1 Décembre 2022
Les plantes sont des organismes fixés au sol par leur système racinaire, qui les approvisionne en eau et autres éléments minéraux ; tandis que leurs feuilles captent l’énergie lumineuse et assimilent le carbone contenu dans le dioxyde de carbone atmosphérique. Ces organismes réalisent ces processus fondamentaux tout en restant immobiles : les conditions contrastées et fluctuantes de l’environnement imposent aux plantes de s’adapter, au vu de leur impossibilité à se déplacer en direction d’un habitat plus favorable comme pourraient le faire des animaux.
Figure 1. Une diversité de plantes pour une diversité de milieux (crédits photos : E. Force). A : Potentille des marais (Comarum palustre) dans une prairie humide ; B : Céphalanthère à feuilles étroites (Cephalanthera longifolia) dans un sous-bois ; C : Potamot nageant (Potamogeton natans) dans un cours d’eau ; D : Gentiane jaune (Gentiana lutea) dans une prairie montagnarde ; E : Gentiane des marais (Gentiana pneumonanthe) dans une tourbière ; F : Agave d’Amérique (Agave mexicana) dans un milieu aride ; G : Oyat (Ammophila arenaria) en bord de mer.
Au regard du monde qui nous entoure, il est aisé de constater la présence d’une très grande diversité de plantes. Celles-ci occupent tous les milieux, allant des environnements les plus cléments tels des prairies, forêts et rives de cours d’eau, aux environnements les plus extrêmes : haute altitude, tourbière, désert chaud, ou encore le bord de mer où les organismes sont à la merci des vagues, du vent et du sel (fig. 1). Les plantes sont adaptées à ces environnements, présentant ou non des conditions abiotiques contrastées ou changeantes au cours du temps. Mais que signifie être adapté ?
L’adaptation est un concept biologique complexe. Il présente deux aspects selon les considérations du biologiste qui l’étudie. Dans une acception évolutive, l’adaptation se définit comme étant à la fois le processus et le résultat de l’évolution d’un individu dans un milieu donné. En effet, une population d’individus est soumise à des contraintes propres au milieu dans lequel elle vit. Au fil des générations, les forces évolutives façonnent les phénotypes des organismes formant la population. Des mutations spontanées donnent naissance à de nouveaux caractères au sein de la population. Ces mutations sont "triées" par différentes forces évolutives : recombinaison génétique et dérive génétique (que nous ne traiterons pas ici), ainsi que la fameuse sélection naturelle. Globalement, à chaque génération prolifèrent les individus dotés des caractères maximisant leurs capacités à survivre et à se reproduire dans ce milieu : ce sont ceux ayant la "valeur sélective" la plus élevée. Par ailleurs, les chemins évolutifs empruntés diffèrent selon le milieu dans lequel vit la population : typiquement, des caractères de résistance au froid sont majoritairement sélectionnés en altitude, alors que des caractères de résistance au chaud et à la sécheresse sont sélectionnés dans les milieux arides. Au regard de cette définition, il est intéressant d’adopter un point de vue évolutif et d’observer les phénotypes – autrement dit les caractéristiques morpho-anatomiques – d’espèces vivant dans des milieux dits stressants ; et d’essayer de comprendre en quoi ces êtres vivants sont adaptés à ces milieux.
Par ailleurs, la notion d’adaptation comprend également une considération physiologique. En ce sens, l’adaptation se définit comme un mécanisme de modifications du fonctionnement de l’organisme en réponse à une variation de l’environnement : on parle également d’acclimatation. Un organisme est capable de s’adapter à son environnement via une modification de son phénotype et de son fonctionnement au cours de sa vie : il s’agit d’une phénoplasticité.
Finalement, on remarque que les deux définitions d’adaptation se distinguent essentiellement selon l’échelle de temps étudiée. L’adaptation au sens évolutif s’applique sur de longues périodes temporelles, à l’échelle de la dizaine de générations ; tandis que l’adaptation au sens physiologique s’observe sur de courtes périodes temporelles, à une échelle inférieure à la durée de vie de l’individu. C’est à travers le spectre de cette dualité que nous étudierons comment les plantes s’adaptent face aux stress environnementaux. Nous étudierons à la fois les propriétés morpho-anatomiques des végétaux qui en font des individus adaptés aux milieux stressants, résultat de plusieurs milliers d’années d’évolution ; ainsi que les réponses physiologiques rapides impliquées dans le processus d’acclimatation, permettant à ces organismes photosynthétiques de s’adapter à des fluctuations de leur environnement.
Commençons tout d’abord par détailler les concepts généraux de l’adaptation physiologique, à savoir les bases de la phénoplasticité ; et explicitons la notion de stress chez les plantes, avant de nous plonger dans une étude précise des organismes à proprement parler.
Phénoplasticité & stress : concepts généraux
Définition et déterminisme de la phénoplasticité
La plasticité phénotypique est la propriété d’un génotype à produire divers phénotypes en réponse à différentes conditions environnementales. Le génotype se définit comme l’ensemble des gènes d’un individu, le phénotype correspond à l’ensemble de l’expression de ces derniers dans un environnement donné. Il décrit par ailleurs tous les aspects de la morphologie, de la physiologie et de l’écologie d’une plante. En somme, la phénoplasticité se résume à l’ensemble des phénotypes pouvant s’exprimer à partir d’un même génotype, et ce, sous la dépendance des variations des conditions environnementales.
De plus, la phénoplasticité comprend des modifications dans le développement, la physiologie, la morphologie ainsi que dans les stratégies reproductives des individus. Ces changements sont dépendants du caractère biologique étudié mais également du paramètre environnemental considéré. Cette plasticité phénotypique peut s’exprimer à l’échelle de l’individu, de la population, voire à l’échelle de l’espèce.
