1 Juin 2023
L’homéostasie, concept énoncé au XIXe siècle par Claude Bernard et Walter Cannon, s’appliquait au milieu intérieur, soit au liquide extracellulaire (LEC) baignant l’ensemble des cellules d’un organisme. Ce concept stipulait que les cellules compensaient le coût entraîné par une lutte contre les perturbations de leur liquide intracellulaire (LIC) seulement si le LEC était réglé sur ce dernier. En effet, la composition du LIC et du LEC s’établit sur une diversité de molécules fondamentales : un solvant, l’eau, et des solutés tels les sels, nutriments et autres molécules organiques et ions.
De ce concept initial d’homéostasie, il est possible d’expliquer les mécanismes permettant la régulation des concentrations en solutés au sein du LEC chez les animaux terrestres comme aquatiques. La concentration totale de tous les solutés définit la pression osmotique ; la concentration de chaque soluté ainsi que le volume total du liquide sont les deux paramètres majeurs intervenant dans la régulation de la pression osmotique interne ou osmorégulation.
Dans cet article, nous étudierons exclusivement les organismes aquatiques, autrement dit, les animaux vivant en milieu marin et en eau douce.
Comment le problème de l’eau et des ions, imputés aux déséquilibres entre les milieux intérieur et extérieur, est-il résolu par les animaux aquatiques ? Quels sont les mécanismes impliqués dans la régulation de la pression osmotique dans chaque milieu de vie ?
L’osmolarité des animaux aquatiques et les facteurs du milieu
Sommairement, il est possible de définir les êtres vivants comme des solutions aqueuses contenues par des membranes. Ainsi, deux paramètres fondamentaux caractérisent l’organisme : il s’agit du volume occupé par le solvant ainsi que les concentrations des substances en solution. Ces dernières sont dissoutes et exercent un potentiel osmotique pouvant conduire à des mouvements de matière avec le milieu extérieur.
Osmose et osmolarité
L’osmolarité est caractérisée par le nombre total de particules dissoutes par litre de solution. Elle s’exprime en Osm.L-1 ou plus souvent en milliosmoles par litre (mOsm.L-1). L’osmolarité équivaut au potentiel osmotique et se mesure par son opposée : la pression osmotique. Celle-ci, notée Π, est la pression générée par osmose. Autrement dit, il s’agit de la pression créée par un mouvement du solvant à travers une membrane semi-perméable. L’osmolarité est définie par la formule Π = R x T x C, avec :
Les substances osmotiquement actives, appelées osmolytes, sont des substances permettant d’augmenter la pression osmotique. Parmi elles, les ions sont les subtances qui possèdent le plus fort pouvoir osmotique.
L’étude de l’osmolarité d’un compartiment ne présente un intérêt que si cette dernière est comparée à l’osmolarité d’un compartiment voisin (fig. 1). Ces deux compartiments doivent être séparés par une membrane semi-perméable. Appliqué à un organisme, son osmolarité est comparée à celle du milieu extérieur. Se présentent alors trois situations :
Les facteurs du milieu et l’osmolarité des organismes aquatiques
Un organisme connaît de nombreux échanges inévitables et obligatoires avec son milieu de vie. Ces échanges provoquent des changements de l’osmolarité interne de l’individu. Plusieurs facteurs interviennent au sein de ces échanges :
Par exemple, l’Anguille d’Europe (Anguilla anguilla), vivant en eau douce (fig. 2), connaît un gain d’eau. Cependant, si cet animal est placé en milieu marin, il subit une perte d’eau.
Figure 3. Tégument de Petite roussette (Scyliorhinus canicula) en coupe transversale (crédit photo : E. Force, collection de l’ENS de Lyon).
Les Sélaciens, comme la Petite roussette (Scyliorhinus canicula), présentent un tégument d’une épaisseur égale à 500 mm environ (fig. 3). La faible épaisseur de ce tégument explique sa perméabilité à l’eau.
Figure 4. Tortue verte (Chelonia mydas) s’alimentant de plantes aquatiques (crédit photo : P. Lindgren).
