15 Janvier 2022
Les Trachéophytes, ou plantes vasculaires, sont capables d’établir d’étroites relations, aussi appelées symbioses, avec de nombreux micro-organismes. Au niveau racinaire, les plantes terrestres ont la capacité de s’associer avec des champignons, on parle de mycorhizes (fig. 1), mais également avec des bactéries aux voisinages du système racinaire : les rhizobactéries (ex. Rhizobium). Ces symbioses sont largement répandues dans les différents écosystèmes terrestres, aussi bien dans les zones arides que dans les zones tempérées.
Figure 2. Les différents types de mycorhizes (illustration : E. Force, d’après F. Le Tacon, 1985). En bleu : éléments du champignon ; en gris : éléments végétaux.
Figure 3. Photographie en microscopie optique d’une coupe transversale de rhizome fossile d’Aglaophyton de Rhynie (A) et détail au niveau de deux cellules (B) (crédit photo : F. Le Tacon & M.-A. Selosse).
Concernant les mycorhizes, il existe trois associations différentes : les ectomycorhizes, les endomycorhizes et les ectendomycorhizes (fig. 2). Les endomycorhizes sont majoritairement observées, et plus particulièrement les endomycorhizes dites à arbuscules (fig. 2). Celles-ci sont établies entre des racines de la plante et des Gloméromycètes, ou champignons mycorhizogènes. Ces champignons ont co-évolué avec les plantes terrestres depuis plus de 460 Ma, leur permettant très probablement de coloniser les divers écosystèmes terrestres grâce notamment à l’amélioration de la fonction de nutrition (fig. 3). Quant aux rhizobactéries, celles-ci colonisent la rhizosphère ou encore le système racinaire de la plante.
Ces deux associations symbiotiques sont caractérisées par un transfert bidirectionnel de nutriments. En effet, les Gloméromycètes, comme les rhizobactéries, étant hétérotrophes pour le carbone, les composés carbonés indispensables aux besoins énergétiques sont issus de la plante. L’estimation du carbone transféré de la plante vers les champignons varie entre 4 et 20% du carbone total chez la plante.
Les champignons mycorhiziens améliorent la nutrition en eau de la plante. Les rhizobactéries ainsi que les Gloméromycètes favorisent l’assimilation de sels minéraux par la plante en échange du carbone fourni par celle-ci. Ces échanges nutritionnels permettent d’une part une meilleure croissance des symbiotes et d’autre part une meilleure résistance de la plante aux stress biotiques et abiotiques. À l’heure du développement durable et de l’agriculture biologique, les mycorhizes et les rhizobactéries semblent être des acteurs majeurs des services écosystémiques (transfert de nutriments du sol à la plante, d’une plante à une autre, etc.) fournis par la nature aux sociétés humaines. Dans un tel contexte, ces symbioses représentent un enjeu majeur pour une agriculture plus durable en visant à réduire l’usage des pesticides et en permettant une amélioration de la production végétale.
En quoi certains micro-organismes du sol sont-ils à l’origine de services écosystémiques pour l’Homme ?
Les mycorhizes et la biostabilisation du sol
Figure 4. Glomaline représentée comme matériau immunoréactif (IM) sur les agrégats de sol et les hyphes d'un champignon mycorhizien arbusculaire (d’après Wright & Upadhyahy, 1998). A : agrégat provenant d'un sol collecté dans une zone non perturbée montre une IM à la surface. B : IM sur les hyphes (H) sur un agrégat du même sol. C : IM sur les hyphes d'un isolat de Gigaspora gigantea attaché à un morceau de film horticole en plastique. De nombreux petits morceaux de IM ont été vus comme de petits points sur le film horticole. (Barre d’échelle = 60 micromètres).
Les champignons mycorhiziens confèrent des bénéfices pour la structure du sol. En effet, les hyphes, observés en nombre dans les sols, ont la propriété d’agir sur la macro-agrégation des constituants du sol et par conséquent sur sa stabilité. Ces filaments mycéliens produisent une glycoprotéine extracellulaire, la glomaline, agglomérant de petites particules pour former des micro-agrégats de diamètre inférieur à 250 micromètres. Les micro-agrégats s’agencent ensuite pour donner des macro-agrégats stables de diamètre supérieur à 250 micromètres (fig. 4). L’amélioration de la stabilité du sol permet de limiter l’érosion, la perte de nutriments et de la matière organique par lixiviation, ce qui conduit alors à une augmentation de la pénétration de l’air et de l’eau dans le sol. Tout ceci favorise la productivité des cultures.