La plasticité phénotypique est déterminée génétiquement par de multiples gènes contrôlant l’expression d’un caractère donné. Celui-ci code généralement pour un récepteur ou est impliqué dans une boucle de régulation physiologique. La mise en place de la phénoplasticité est déclenchée par des stimuli environnementaux dont certains mécanismes seront abordés dans la suite de cet article.
La plasticité phénotypique : enjeu sélectif
Au regard des mécanismes physiologiques intervenant au sein d’une plante, deux types de plasticité phénotypique peuvent être décrits. Il s’agit de la plasticité passive et de la plasticité active. Ces deux types de plasticité se différencient par les mécanismes mis en jeu au sein de l’individu. La plasticité passive est une conséquence directe et inévitable d’une limitation en ressources ou d’une perturbation environnementale subie par l’organisme. Par exemple, une réduction de la taille ou bien de la longueur des feuilles et des entre-nœuds est observable chez des plantes héliophiles se retrouvant accidentellement dans un milieu ombragé. La plasticité active, contrairement à la plasticité passive, fait intervenir des changements des caractéristiques de la plante lui permettant de s’adapter à une perturbation ou à une limitation en ressources. Ces différents ajustements confèrent à la plante un maintien des fonctions physiologiques vitales et contribuent à stabiliser la valeur sélective (capacité de survie et de reproduction d’un individu dans un milieu donné).
Figure 2. Les différents types de plasticité phénotypique et ses impacts sur la valeur sélective de l’individu (illustration : E. Force).
La plasticité phénotypique active est le plus souvent favorable à la survie et à la reproduction de l’individu la développant. Toutefois, elle peut se révéler défavorable dans certains milieux. Ainsi, la plasticité active permet d’augmenter la valeur sélective de l’individu tandis que la plasticité passive la diminue ou n’a aucun effet sur celle-ci (fig. 2).
Quels sont les processus environnementaux inducteurs d’une telle plasticité phénotypique ?
La notion de stress chez les plantes
Le stress représente l’ensemble des contraintes extérieures à l’organisme limitant le développement de tout ou partie de l’individu sans pour autant induire obligatoirement une destruction de la biomasse. Les contraintes environnementales peuvent être variées et correspondre à des paramètres affectant photosynthèse et respiration, les métabolismes fondamentaux des cellules végétales. Ces différents paramètres peuvent également dépendre d’autres variables environnementales, comme dans le cas de plantes exposées à de plus hautes latitudes : ces dernières sont généralement soumises à de plus faibles irradiances, à de plus longues photopériodes et à des températures fraîches. En effet, des études de la phénoplasticité de ces organismes démontrent que les écotypes de plus hautes latitudes sont souvent plus petits avec de faibles taux de croissance et des cycles de développement plus courts. Par ailleurs, la date de floraison est plus précoce et la production de graines est amoindrie.
Dans le cas des hydrophytes (fig. 3), la profondeur d’eau est un paramètre affectant la croissance des plantes submergées en diminuant la quantité de lumière disponible ou encore en changeant les caractéristiques du sédiment : richesse en nutriment, teneur en matière organique et potentiel redox.
Les réponses phénotypiques induites par un stress sont intimement liées à la source des perturbations, à leur nature, leur période ainsi qu’à leur durée. Illustrons cette assertion en comparant les réponses de plantes terrestres à différents types de stress.
Plantes & stress hydrique : survivre en milieu sec
Le milieu sec, un milieu mettant en danger l’équilibre hydrique de la plante
Le climat méditerranéen se caractérise par une période sèche, d’une durée variable en fonction de la latitude. Les plantes associées à ces milieux ont développé un nombre considérable d’adaptations morphologiques et physiologiques leur conférant des capacités de survie accrues lors de ces épisodes de rareté de la ressource en eau. La majeure partie des plantes peuplant ces environnements sont des plantes dites xérophiles.
Cette sécheresse constitue toutefois un facteur stressant pour les plantes. On parle de stress hydrique lorsque l’état hydrique du milieu perturbe le métabolisme de l’individu. Ceci laisse à penser qu’il existe des répercussions directes plus ou moins rapides sur la croissance et le développement des organismes. Une première manifestation du stress hydrique chez une plante est le flétrissement de l’appareil caulinaire. Néanmoins, le seul flétrissement du feuillage ne peut constituer une bonne indication, du fait que les fonctions métaboliques sont déjà affectées bien avant que les effets du stress ne soient visibles. Alors, des mesures de l’état hydrique de la plante sont indispensables pour caractériser précisément le stress. Ces mesures comprennent la micromorphométrie et la mesure du flux de sève. La première technique consiste à mesurer les micro-variations du diamètre de la tige de la plante, révélant l’état hydrique de l’individu. La seconde est une méthode fondée sur la mesure du débit de sève dans le xylème.
Figure 4. Effets d’un stress hydrique chez le Haricot (Vigna unguiculata) après arrêt de l’arrosage pendant 15 jours (d’après Boucelha et Djebbar, 2015). A : mise en évidence des effets sur l’appareil caulinaire (les flèches indiquent des feuilles desséchées) ; B : mise en évidence des effets sur le plant au stade végétatif (A), au stade reproducteur avec fleur (B) et fruit (C).