Par exemple, chez la Tortue verte (Chelonia mydas), un Chélonien marin, son alimentation très salée provoque une augmentation de l’osmolarité interne (fig. 4).
L’osmolarité interne des animaux aquatiques est fonction de plusieurs facteurs vus ci-avant. Cependant, l’osmolarité du milieu externe peut également varier. Selon les milieux aquatiques, les organismes montrent des réactions différentes aux modifications de l’osmolarité de milieu externe.
Les réactions des animaux aux variations de l’osmolarité du milieu aquatique
Au sein d’un milieu, les conditions osmotiques ne sont pas constantes. En effet, les animaux aquatiques occupant les estuaires ou encore la zone de balancement des marées subissent des variations considérables de l’osmolarité de leur milieu. Ces variations sont majoritairement dues à des changements de la salinité du milieu. Selon la tolérance des organismes face aux modifications de salinité du milieu, il est possible de distinguer :
Figure 5. Les adaptations osmotiques des organismes marins (illustration : E. Force, d’après Sherwood et al., 2016). A : contenus en composants osmotiques de trois types d’adaptation chez les animaux marins ; B : différents types de réponses du liquide corporel des organismes à des changements des concentrations du milieu externe ; C : exemples de réponses de certains animaux aquatiques.
Des animaux aquatiques présentent la particularité d’être iso-osmotiques au milieu externe quand d’autres montrent d’importantes différences osmotiques. En termes de stratégies adaptatives, il est possible de remarquer deux grands types de réponse face aux variations osmotiques du milieu externe (fig. 5). Certains animaux aquatiques pratiquent la stratégie de l’osmoconformité : ils sont dits osmoconformes. Leur osmolarité interne suit l’osmolarité du milieu externe durant les variations. À l’opposé, d’autres organismes maintiennent une osmolarité interne stable malgré les changements d’osmolarité du milieu : ils pratiquent la stratégie de l’osmorégulation. Ces animaux sont dits osmorégulateurs. Néanmoins il est important de préciser que certains organismes sont osmorégulateurs jusqu’à devenir osmoconformes après le passage de limites physiologiques : on parle alors d’organismes osmorégulateurs partiels.
Comment les animaux osmorégulateurs stabilisent-ils leur osmolarité interne ? Quelles sont les différentes stratégies adoptées selon les milieux aquatiques ?
L’osmorégulation des animaux vivant en milieu aquatique
Les milieux aquatiques se caractérisent pas des osmolarités très variables. En effet, deux milieux sont distingués : marin et eau douce. Toutefois, entre ces deux milieux existe une gamme d’osmolarité allant du très dilué au très concentré. Par exemple, le milieu marin se compose de zones peu salées, telle la mer Baltique, et des zones très salées comme la Mer morte. Entre ces deux extrêmes se trouvent les océans (1 000 mOsm.L-1 environ), les estuaires ainsi que les eaux saumâtres. De plus, les eaux douces connaissent également des variations. En effet, certaines eaux de lacs possèdent une osmolarité inférieure à 10 mOsm.L-1, les eaux de rivières présentent une osmolarité avoisinant quelques dizaines de milliosmoles par litre, puis certaines eaux calcaires dites dures ont une osmolarité de 100 mOsm.L-1. En fonction de l’habitat, les organismes aquatiques font face à des contraintes osmotiques très variables.
L’osmorégulation en milieu marin
Les animaux vivant en milieu marin, très concentré en solutés, ont développé des stratégies différentes en fonction des groupes zoologiques. Généralement, les organismes de petite taille sont iso-osmotiques à l’eau de mer et une grande partie de ces animaux sont osmoconformes. Quant aux Vertébrés marins, hormis la Myxine et les Chondricthyens, ils sont hypo-osmotiques à l’eau de mer : est alors constatée une perte d’eau et un gain de solutés par ces êtres vivants.
Les Chondrichtyens, tels que les Requins, Raies et Chimères, maintiennent une osmolarité interne élevée en retenant des composés osmotiques actifs à savoir l’urée et l’oxyde de triméthylamine (TMAO) (fig. 5). Ceci leur confère une iso-osmoticité qui limite les pertes d’eau. Toutefois, des déséquilibres ioniques persistent obligeant les organismes à compenser les gains de solutés.