L’amélioration de la nutrition hydrique et minérale des plantes par les micro-organismes
Le rôle majeur des champignons et bactéries symbiotiques est l’amélioration de la nutrition hydrique et minérale de la plante, et ce, par des transferts d’eau et d’éléments minéraux, dont le phosphore et l’azote, des micro-organismes vers la plante. Ces transferts de matière permettent une augmentation de la croissance des plantes symbiotes. En effet, l’élongation des filaments mycéliens accroit la surface de contact entre la solution du sol et le système racinaire. Aussi, ces hyphes ont la capacité d’explorer des zones non accessibles pour les plantes non mycorhizées et y prélever l’eau et les autres nutriments pour les transférer à la plante hôte. En parallèle, certaines bactéries du genre Rhizobium permettent l’assimilation de l’azote atmosphérique (N2) pour la plante par la formation de nodosités.
Bactéries et champignons : une aide à l’assimilation de l’azote pour la plante
L’azote (N) est un composé fondamental pour les plantes. Il entre dans la formation des phospholipides, des coenzymes, des acides aminés (constituants des protéines) et des acides nucléiques (ADN et ARN). L’azote se retrouve sous deux types de formes dans le sol : une forme organique et une forme minérale. Ces formes sont assimilables par la plante grâce à certaines bactéries et autres Gloméromycètes.
Figure 5. A : Les différentes étapes de l’établissement de la symbiose rhizobienne (illustration : E. Force) ; B : schéma de l'organisation d'une nodosité (illustration : T. Duchateau).
Les racines des Fabacées, ou Légumineuses, rencontrent au sein de leur rhizosphère des bactéries du genre Rhizobium. Ces dernières pénètrent en quelques heures dans les racines par l’intermédiaire des poils absorbants ou des blessures. Les bactéries se multiplient ensuite dans le cortex de la racine qui réagit par une hypertrophie. Des galles, appelées bactériocécidies, se forment sur toute la longueur des racines : il s’agit de nodosités bactériennes ou nodules. En réponse à la multiplication bactérienne, la plante met en place une réaction de défense en internalisant les bactéries comme lors d’une phagocytose : les bactéries deviennent alors des bactéroïdes (fig. 5).
Figure 6. Modalités de la coopération entre le bactéroïde et la plante (illustration : T. Duchateau). Les échelles ne sont pas respectées.
La nodosité constitue une unité fonctionnelle regroupant des bactéroïdes capables d’assimiler le diazote atmosphérique. De plus, un pigment rouge analogue à l’hémoglobine, la leghémoglobine, est synthétisée par les cellules végétales. Ce pigment est indispensable à l’assimilation du diazote par les bactéroïdes. En effet, l’activité de la nitrogénase du bactéroïde (transformation du N2 en azote organique utilisable) est inhibée par le dioxygène ; c’est pourquoi la séquestration de l’O2 par la leghémoglobine est crucial. À l’issue de la réaction catalysée par la nitrogénase, l’ammoniac formé se combine à un sucre donnant alors un aminoacide directement transporté au sein des vaisseaux du xylème (fig. 6).
Quant aux filaments mychoriziens, ceux-ci sont capables de prélever l’azote à la fois sous une forme minérale (NH4+ et NO3-) et sous une forme organique (acides aminés). Les champignons mycorhiziens peuvent également favoriser la dégradation de la matière organique et augmenter la biodisponibilité de cet élément pour les plantes. L’assimilation de l’azote par les plantes nécessite des transporteurs localisés au niveau de l’interface sol-filaments mycéliens extra-racinaires. Ces transporteurs de l’azote sont codés par deux gènes : GintAMT1 et GintAMT2. Ces derniers sont des transporteurs de haute affinité pour les ions NH4+.