En détail, un stress hydrique affecte un grand nombre de fonctions physiologiques de la plante. Les fonctions de nutrition sensu lato, croissance et développement ainsi que la fonction de reproduction sont grandement impactées par un déficit en eau (fig. 4). Par exemple, le stress hydrique influe sur la photosynthèse et la respiration suite à la fermeture des stomates. Cette dernière est liée à des mécanismes physiologiques impliquant un différentiel de potentiel hydrique. Le déficit hydrique induit également un déficit de nutrition azotée due à la réduction d’une part du flux d’azote au niveau des racines, et d’autre part des échanges entre les parties aériennes et racinaires par suite d’une diminution de la transpiration foliaire. Quant à la croissance végétale, celle-ci est fortement perturbée lors d’un stress hydrique : une diminution de la taille, de la longueur des entre-nœuds, du nombre de feuilles et même de la surface foliaire peuvent être constatées. La sénescence foliaire est généralement accélérée au cours d’un tel stress. Tout comme les organes végétatifs, les organes reproducteurs sont également impactés par un stress hydrique. Leur croissance est ralentie engendrant ainsi une moindre efficacité dans la reproduction de l’individu. La valeur sélective de l’individu est alors directement affectée.
Comment certaines plantes sont-elles capables de limiter les effets du stress hydrique ?
Quelques adaptations morpho-anatomiques des plantes permettant la vie en milieu sec
Des adaptations à l’échelle de l’organe : feuille, tige et racine
Exposées à un stress hydrique, les plantes montrent une diversité d’adaptations morpho-anatomiques affectant tout ou partie de l’organisme. Ces changements de la morphologie et de l’anatomie de la plante s’observent aussi bien au niveau des racines, des feuilles, et de la tige qu’au niveau du port général de l’individu.
Figure 5. A : Genêt d’Espagne (Spartium junceum) ; B : Euphorbe des Baléares (Euphorbia pithyusa) ; C : Thym serpolet (Thymus serpyllum) (crédits photos : E. Force).
Les adaptations morpho-anatomiques les plus visibles sont celles affectant l’appareil caulinaire et plus spécifiquement les feuilles. En effet, dans le cas d’un climat méditerranéen, certaines espèces présentent des feuilles réduites voire absentes. Par exemple, le Genêt d’Espagne (Spartium junceum), l’Euphorbe des Baléares (Euphorbia pithyusa) ou le Thym serpolet (Thymus serpyllum), mais aussi de nombreuses plantes dites grasses comme les Cactus sont caractérisées par une réduction de la surface foliaire (fig. 5).
De plus, chez d’autres groupes végétaux comme les Pinophytes, le Pin d’Alep (Pinus halepensis) montre par exemple des feuilles réduites appelées aiguilles (fig. 6). La diminution de la surface foliaire permet de limiter leur surface exposée au Soleil et d’ainsi amoindrir les pertes en eau.
Figure 7. A : Genévrier de Phénicie (Juniperus phoenica) (crédit photo : E. Force) ; B : Fragon faux-houx (Ruscus aculeatus) (crédit photo : D. J. Bergsma) ; C : coupe transversale d’une tige de Fragon faux-houx (Ruscus aculeatus) (x20) (crédit photo : E. Force, collection P. Labrot).
D’autres feuilles comme celle du Genévrier de Phénicie (Juniperus phoenica) ou encore du Fragon faux-houx (Ruscus aculeatus) possèdent une cuticule très épaisse donnant un aspect cireux à la plante (fig. 7). Un cuticule épaisse réduit les pertes d’eau par évapotranspiration (fig. 7C). Cette adaptation foliaire est d’autant plus importante que les feuilles de tels organismes sont persistantes en été.
Figure 8. A : Oyat (Ammophila arenaria) ; B : coupe transversale d’une feuille d’Oyat (x4) ; C : coupe transversale d’une feuille d’Oyat (x20) (crédits photos : E. Force, collection P. Labrot).
Par ailleurs, la localisation et la disposition des stomates constituent une adaptation morphologique limitant les pertes en eau par évapotranspiration. En effet, certaines plantes présentent des stomates au sein de cavités ou exclusivement sur la face inférieure de la feuille. Une telle spécificité est constatée chez l’Oyat (Ammophila arenaria) par exemple (fig. 8). D’autres organismes, comme l’Euphorbe trigone (Euphorbia trigona) montrent une pilosité foliaire importante. Cette dernière permet de retenir l’eau.
Pour finir sur les adaptations foliaires, il est possible de remarquer que certaines plantes ne présentent que la tranche de la feuille dans la direction des rayons solaires : ceci est visible chez le Micocoulier de Provence (Celtis australis) (fig. 9).
L’appareil caulinaire des plantes occupant des milieux secs montrent également des adaptations morphologiques notamment au niveau des tiges. Par exemple, il est aisé de remarquer que les tiges de nombreuses plantes méditerranéennes sont sclérifiées. Cette apposition de subérine lors de la sclérification permet de réduire drastiquement les pertes en eau au niveau de cet organe. La Salsepareille (Smilax aspera) présente des tiges particulièrement coriaces (fig. 10).
Chez certains Cactus ou Euphorbes, il est possible d’apercevoir des côtes longitudinales sur les tiges créant des ombres passagères à la surface de cet organe évitant une exposition directe au Soleil (fig. 11).
Figure 12. A : système racinaire d’Euphorbe de Séguier (Euphorbia seguieriana) ; B : système racinaire de Fumana vulgaire (Fumana procumbens) (illustrations : E. Lichtenegger, Wurzelatlas mitteleuropaeischer Gruenlandpflanzen, 1992).
Quant à l’appareil racinaire, les plantes méditerranéennes présentent un système racinaire profond et étendu comme chez l’Euphorbe de Séguier (Euphorbia seguieriana) (fig. 12A). Ceci permet notamment à l’organisme de pouvoir prélever de l’eau dans la profondeur du sol. Aussi, des systèmes racinaires développés en surface sont parfois remarqués : ils permettent de récupérer immédiatement l’eau des pluies, rares et peu abondantes. De telles adaptations peuvent se constater chez la Fumana vulgaire (Fumana procumbens) par exemple (fig. 12B).