Figure 6. A : rein de Petite roussette en coupe transversale (crédit photo : E. Force & S. Heusser, collection de l’ENS de Lyon) ; B : glande rectale de Petite roussette en coupe transversale (flèche rouge : sécrétion d’ions sodium et chlorure) (crédit photo : E. Force & S. Heusser, collection de l’ENS de Lyon) ; C : schéma interprétatif de la sécrétion des ions chlorures par les cellules de la glande rectale des Chondrichtyens (illustration : E. Force).
L’excrétion des ions sodium et des ions chlorures est effectuée par le rein (fig. 6A) et une glande spécialisée dans cette fonction : la glande rectale (fig. 6B et C).
À l’opposé, les Téléostéens sont des animaux hypo-osmotiques à l’eau de mer. Les pertes d’eau sont compensées par l’eau de boisson. Quant aux ions en excès apportés par l’eau de boisson, ils sont éliminés par différents organes.
Figure 7. A : rein de Gardon en coupe transversale (crédit photo : E. Force & S. Heusser, collection de l’ENS de Lyon) ; B : œsophage de Gardon en coupe transversale (crédit photo : E. Force, collection de l’ENS de Lyon) ; C : schéma interprétatif de l’absorption d’eau et des ions par l’épithélium intestinal des Téléostéens en eau de mer (illustration : E. Force).
Tout d’abord, le rein (fig. 7A), peu efficace, ne rejette qu’une faible partie des ions divalents. Le reste est éliminés au niveau intestinal (fig. 7B et C).
Figure 8. A : branchie de Truite en coupe transversale (crédit photo : E. Force, collection de l’ENS de Lyon) ; B : ionocyte de Téléostéen marin en microscopie électronique à transmission (crédit photo : E. Force, d’après Richard et al., 2014).
Les autres ions en excès sont excrétés activement par des cellules branchiales spécifiques : les cellules à chlorures ou ionocytes (fig. 8).
Les Chéloniens marins sont également soumis aux mêmes contraintes environnementales tel l’excès de sel. En effet, leur nourriture ainsi que leur eau de boisson sont très salées. Pour équilibrer ces apports, ces espèces excrètent les ions par des glandes à sels, leurs reins sont peu efficaces et ne peuvent pas concentrer l’urine.
Quant aux Mammifères marins, comme les Cétacés, les Siréniens ou les Pinnipèdes, ils sont aussi confrontés à un excès de sels. Ces organismes ne présentent pas d’organes excréteur spécialisés. Néanmoins, ils possèdent des reins produisant une urine concentrée en ions, autrement dit hypertonique au plasma. L’efficacité des reins est toutefois limitée. En effet, pour éviter d’augmenter leur osmolarité interne, ces animaux ne boivent pas d’eau de mer.
Gains, pertes et régulations osmotiques majeurs et concentrations osmotiques des liquides internes chez les Vertébrés marins (illustration : E. Force, d’après Sherwood et al., 2016).
Qu’en est-il des organismes vivant en eau douce ?
L’osmorégulation en milieu dulçaquicole
Les contraintes osmotiques imputées au milieu dulçaquicole sont en grande partie opposées à celles du milieu marin. Ce milieu possède une osmolarité très faible, les espèces occupant les eaux douces sont pour la plupart hyper-osmotiques par rapport à ce milieu. Ces animaux doivent contrer une entrée d’eau engendrée par le gradient osmotique, ainsi qu’une perte d’ions au regard des gradients de concentration des ions sodium et chlorure. Une majeure partie des espèces vivant en eau douce est osmorégulatrice stricte ou partielle.
Les organismes dulçaquicoles limitent et compensent les flux entrants d’eau. Ils possèdent un tégument relativement imperméable à l’eau et ne boivent pas. Cependant, cette compensation passe aussi par une expulsion de l’eau en excédant. Cette expulsion d’eau s’effectue par le rein ou un autre organe excréteur semblable, comme les néphridies par exemple. L’urine ainsi produite est abondante.
