmes. Ces derniers retrouvent un stade plus précoce. Aussi, une perturbation supérieure au seuil de résistance de l’écosystème provoque un rajeunissement de celui-ci. On parle alors d’évolution régressive. Toutes perturbations récurrentes permettent de maintenir le système à un état juvénile comme observé dans le cas des savanes africaines soumises à des incendies d’origine naturelle réguliers ainsi qu’à une présence importante d’espèces herbivores.

Figure 4. La résilience d’un écosystème (illustration : E. Force).

Figure 4. La résilience d’un écosystème (illustration : E. Force).

En revanche, si la perturbation s’arrête, l’écosystème reprend alors son évolution progressive. La capacité d’un écosystème à retrouver un état d’équilibre initial après une perturbation s’appelle la résilience (fig. 4A). Si la perturbation est trop importante, alors l’écosystème ne peut pas revenir à son état initial. Il évolue vers un nouvel état métastable (fig. 4B). Puis, à l’issue d’une déforestation massive d’origine anthropique par exemple, les biotopes sont profondément modifiés entraînant alors un retour impossible aux forêts natives. De plus, certaines espèces peuvent avoir disparu de ces milieux (fig. 4C).

La résilience des écosystèmes et la biodiversité

À un stade donné, la résilience d’un écosystème est liée à sa biodiversité. En effet, l’augmentation de la fréquence de génotypes et de phénotypes différents, et l’augmentation de la diversité spécifique ainsi que la complexité des réseaux trophiques, favorisent la résilience des écosystèmes. Par exemple, lors d’une sécheresse, les forêts tropicales sont plus résilientes pour la conservation de leur biomasse que les forêts tempérées du fait que la biodiversité est plus riche. Au sein d’un écosystème à la biodiversité importante, le nombre conséquent d’interactions, soit la complexité des réseaux trophiques, est un facteur majeur de cette résilience. Si une interaction venait à être détruite, celle-ci serait rapidement compensée par d’autres relations. Toutefois, dans un système simplifié, les alternatives sont limitées, le fonctionnement de l’écosystème est rapidement altéré.

Entre perturbation graduelle et brutale

Une majeure partie des perturbations provoquent des modifications graduelles au sein des écosystèmes. Ceci laisse la possibilité aux mécanismes de résilience et aux processus évolutifs de se mettre en place. La résilience d’un écosystème comporte en premier lieu une phase de résistance, suivie d’une phase de récupération. Toutefois, dans le cas de certaines perturbations brutales telles que les épidémies, la déforestation, le changement climatique régional, la résilience des écosystèmes est généralement faible. Le collapsus, ou la destruction d’un écosystème, est un évènement de crise majeure dans lequel la majorité des communautés s’effondre, entraînant un arrêt du fonctionnement de l’écosystème sur une durée plus ou moins longue.

 

Les écosystèmes sont des structures dynamiques qui évoluent. Ces évolutions s’observent par des successions d’êtres vivants conduisant des peuplements pionniers, qui occupent de nouveaux espaces, à des peuplements matures métastables. Cette dynamique temporelle des écosystèmes se retrouve au sein de la répartition des espèces dans l’espace ainsi que des biotopes en cours d’évolution qui forment des zones de transitions écologiques : on parle d’écotone.

 

Bibliographie et sitographie

Abbadie L.. Écosystèmes [en ligne]. Encyclopædia Universalis, [consulté le 30 janvier 2022]. Disponibilité et accès sur : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/ecosystemes/

Barbault R.. Structure et fonctionnement des écosystèmes. In Écologie générale – Structure et fonctionnement de la biosphère. Dunod, 2021, pp. 201-258. ISBN 978-2100830572

Kelly C., Mowler M. & Fox G.. Temporal Dinamics and Ecologicla Process. Cambridge University Press, 2013. ISBN 978-1139048170

Ramade F.. Le développement et l’évolution des écosystèmes. In Éléments d’écologie – Écologie fondamentale. Dunod, 2020, pp. 475-520. ISBN 978-2100815722

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