Des adaptations à l’échelle de l’individu
Figure 13. A : Ciste de Montpellier (Cistus monspeliensis) ; B : détail d’une fleur de Ciste de Montpellier (crédits photos : E. Force).
À côté des adaptations morpho-anatomiques constatées au niveau des différents appareils et organes de la plante, certains végétaux adoptent une forme dense et compacte réduisant leur surface exposée aux rayons solaires. Une diminution de l’évapotranspiration est alors remarquée. Par exemple, chez le Ciste de Montpellier (Cistus monspeliensis), les feuilles peuvent se réduire ou s’enrouler sur elles-mêmes (fig. 13A).
Comment éviter la sécheresse ?
Certains organismes ont développé des stratégies leur permettant d’éviter la saison sèche en été. En effet, des plantes ont la capacité de passer la saison sèche sous la forme de bulbe et réapparaissent au printemps suivant, comme chez l’Iris d’Allemagne (Iris germinaca). Concernant les plantes annuelles, à l'arrivée de l’été, ces dernières meurent après dispersion de leurs graines. Ceci peut aussi s’observer chez les bisannuelles et être interprété comme une adaptation à la sécheresse : la première année, les plantes forment une rosette de feuilles, passent l’été et l'hiver ainsi, puis au printemps suivant les plantes fleurissent.
Plus intéressant encore, chez les Cistes (fig. 13B), la floraison ne dure qu’une journée voire même seulement quelques heures. Si leurs feuilles limitent les pertes d’eau par évapotranspiration, les fleurs ne présentent pas d’adaptations morphologiques ce qui fait perdre beaucoup d’eau à l’individu.
En parallèle de ces diverses adaptations morpho-anatomiques, les plantes, y compris celles ne vivant pas en climat méditerannéen, ont développé des réponses physiologiques permettant de limiter les pertes d’eau lors des périodes de sécheresse.
Quelques réponses physiologiques de la plante aux variations du niveau de sécheresse
Figure 14. Rôle central de l'acide abscissique (ABA) dans la réponse physiologique du Maïs à la sécheresse (illustration : H. Caumon). A : mise en évidence expérimentale des effets réversibles d’une privation en eau sur la physiologie foliaire chez le Maïs (d’après Buchanan et al., 2015) ; B : mise en évidence expérimentale du rôle de l’ABA dans la modification de la croissance racinaire induite par un stress hydrique chez le Maïs (d’après Buchanan et al., 2015) ; C : effets d’un climat sec sur le sol et sur un plant de Maïs ; D : modèle de réponse physiologique à la sécheresse médiée par l’ABA chez le Maïs.
Les plantes sont capables de répondre de manière rapide aux variations du niveau de sécheresse de leur environnement. Des études expérimentales sur le Maïs (Zea mays), une plante d’intérêt agronomique, ont été menées afin de comprendre les mécanismes permettant cette réponse rapide. Le principal candidat était l’acide abscissique (ABA), déjà connu comme phytohormone de réponse au stress. Dans la figure 14 sont décrites deux de ces expériences.
La première expérience consiste à suivre deux variables physiologiques caractérisant la feuille : la concentration en ABA dans la feuille, et la résistance stomatique (inversement proportionnelle au nombre de stomates ouverts). Le suivi de ces variables lors d’une privation en eau de la plante montre clairement une augmentation de la concentration en ABA foliaire (multipliée par 10 !), corrélée à une augmentation de la résistance stomatique (fig. 14A). Ces modifications sont dynamiques et réversibles : on observe un retour aux valeurs initiales après arrosage de la plante (fig. 14A). Des études complémentaires ont validé le rôle de la sécheresse dans l’accumulation d’ABA foliaire, et le rôle de l’ABA foliaire dans la fermeture des stomates.
La deuxième expérience décrite consiste à mesurer l’évolution du ratio racine/tige (= taille de la racine/taille de la tige) de plants après transplantation dans un milieu pauvre en eau. Chez un plant sauvage, on observe que l’exposition à un milieu sec conduit à une augmentation de la longueur de la racine, aux dépens de celle de la tige qui reste constante : au bout de 60h, la racine atteint une longueur correspondant jusqu’à cinq fois à celle de la tige (fig. 14B). Des plants mutants déficients pour la synthèse d’ABA soumis aux mêmes conditions ne voient pas les tailles relatives de leur racine et de leur tige modifiées (fig. 14B). Cette expérience prouve que l’ABA est nécessaire à la modulation de la croissance racinaire en réponse à la sécheresse. On remarque donc que l’ABA est d’une part synthétisé en réponse à la sécheresse, et d’autre part capable d’induire des modifications physiologiques dans les organes aériens et sous-terrains.