Les pertes ioniques sont limitées par le tégument. Chez les Vertébrés, une importante réabsorption rénale des ions sodium, potassium, chlorure et magnésium est constatée (fig. 9). Ceci est également remarqué chez certains Arthropodes : les glandes antennaires et coxales permettent une réabsorption des sels utiles. En somme, l’urine produite est pauvre en ions et est très diluée. Il est important de noter que cette réabsorption n’est pas totale. Une partie des ions est éliminée, cela étant compensé par un apport alimentaire et par le prélèvement d’ions dans le milieu. Ce prélèvement est actif : chez les Téléostéens, ils s’effectuent au niveau des branchies par des cellules spécialisées appelées ionocytes.
Pour finir, certains animaux vivent dans des habitats aquatiques dits précaires. Au sein de ces milieux, la dessication conduirait la plupart des organismes à une mort inévitable. Néanmoins, des animaux invertébrés aquatiques occupant des étangs temporaires peuvent perdre presque la totalité de leur eau et survivre dans un état d’inactivité : il s’agit de l’anhydrobiose.
Figure 10. Anhydrobiose chez un Tardigrade (Echiniscus granulatus) observée en microscopie électronique à balayage (d’après Welnicz et al., 2011).
Les Tardigrades sont des Acariens d’une taille inférieure à 1 mm. Ces organismes vivent en eau douce, eau salée et autres milieux terrestres humides. Dans leur phase active, autrement dit lorsque le Tardigrade est hydraté, l’eau occupe environ 85% de sa masse. En anhydrobiose, état d’inactivité, l’eau représente alors 2% de la masse de l’animal (fig. 10). Cet état inactif peut perdurer pendant plusieurs années. La reprise de l’activité se fait seulement lorsque l’organisme rencontre une source d’eau permettant sa réhydratation.
Les animaux aériens, comme les animaux aquatiques, connaissent aussi des problèmes physiologiques liés à l’eau et aux ions. Ces derniers sont en grande partie causés par le caractère déshydratant du milieu aérien. En effet, les êtres vivants occupant le milieu aérien perdent de l’eau au niveau tégumentaire, lors du processus de la respiration ou encore lors de l’excrétion de métabolites azotés. En conséquence, ces organismes ont développé des mécanismes efficaces limitant ces pertes.
Bibliographie et sitographie
Beaumont A. et al.. Osmorégulation et excrétion. Belin, 2000. 255 p.. ISBN 978-2701126770
Christensen A. K. et al.. Branchial ionocyte organization and ion-transport protein expression in juvenile alewives acclimated to freshwater or seawater. Journal of Experimental Biology, 2012. n° 215, pp. 642-652.
François Y. & Saint-André P.-A.. Poissons. In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, [consulté le 11 septembre 2021]. Disponibilité et accès sur : https://www.universalis-edu.com/encyclopedie/poissons/
Gilles R. et al.. Physiologie animale. De Boeck, 2006. 675 p.. ISBN 978-2804148935
Heusser S. & Dupuy H.-G.. Atlas de biologie animale – Tome 2. Dunod, 2008. 215 p.. ISBN 978-210521357
Lahlou B.. Osmorégulation. In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopædia Universalis, [consulté le 11 septembre 2021]. Disponibilité et accès sur : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/osmoregulation/
Ouattara N. et al.. Influence de la salinité sur la structure des branchies et l’ultrastructure des ionocytes Chez le tilapia Sarotherodon melanotheron heudelotii provenant d'un estuaire hypersalé (Saloum, Sénégal). Journal of Applied Biosciences, 2014. n° 79, pp. 6808-6817.
Richard D. et al.. Mémo visuel de biologie. Dunod, 2014. 264 p.. ISBN 978-2100705399
Sherwood L. et al.. Physiologie animale. De Boeck, 2016. 904 p.. ISBN 978-2807302860
Welnicz W. et al.. Anhydrobiosis in tardigrades—The last decade. Journal of Insect Physiology, 2011. n° 57, pp. 577-583.