Les micro-organismes et le transfert du phosphore du sol vers la plante
La majorité des sols contient d’importantes quantités de phosphore (P) organique ou inorganique (entre 200 et 3 000 mg/kg de sol). Cet élément se retrouve généralement sous forme de phosphate inorganique lié à d’autres constituants cationiques du sol pour former des complexes avec du calcium (CaPO4) à pH élevé, et des complexes avec le fer (FePO4) ou l’aluminium (AlPO4) à pH faible. Le phosphore peut également s’observer sous forme de molécules organiques comme la lécithine, une molécule de la classe des phospholipides. Cependant, comparé à d’autres éléments minéraux, le phosphore est très peu mobile dans les sols. L’action de prélèvement de la solution du sol par les racines engendre rapidement des zones appauvries en phosphore à leurs alentours. Une très faible proportion, souvent inférieure à 1%, est directement disponible pour les plantes, rendant cet élément difficile à acquérir alors que les besoins en phosphore sont conséquents. Le phosphore est un élément indispensable à la vie des plantes : il entre dans la synthèse de nombreuses molécules comme l’ATP, les nucléotides, les phospholipides, certaines enzymes, ainsi que dans les processus énergétiques, de régulation, de signalisation, etc. Le phosphore est aussi stocké dans les vacuoles sous forme d’inositol-hexaphosphate ou phytate.
Les plantes ont élaboré des stratégies leur permettant d’accroitre leur capacité d’absorption à partir de la solution du sol. Une première stratégie consiste à augmenter la surface entre le système racinaire et le sol ce qui permet d’accéder à une plus grande quantité de phosphore directement disponible. Puis, une deuxième stratégie élaborée par la plante consiste à libérer le phosphore des complexes formés avec les divers cations en sécrétant des molécules telles que le malate ou le citrate entrant en compétition avec le phosphore. Aussi, des enzymes, les phosphatases, peuvent être synthétisées et libérées dans le sol pour minéraliser et rendre accessible le phosphore contenu dans les composés organiques.
Figure 7. La symbiose mycorhizienne et ses modalités d’échange entre les symbiotes (illustration : E. Force).
En parallèle de ces deux stratégies, l’absorption du phosphore (sous forme de phosphate) via les mycorhizes est possible (fig. 7). Cette dernière est la plus rencontrée.
Figure 8. Modalités de prélèvement des éléments azotés et phosphatés par les filaments mycéliens à partir du sol et transferts vers la plante (illustration : E. Force).
Les filaments mycéliens sont capables d’hydrolyser le phosphore organique en phosphore inorganique le rendant alors disponible dans le sol pour la plante, ou bien de le transférer directement à la plante hôte après son assimilation par le champignon (fig. 8). En échange, des glucides provenant de la plante sont distribués au champignon. Les cellules végétales au contact du champignon montrent une concentration en phosphore supérieure comparée aux autres cellules racinaires. Le prélèvement du phosphore par les hyphes s’effectue contre le gradient de concentration. Ceci nécessitant de l’énergie, le phosphore entre dans le cytoplasme via des symports Pi/H+ de haute affinité. De plus, il existe une importante diversité de transporteurs.
Les micro-organismes participent d’une part à la nutrition hydrique et d’autre part à la nutrition minérale des plantes, favorisant alors leur croissance. En quoi les champignons et les bactéries assurent-ils des services écosystémiques pour l’Homme ?
L’amélioration du rendement et de la qualité des productions végétales assurés par des micro-organismes
De multiples études rapportent que les micro-organismes du sol augmenteraient jusqu’à deux fois la productivité des plantes au sein des prairies. Par exemple, l’apport de champignons mycorhiziens ou de rhizobactéries (appelés PGPR pour Plant Growth-Promoting Rhizobacteria) en champ a permis d’améliorer la croissance de plusieurs espèces de Fabacées fourragères. Cet accroissement de la qualité du fourrage peut s’expliquer par l’amélioration de la nutrition minérale des plantes. En effet, les champignons et bactéries permettent une meilleure absorption du phosphore, élément indispensable au développement des organismes végétaux. En détails, les champignons mycorhiziens contribuent à 90% dans l’absorption du phosphore par les plantes.
De plus, des études récentes montrent que les mycorhizes ont un effet bénéfique à la fois sur la croissance et le rendement mais également sur la qualité des productions végétales. Les champignons mycorhiziens accroissent la concentration des huiles essentielles chez différentes plantes aromatiques comme l’Origan (Origatum vulgare), le Basilic (Ocimum basilicum) ou encore la Menthe (Mentha arvensis).