En plus des expériences décrites, de nombreuses autres ont permis de comprendre les modalités d’actions de l’ABA à l’échelle de l’organisme. Ces modalités sont décrites en figures 14C et D. Un aspect intéressant est que la sécheresse est perçue uniquement au niveau de la racine, probablement via une sensibilité des cellules racinaires à la teneur en eau du sol. Un assèchement du sol déclenche la biosynthèse d’ABA au niveau de la racine, ainsi que la libération d’un signal de stress (probablement de nature peptidique). Au niveau de la racine, l’ABA a une double action : il favorise l’absorption d’eau en stimulant la mise en place de transporteurs de l’eau à la membrane plasmique des cellules ; et active la croissance en longueur de la racine, lui permettant d’atteindre les zones profondes du sol, moins appauvries en eau. Ces modifications induites par l’ABA permettent donc de favoriser le fonctionnement de la racine en milieu sec. L’ABA et le signal de stress sont également exportés vers la feuille via les sèves. Au niveau de la feuille, une accumulation d’ABA a lieu via l’apport d’ABA racinaire, combiné à la biosynthèse d’ABA foliaire de novo, induite par le signal de stress. Les fortes concentrations d’ABA foliaire induisent une fermeture des stomates, ce qui permet d’éviter à la plante de perdre de l’eau de manière trop importante par transpiration foliaire (phénomène pouvant amener à une forte déshydratation lorsque les températures sont trop élevées). Pour résumer, l’ABA est synthétisé au niveau des racines en réponse à la sécheresse et agit de manière rapide et au niveau des différents organes de la plante, favorisant leur fonctionnement en milieu sec ; et permettant ainsi de limiter les effets délétères de la sécheresse sur la vie de la plante. C’est un exemple remarquable de l’intégration de signaux extérieurs en un signal phytohormonal agissant sur différentes fonctions physiologiques.
Plantes & stress anoxique : survivre en milieu inondé
Le milieu inondé, un milieu pauvre en ressources pour la plante
La disponibilité en eau constitue un facteur fondamental pour le bon développement de la plante, c’est ce qu’on a démontré dans la partie précédente. L’importance de l’eau s’explique par le fait que c’est un des réactifs essentiels de la photosynthèse. Mais, point trop n’en faut : un excès d’eau peut constituer un stress pour la plante. Qu’elle soit en très grande quantité, l’eau n’est pas nocive en tant que telle. Cependant, sa présence dans le milieu peut perturber le fonctionnement de la plante. Comment l’expliquer ? Au sein d’un milieu inondé, comme un lac, un marécage ou une rizière, les plantes y vivant peuvent être partiellement (i.e. juste les racines) ou entièrement immergées dans l’eau. L’eau a des propriétés différentes de l’air. En particulier, les gaz diffusent moins bien dans l’eau que dans l’air. Par conséquent, une plante immergée est beaucoup moins approvisionnée en gaz, notamment en dioxygène, qu’une plante à l’air libre : il s’agit d’une situation d’hypoxie. Or, l’O2 est un gaz essentiel à la respiration de la plante. Par conséquent, l’émersion d’une plante est délétère. Elle cause une privation en O2 : en guise d’exemple, un champ de Pois (Pisum sativum) voit son rendement divisé par deux après 24h d’hypoxie, ce qui témoigne de la diminution de croissance induite par le manque d’O2. Néanmoins, il existe des plantes dites hydrophytes, qui vivent partiellement ou totalement immergées. Au cours de l’évolution, des caractéristiques morpho-anatomiques particulières ont été sélectionnées chez ces plantes aquatiques.
Quelques adaptations morpho-anatomiques des plantes permettant la vie en milieu inondé
Les hydrophytes et autres plantes aquatiques possèdent des caractères propres aux milieux inondés. Ces derniers s’observent au niveau de leurs racines, tiges et feuilles.
Figure 15. A : Nénuphar rose (Nymphaea fabiola) ; B : Élodée du Canada (Elodea canadensis) (crédits photos : E. Force).
En effet, les racines des plantes aquatiques ne possèdent qu’un rôle fixateur. L’absorption de l’eau ne peut pas se réaliser par ces organes : elle s’effectue seulement au niveau des feuilles ou tiges immergées. Les feuilles, souvent flottantes, sont rondes, plates et de grandes tailles comme chez la Nénuphar rose (Nymphaea fabiola) par exemple (fig. 15A). Quant aux feuilles immergées, celles-ci sont fines et allongées : l’Élodée du Canada (Elodea canadensis) illustre ces propos (fig. 15B). Par ailleurs, lorsqu’un même individu croit successivement dans un milieu immergé et émergé, il présente différents types de feuilles selon les milieux.
Figure 16. Coupe transversale d’une tige de Nénuphar (x20) (Nymphea lutea) (crédit photo : E. Force, collection de Sorbonne Université).
En plus des adaptations morphologiques citées précédemment, des adaptations anatomiques sont constatées. Les tiges sont souples en raison de la réduction des tissus de soutien et la présence de lacunes aérifères constituant un aérenchyme. Les tissus de soutien se limitent à la présence de sclérites chez le Nénuphar (Nymphea lutea) (fig. 16). Aussi, les tissus conducteurs de la sève brute sont réduits.
Les plantes terrestres ont également développé des mécanismes physiologiques leur permettant de répondre à un excès d’eau dans le milieu, notamment lors d’une inondation du milieu terrestre.
Quelques réponses physiologiques des plantes à une inondation
Certaines plantes sont donc spécifiquement adaptées aux milieux inondés, mais qu’advient-il des plantes adaptées à la vie en milieu aérien, qui se retrouvent immergées lors d’un événement incongru ? Dans le cas d’un champ agricole, lors de fortes pluies (parfois associées à des crues des cours d’eau), celui-ci peut être entièrement inondé : le sol s’imbibe d’eau et les racines des plants en culture se retrouvent alors en hypoxie. Bien que certaines espèces de plantes soient totalement vulnérables à ce processus, comme le Pois (Pisum sativum) dont on a déjà abordé le cas, d’autres espèces tirent leur épingle du jeu. C’est notamment le cas du Maïs (Zea mays).
Figure 17. Remodelage structural de la racine du Maïs en réponse à l’hypoxie (illustration : H. Caumon). A : mise en évidence expérimentale de la formation d’un aérenchyme dans le cortex racinaire en réponse à l’hypoxie (d’après He et al., 1996) ; B : schéma de la structure d’une racine de Maïs, une Monocotylédone ; C : modèle de formation d’un aérenchyme par mort cellulaire programmée localisée dans le cortex, induite par l’éthylène (ET), en réponse à l’hypoxie.
Des études menées sur le Maïs ont montré un mécanisme remarquable ayant lieu au niveau des racines : on peut observer que les racines de plants cultivés en conditions hypoxiques (faible concentration en O2) ont une structure très différente de celles de plants cultivés en conditions aérobie (forte concentration en O2) (fig. 17A). En particulier, on remarque qu’en conditions hypoxiques, le cortex racinaire est creusé et devient ainsi un aérenchyme. L’ajout d’EGTA (i.e. un chélateur d’ions Ca2+, ions nécessaires au déclenchement de la mort cellulaire programmée chez les plantes), en conditions hypoxiques, bloque la formation de l’aérenchyme (fig. 17A). De ces résultats, il ressort que le Maïs est capable de réagir à des conditions hypoxiques en déclenchant une mort cellulaire programmée localisée dans le cortex racinaire, permettant la formation d’un aérenchyme (fig. 17B et C), tissu de remplissage que l’on retrouve normalement chez les hydrophytes citées ci-avant. D’autres études ont montré que l’éthylène joue un rôle fondamental dans ce processus. Cette phytohormone gazeuse est sécrétée en permanence dans la racine, mais diffuse rapidement en dehors des tissus, de par sa nature volatile. Lorsque la racine est plongée dans l’eau, l’éthylène ne diffuse plus et s’accumule, déclenchant alors la mort cellulaire programmée (fig. 17C). Les mécanismes restreignant l’action de l’éthylène au cortex sont complexes et restent mal connus. On a finalement ici un exemple remarquable d’acclimatation à un milieu : la plante s’acclimate au stress hypoxique via une modification de la structure de sa racine.
Le remodelage de la racine est une chose, mais lorsque la plante est totalement immergée, cela pose un autre problème. En effet, les feuilles - surface d’échange des gaz avec l’atmosphère - voient leur efficacité grandement diminuée lorsqu’elles sont plongées dans l’eau, toujours à cause de ce problème de diffusion limitée des gaz en milieu aqueux. Le maintien de l’appareil végétatif aérien hors de l’eau est donc un point critique de la survie d’une plante à une inondation. Le Riz (Oryza sativa) est cultivé dans des régions humides sujettes à de fortes pluies, et donc à des inondations fréquentes. Cette espèce est capable de mettre en jeu une réponse physiologique permettant un maintien de l’appareil végétatif aérien à l’air libre.
Figure 18. Modulation de la croissance caulinaire du Riz en réponse à une inondation (illustration : H. Caumon, d’après Buchanan et al., 2015). A : en situation normale, blocage de l’élongation des entre-noeuds par l’acide abscissique (ABA) ; B : lors d’une inondation, double effet de l’éthylène (ET) : levée de la répression de l’ABA sur les GA, et stimulation directe de l’élongation internodale via SNORKEL 1 et SNORKEL 2.
Ce mécanisme est le résultat d’un dialogue entre trois phytohormones : l’acide abscissique (ABA), l’éthylène (ET), et les gibbérellines (GA), une famille de phytohormones impliquée entre autres dans la croissance de la tige. En conditions normales, un niveau basal d’ABA dans la tige permet de réprimer la croissance caulinaire en bloquant l’action des GA (fig. 18A). Lors d’une inondation, par un processus identique à celui décrit dans la racine du Maïs, une accumulation d’ET a lieu dans la tige. Cela initie une réponse physiologique : l’ET bloque l’activité de l’ABA spécifiquement au niveau des entre-nœuds, levant ainsi la répression des GA, qui stimulent alors la croissance internodale. L’ET active également l’expression de deux facteurs de transcription, SNORKEL 1 et SNORKEL 2, qui participent aussi à la stimulation de la croissance internodale en contrôlant l’expression de gènes dans les cellules des entre-nœuds (fig. 18B). Il en découle une forte élongation des entre-noeuds permettant à la tige d’atteindre rapidement la surface tout en favorisant le maintien des feuilles émergées ; ce qui assure la constance des échanges en gaz. Ceci est un autre bel exemple de réponse physiologique à l’inondation. À travers les cas du Maïs et du Riz, on observe que les plantes sont capables de moduler de manière rapide le développement des appareils racinaire et caulinaire en réponse à une inondation, assurant ainsi un maintien du fonctionnement de ces deux parties de la plante, et donc la survie de l’individu.
Plantes & stress osmotique : survivre en milieu sursalé
Le milieu sursalé, un milieu à la fois déshydratant et toxique pour la plante
La salinité du sol est un facteur majeur affectant la croissance des plantes. Les impacts de la salinité sur ces organismes s’observent au niveau de leur morphologie, leur anatomie et de leur biochimie. En effet, le sel provoque une réduction de la quantité d’eau disponible dans le sol : les molécules d’eau sont piégées par les ions constituant le sel ou chlorure de sodium (NaCl).
Par ailleurs, les niveaux de tolérance à la salinité sont variables selon les plantes. La salinité conduisant à une réduction de la capacité d’absorption de l’eau et une chute des potentiels hydrique et osmotique, un déséquilibre ionique survient : une accumulation d’ions sodium (Na+) et chlorure (Cl-) s’effectue. Cette dernière induit une toxicité importante pour les cellules, entraîne une baisse des flux d’assimilats en direction des tissus méristématiques, et par conséquent, provoque une réduction de la matière fraîche et sèche au niveau des feuilles, des tiges, ainsi que des racines. De plus, au niveau métabolique, l’augmentation de la teneur en ion Na+ et Cl- jusqu’à atteindre une dose toxique pour les feuilles, associée à une résistance stomatique, conduit à une diminution des teneurs en chlorophylles. Ceci entraîne une baisse de l’activité photosynthétique de la plante, à l’origine d’une réduction de sa croissance.