Aussi, l’apport de symbiotes mycorhiziens sembleraient avoir un impact sur la diversité des plantes : les mycorhizes augmenteraient de 30% la diversité des plantes dans les prairies européennes en favorisant l’installation des jeunes plantules et en améliorant la capacité compétitive de certaines espèces vis-à-vis d’espèces dominantes.
Figure 9. Modes d’action des rhizobactéries bénéfiques, conduisant à des effets de phytostimulation ou de phytoprotection (illustration : E. Force, d’après Vacheron et al., 2013).
Quant aux rhizobactéries, ces micro-organismes peuvent aussi améliorer la santé des plantes. En effet, les PGPR inhibent la prolifération de phytopathogènes des racines et peuvent conduire à l’induction d’une résistance systémique chez les plantes. Par exemple, l’inoculation du Blé aves la PGPR Pseudomonas fluorescens entraine une accumulation de protéines impliquées dans les réactions de défense (fig. 9).
De nos jours, les pratiques employées en agriculture conventionnelle semblent altérer ces interactions entre la plante et les micro-organismes du sol.
L’agriculture conventionnelle : un bref historique
Qu’est-ce que l’agriculture conventionnelle ?
Dans les années 1950, portée par les révolutions industrielles et chimiques, l’agriculture se modernise drastiquement au cours de ce que les historiens appellent « la révolution verte ». La modification des pratiques agriculturales est majoritairement conduite par une industrialisation prononcée ; le recours à des machines de récolte, de plantation ou d’irrigation conduisent, à l’époque, à un meilleur rendement, à des denrées alimentaires moins chères ainsi qu’à une réduction du nombre de personnes ou d’heures de travail à production équivalente.
Mais l’industrialisation n’est pas le seul changement qui s’opère : les industries chimiques et entreprises biotechnologiques s’emparent du marché et proposent aux agriculteurs des solutions chimiques (intrants azotés, intrants phosphorés, terreaux nutritifs…), génétiques (OGM…) et éradicatrices (bactéricides, fongicides, insecticides…). Ces solutions améliorent, à court terme, le rendement des cultures en fournissant de manière illimitée des éléments nutritifs (tels que le phosphore et l’azote) et en éliminant les pathogènes.
Les productions entrent aussi dans des utilisations de plus en plus diverses : pour nourrir les humains mais aussi pour nourrir le bétail dont l’élevage connait la même intensification ou pour produire des biocarburants/matériaux utiles. Il ne s’agit alors plus de produire des aliments mais des « matériaux bruts ».
De la révolution à la catastrophe
Au départ, l’agriculture conventionnelle permet de fournir des éléments limitants ou d’éliminer des pathogènes (qui affectent les rendements) là où l’on en a besoin. L’impact à court terme est donc une amélioration de la sécurité alimentaire directe ainsi qu’une amélioration du rendement.
Mais très vite l’agriculture conventionnelle se heurte à ses propres limites : les pathogènes se développent et s’adaptent, passent outre les mesures de défenses chimiques que l’agriculture conventionnelle consomme en abondance demandant alors de développer et de mettre sur le marché de nouveaux produits.
En à peine quelques décennies, les économistes et agriculteurs mettent en évidence un autre problème : malgré une consommation toujours plus grande de produits chimiques ainsi qu’un investissement toujours plus conséquent dans la recherche et le développement de technologies « conventionnelles », le rendement fléchit. Il n’évolue d’ailleurs plus depuis les années 2000 alors que les financements des entreprises de biotechnologies et la consommation de produits chimiques, eux, continuent d’augmenter.
De plus, la qualité des aliments, bien que plus faciles à produire, devient aussi de plus en plus mauvaise. Les études se multiplient démontrant les effets nocifs à long terme des pesticides et produits d’intrants sur la santé humaine (maladies auto-immunes, cancers…). En particulier, la valeur nutritive du Blé cultivé de manière conventionnelle est en chute libre.
D’autres problèmes indirects mais tout aussi dramatiques se présentent. Le phosphore, un des intrants chimiques les plus utilisés et les plus essentiels pour l’agriculture conventionnelle, est issu de l’exploitation de roches phosphorées. Ces roches sont rares et fournies par une poignée de pays. L’approvisionnement du phosphore mondial est majoritairement géré par le Maroc qui possède sur son territoire la plus grande (et la seule capable de soutenir l’agriculture mondiale) réserve de phosphore sous forme minérale. Une crise politique et/ou économique pourrait, de ce fait, avoir de graves conséquences sur la capacité à nourrir l’humanité et sur la sécurité alimentaire mondiale.
Mais quels sont les effets de telles pratiques sur les symbioses mises en place par la plante ? Ces effets peuvent-ils expliquer les échecs de l’agriculture conventionnelle ?
L’agriculture conventionnelle : observation des effets sur les interactions plantes-micro-organismes
Des effets alarmants : de la perte de diversité à la perte des services écosystémiques
Des études récentes mettent en avant un disfonctionnement sévère du prélèvement du phosphore au sein des agrosystèmes cultivés de manière conventionnelle. Dans un système agricultural conventionnel, les mycorhizes ne représentent plus que 0-30% de l’import de phosphore. La plante survient à ses propres besoins en absorbant 70-100% du phosphore qui lui est nécessaire pour sa croissance. À l’inverse dans un environnement naturel, les mycorhizes importent 80% du phosphore utilisable par la plante ! Cette perte drastique d’efficacité d’importation du phosphore est étudiée et mise en évidence dans tous les systèmes agriculturaux conventionnels.
Récemment, ces mêmes observations ont été réalisées sur des Fabacées associées à des bactéries Rhizobium. Dans ces cultures, les bactéries sont peu efficaces pour l’absorption du N2 atmosphérique et sont, statistiquement, beaucoup plus souvent pathogènes (et donc néfastes) que bénéfiques.
Les effets de l’agriculture conventionnelle impactent à la fois la fonction (perte de services écosystémiques et perte d’efficacité) et la diversité (perte de diversité des micro-organismes dans le sol) des agrosystèmes.
Une première hypothèse incomplète : la « symbiose inutile »
Une des premières hypothèses proposées par les chercheurs et ingénieurs agronomes a été que si l’on fournit à la plante les éléments dont elle a besoin en grande quantité, alors elle n’a plus besoin des bactéries ou des champignons pour prélever suffisamment ces éléments limitants. De fait, la plante ne fournit plus de carbone à ses symbiotes devenus inutiles. On peut alors penser que les symbiotes, privés de leurs ressources périssent ou deviennent pathogènes et parasitent la plante.
Quels seraient les effets de l’arrêt de l’importation de phosphore par l’Homme ? Les micro-organismes du sol impliqués dans les symbioses redeviendraient-ils efficaces ?
C’est le pari qu'a relevé certains agriculteurs, notamment au Mexique, où les intrants chimiques (azote et phosphore) ont été supprimés et remplacés par des substituts. Par exemple, des Fabacées (du genre Trifolium) bordant les cultures devraient, en théorie, enrichir le sol en azote grâce à leur association avec Rhizobium. Pourtant, le rendement des cultures n’était pas meilleur et l’efficacité des symbioses restait profondément impactée.
Cette expérience permet de mettre en évidence que les effets dramatiques de l’agriculture conventionnelle ne sont pas seulement liés à l’import du phosphore mais à d’autres facteurs, et qu’ils ne peuvent pas être uniquement expliqués par des symbiotes devenues « inutiles ».
L’agriculture conventionnelle et la destruction des relations plantes-micro-organismes : un modèle actualisé
Pourquoi les mycorhizes perdent-elles ces services écosystémiques suite à la pratique d’une agriculture conventionnelle ?
La faute revient d’abord aux pesticides (bactéricides et fongicides) utilisés à outrance par l’agriculture conventionnelle. Ces pesticides, destinés initialement à l’élimination des pathogènes, sont très nocifs pour les champignons et bactéries symbiotiques.
La dégradation des symbiotes conduit à deux effets :
Figure 10. Le modèle de modification des symbioses par l’agriculture conventionnelle (1/2). Les fongicides (dans le cas des mycorhizes, représenté ici) ou les bactéricides dans le cas des bactéries diazotrophes) modifient la nature et l’efficacité des symbioses. Ces pesticides éliminent les pathogènes mais limitent aussi le nombre et l’efficacité des symbiotes et rendent les relations plus ambiguës (moins efficaces, plus de triche…) (illustration : T. Duchateau).