En détail, l’action du sel sur la plante débute tout d’abord par une accumulation, à des doses toxiques, des ions Na+ et Cl- dans les différentes parties de l’organisme avant d’affecter le fonctionnement de ce dernier. Pour une majorité de plantes, les ions Na+ et Cl- sont rejetés par les racines au fur et à mesure que l’eau du sol est absorbée. De plus, une remontée de ces ions au niveau des parties aériennes peut être la cause d’une fermeture stomatique. Pour autant, l’activité photosynthétique des organismes reste inchangée. Comment expliquer un tel paradoxe ? Une diminution de la taille des cellules et une augmentation du nombre de chloroplastes au sein de ces cellules expliqueraient un maintien de l’activité photosynthétique de la plante. Aussi, pour des quantités élevées d’ions Na+ et Cl-, une réduction de la surface foliaire est observée. Elle est la conséquence d’une limitation des flux de carbone en direction des méristèmes et des zones de croissance. Ces fortes doses en ions conduisent à des jaunissements, des nécroses et à l’apparition de brûlures sur les feuilles, s’ensuivant d’une chute foliaire.
En somme, les plantes montrent une réponse à la salinité subdivisée en deux phases. Une première, rapide, est dite osmotique. Elle inhibe la croissance des jeunes feuilles. Puis, une seconde phase, plus lente, appelée phase ionique, accélère la sénescence foliaire. Dans le temps, la première phase débute immédiatement après l’atteinte d’un seuil critique de concentration en sel dans la racine : la croissance des jeunes pousses est fortement réduite et est provoquée par l’effet osmotique du sel au niveau racinaire. Quant à la seconde phase ionique, celle-ci correspond à l’accumulation, à des doses toxiques, des ions Na+ et Cl- au sein des feuilles. Par ailleurs, si le taux de sénescence des feuilles est supérieur au taux de production de nouvelles feuilles, alors l’activité photosynthétique de l’individu sera diminuée et ne subviendra plus aux besoins de l’organisme, qui, montrera une croissance réduite. La diminution de la croissance végétative, constatée par la réduction du nombre de feuilles ou de la surface foliaire, correspond à la première réponse des individus soumis au stress salin. Ainsi, l’exposition à un tel stress engendre des modifications morphologiques, physiologiques et biochimiques délétères chez les plantes. Pour autant, les plantes ont développé des mécanismes permettant de répondre à une augmentation brutale de la salinité. On connaît très peu de caractéristiques morpho-anatomiques spécifiquement impliquées dans la résistance au sel : on se concentrera donc sur les réponses physiologiques.
Quelques réponses physiologiques de la plante à un sol sursalé
Pour étudier le stress osmotique, changeons de modèle : quittons le Maïs pour une plante modèle des laboratoires de biologie végétale, l’Arabette des dames (Arabidopsis thaliana). De nombreuses expériences ont permis de comprendre les mécanismes de réponse au stress osmotique salin, et deux d’entre elles sont décrites en figure 19.
A : mise en évidence expérimentale des effets d’un stress osmotique salin sur la croissance des racines latérales de plantules d’Arabidopsis (d’après Duan et al., 2013). La région 1 correspond à la partie de la racine principale ayant poussé avant transfert, et la région 2 correspond à la partie de la racine principale ayant poussé après transfert. La position des apex racinaires au moment du transfert est pointée par les flèches rouges, les apex des racines latérales sont marqués en jaune pour un meilleur repérage. B : mise en évidence expérimentale de l’implication de l’acide abscissique (ABA) dans la réponse au stress osmotique salin chez Arabidopsis (d’après Geng et al., 2013). Racines de plantules transgéniques d’Arabidopsis observées en microscopie confocale, sans (gauche) ou avec (droite) excitation de la GFP. C : modèle de réponse physiologique au stress osmotique salin médié par l’ABA chez Arabidopsis. Abréviations : Ny = Noyau, Va = Vacuole, Mbr = Membrane.
La première expérience est simple, et constitue une étude phénotypique de la réponse au stress salin (fig. 19A). Pour ce faire, les chercheurs ont cultivé des plantules d’Arabidopsis sauvage (lignée Col-0) sur un milieu standard, puis les ont transférées sur un milieu soit standard, soit contenant 100 mM de NaCl, en utilisant un marquage particulier (cf. légende fig. 19A). Sachant que les racines latérales sont initiées (i.e. que leur formation est déterminée) à proximité de l’apex de la racine principale, et que les racines latérales poussent plus tardivement, on peut considérer que toutes les racines latérales observées dans la région 1 ont été déterminées avant transfert, et ont subi la majorité de leur croissance après transfert. On observe nettement que le transfert sur un milieu riche en NaCl cause une diminution drastique de la croissance des racines latérales (fig. 19A, panneau de droite), en comparaison à un milieu standard (fig. 19A, panneau de gauche). On peut interpréter cela comme une inhibition de l’émergence (i.e. de la croissance post-initiation) des racines latérales. Pour aller plus loin, on peut’essayer de comprendre les mécanismes sous-jacents expliquant ce phénotype.