Ces effets impactent généralement le rendement : les plantes possèdent moins de partenaires et ceux restants sont moins efficaces, voire tricheurs (fig. 10). La plante reçoit donc moins de phosphore et sa croissance est altérée. Ses symbioses deviennent plus ambiguës et certaines relations s'apparentent à du parasitisme (fig. 10).
Le sol reste néanmoins la « matière noire » de la recherche et de l’ingénierie agriculturale ; le système sol est très complexe, très régulé et peu étudié. À l’époque où ces premiers effets sont indéniables, peu d'individus pense à s'intéresser au sol pour expliquer la baisse du rendement.
Figure 11. Le modèle de modification des symbioses par l’agriculture conventionnelle (2/2). L’introduction des éléments limitants est le coup de grâce aux symbiotes. Malgré une efficacité moindre, les symbiotes restent relativement utiles. L’apport d’éléments limitants les rends totalement « inutiles » pour la plante qui n’a alors plus d’intérêt à les conserver. Les symbiotes ont donc le choix de périr ou de devenir parasites (illustration : T. Duchateau).
La solution est l’utilisation d’intrants. Autrement dit, si la plante n’est plus aussi développée qu’avant, il est important de lui procurer tout ce dont elle a besoin pour favoriser sa croissance ! L’import de phosphore, en particulier, intensif et non régulé (typique de l’agriculture conventionnelle) dans le sol permet à la plante de s'approvisionner en cet élément initialement limitant et devenu alors abondant (fig. 11). En conséquence, les symbioses déjà altérées et ambigües, deviennent extrêmement couteuses énergétiquement pour la plante, et perdent leurs bénéfices. L’utilisation des intrants agit alors comme un facteur crucial de modifications des interactions plantes-micro-organismes : les symbioses sont affaiblies, modifiées, peu efficaces, et l’import des éléments limitants les rend inutiles. Cela provoque alors le passage d'une relation symbiotique à une relation parasitaire (fig. 11). Ce processus a été très bien étudié chez Rhizobium, et récemment, des résultats similaires commencent à être observés pour les mycorhizes.
L’agriculture conventionnelle avec ses apports extérieurs modifie donc profondément le paysage évolutif des plantes et transforme les symbioses nécessaires à la plante en relation parasitaire au sein lesquelles les champignons et les bactéries, faute de pouvoir remplir leur rôle, se nourrissent au dépend de leur hôte. En conséquence, les plantes perdent leur capacité à s’associer de manière mutualiste avec ces micro-organismes, et le retour en arrière n’est alors plus possible (expliquant l’échec de l’expérience des agriculteurs mexicains citée précédemment). Les relations symbiotiques étant devenues des relations parasitaires, si on limite voire supprime les apports d’intrants, les plantes ne peuvent plus absorber les nutriments. Leur croissance est alors considérablement réduite voire même inhibée.
En somme, les associations symbiotiques mycorhiziennes et bactériennes apparaissent comme un acteur majeur des services écosystémiques rendus par la nature à la société humaine. Ces diverses symbioses ont un rôle fondamental dans la bioséquestration du carbone, le cycle des nutriments, la biodiversité végétale ainsi que la productivité des écosystèmes agricoles. L’introduction de pesticides et d’intrants, comme le phosphore, dans les champs a été un moyen utilisé par l’agriculture conventionnelle pour augmenter le rendement des productions végétales en fournissant un élément limitant. Ceci a eu pour conséquence de détruire les services écosystémiques apportés par certains micro-organismes du sol. Aujourd’hui, l’ajout de phosphore est devenu nécessaire pour compenser la perte de ces services écosystémiques, sans quoi le rendement des cultures serait fortement diminué. À l’heure du développement durable et d’une agriculture biologique, l’utilisation des champignons mycorhiziens et des rhizobactéries représente un enjeu crucial pour une agriculture visant à réduire l’emploi des intrants chimiques et à permettre une optimisation qualitative et quantitative de la production végétale.
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*Thomas Duchateau est doctorant en immunologie et virologie. Agrégé de sciences de la vie, sciences de la Terre et de l’univers. Vous pouvez le suivre sur Instagram : @L'Insta Scientifique.