Comme décrit dans le paragraphe précédent, un des effets d’une augmentation de la salinité du sol est une diminution de la quantité d’eau disponible dans le sol. C’est une contrainte également présente lors des situations de stress hydrique décrites au début de cet article. Cela met directement la puce à l’oreille vis-à-vis du contrôle de la réponse au stress osmotique salin : c’est l’ABA - dont on a précédemment démontré qu’il joue un rôle central dans la réponse au stress hydrique (b) - qui est probablement aussi responsable de la réponse au stress osmotique salin. C’est ce qui a été testé dans la deuxième expérience (fig. 19B). Dans cette dernière, les chercheurs ont utilisé des lignées transgéniques d’Arabidopsis exprimant le transgène ProRAB18:GFP, qui permet l’expression de la GFP sous le contrôle du promoteur ProRAB18, un promoteur activé par l’ABA. En d’autres termes, l’étude par microscopie des racines des plantules permet de suivre les zones dans lesquelles l’ABA est présent et actif : celles-ci fluoresceront en vert. 8h après traitement au NaCl, on observe une forte fluorescence verte dans la zone de différenciation de la racine, là où émergent les racines latérales (fig. 19B, panneau du bas) ; ce qu’on n’observe pas après un traitement standard (fig. 19B, panneau du haut). Cela signifie qu’en réponse à un milieu sursalé, de l’ABA s’accumule dans la zone où se trouvent les racines latérales. On peut alors logiquement faire l’hypothèse que c’est l’ABA qui bloque la croissance des racines latérales.
Grâce à d’autres expériences complémentaires, on a pu confirmer cette hypothèse et découvrir d’autres effets de l’ABA sur la racine. Ces différents résultats sont résumés en figure 19C. La perception des concentrations en Na+ et Cl- intracellulaires dans la racine déclenche la production d’ABA. À haute concentration, l’ABA inhibe globalement la croissance racinaire : il bloque l’émergence des racines latérales et stoppe la croissance de la racine principale ; ce qui restreint la surface d’échange entre la racine et le sol, limitant ainsi l’entrée d’ions Na+ et Cl- dans les cellules racinaires. Par ailleurs, l’ABA agit également à l’échelle cellulaire en activant la protéine SOS1 (Salt Overly Sensitive 1), un antiport Na+/H+. Cet antiport élimine activement le sodium intracellulaire vers le sol en exploitant un gradient transmembranaire de protons.
Pour résumer, l’ABA permet aux plantes de répondre au stress osmotique salin en modifiant la croissance et les transports transmembranaires au niveau de la racine, ce qui permet d’empêcher les ions Na+ et Cl- d’entrer à des doses toxiques pour les cellules.
Finalement, à travers nos deux stratégies d’étude (caractérisation des morpho-anatomies végétales et analyse de la régulation phytohormonale du fonctionnement des végétaux), on a pu expliquer les constats posés en introduction. On comprend ainsi que les plantes vivant dans des milieux stressants présentent des caractéristiques morpho-anatomiques particulières, façonnées par l’évolution, leur conférant une certaine résistance ou tolérance vis-à-vis des contraintes de ces milieux. Il existe une formidable diversité de ces dispositifs morpho-anatomiques, qui ont permis aux plantes terrestres de coloniser une grande variété de milieux : milieux secs et arides, milieux aquatiques, milieux froids... On remarque que la plupart de ces caractéristiques reposent sur des spécialisations de l’appareil végétatif (feuilles, tiges et racines) qui contribuent à diminuer les effets délétères des contraintes du milieu stressant sur le fonctionnement du végétal (fig. 20). Ainsi, les plantes sont adaptées à leur milieu de vie : chaque espèce de plante vivant dans un milieu possède des attributs maximisant sa propre valeur sélective dans ce milieu donné. C’est ce qui explique qu’on observe une majorité de Cactus et de plantes grasses dans les déserts, ou de Nénuphars et de Roseaux dans les lacs.
Par ailleurs, nous avons montré que les plantes sont également capables de réagir rapidement à un stress exceptionnel auquel elles n’étaient pas adaptées au départ. Cette adaptation dynamique, qu’on a qualifié d’acclimatation, passe par l’intégration des signaux de stress environnementaux par des phytohormones dites “de stress”, très conservées (l’acide abscissique et l’éthylène). L’action de ces hormones modifie la physiologie de la plante, ce qui lui permet de réagir rapidement selon toute une palette de modifications. Dans les faits, cela va d’une modification du fonctionnement (fermeture des stomates), à une modification profonde du phénotype (remodelage du cortex racinaire), en passant par une modification de la croissance (caulinaire et racinaire) (fig. 20). C’est en ce sens que l’on parle d’adaptation physiologique, une réponse adaptative rapide aux changements du milieu, qui diffère de l’adaptation morpho-anatomique en termes d’échelle de temps.
Figure 20. Les plantes face aux stress abiotiques : adaptations morpho-anatomiques et adaptations physiologiques (illustration : H. Caumon).
Adaptations morpho-anatomiques et adaptations physiologiques sont donc deux atouts qui permettent aux plantes de réaliser un véritable exploit : coloniser de nombreux milieux de manière pérenne, tout en étant soumises à la contrainte d’une vie fixée ! Cependant, on remarquera qu’à travers cet article, nous avons uniquement abordé les stress abiotiques environnementaux. Or, les plantes sont également à la merci des organismes alentours, pouvant potentiellement mettre en jeu leur survie : prédateurs, pathogènes, mais aussi compétiteurs végétaux constituent de véritables stress biotiques. Les dispositifs des plantes permettant de supporter ces stress biotiques doivent être radicalement différents de ceux associés aux stress abiotiques, aussi serait-il plutôt enrichissant de s’y intéresser. Nous nous y attèlerons peut-être dans un prochain article !
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