To Take Nature - La Nature sous toutes ses formes

La lumière et le développement des plantes

Avez-vous déjà soulevé une planche étant restée sur une pelouse pendant quelques semaines et remarqué que l'herbe qui poussait en dessous était beaucoup plus pâle et plus grêle que l'herbe environnante ? Ceci résulte du fait que la planche, opaque, garde l'herbe sous-jacente dans l'obscurité. Plus généralement, les semis cultivés dans l’obscurité ont une apparence pâle, inhabituellement haute et grêle. Ce type de croissance atypique est connu sous le nom de croissance étiolée, laquelle est considérablement différente de l'apparence plus trapue et verte des plantes cultivées à la lumière (fig. 1).

Figure 1. Plantules de Maïs (Zea mays) (A & B) et de Haricot (Phaseolus vulgaris) (C & D) cultivées soit à la lumière (A & C), soit dans l'obscurité (B & D) (crédits photos : M.B. Wilkins). Les symptômes d'étiolation du Maïs, Monocotylédone, et du Haricot, Edicotylédone, se manifestent par l'absence de verdissement et la réduction de la taille des feuilles. En plus de ces symptômes, le Maïs étiolé présente une incapacité des feuilles à se dérouler et un allongement du coléoptile et du mésocotyle. Dans le cas du Haricot, il présente en plus un allongement de l'hypocotyle (partie basse de la tige) et un maintien du crochet apical.

Figure 1. Plantules de Maïs (Zea mays) (A & B) et de Haricot (Phaseolus vulgaris) (C & D) cultivées soit à la lumière (A & C), soit dans l'obscurité (B & D) (crédits photos : M.B. Wilkins). Les symptômes d'étiolation du Maïs, Monocotylédone, et du Haricot, Edicotylédone, se manifestent par l'absence de verdissement et la réduction de la taille des feuilles. En plus de ces symptômes, le Maïs étiolé présente une incapacité des feuilles à se dérouler et un allongement du coléoptile et du mésocotyle. Dans le cas du Haricot, il présente en plus un allongement de l'hypocotyle (partie basse de la tige) et un maintien du crochet apical.

Étant donné le rôle clé de la photosynthèse dans le métabolisme des plantes, nous pourrions en première approximation attribuer une grande partie de ces différences morphologiques à l’indisponibilité de l’énergie dérivée de la lumière. Cependant, l’initiation de la transformation de l’état étiolé à l’état vert, ou désétiolation, nécessite très peu de lumière et de temps. En effet, lors du passage d’une phase de croissance sombre (se faisant à l’obscurité) à une phase de croissance claire (s’effectuant à la lumière), la lumière agit comme un déclencheur du développement plutôt qu’une source d’énergie directe. Les changements morphologiques sous-jacents (changement dans la forme de la plante, importante croissance souterraine, et aérienne dans une moindre mesure) commencent presque immédiatement après l’exposition à la lumière. Ainsi, la lumière agit comme un signal inducteur.

Bien que la photosynthèse ne soit pas le moteur de cette transformation (la chlorophylle, pigment vert nécessaire à la photosynthèse, n’est pas présente pendant cette période), la désétiolation complète nécessite une certaine énergie apportée par la photosynthèse. Par contre, les changements rapides initiaux sont exclusivement induits par une réponse lumineuse : il s’agit de la photomorphogenèse. Parmi les différents pigments impliqués dans les réponses photomorphogénétiques des plantes, les plus importants sont ceux qui absorbent la lumière rouge et bleue.

Dans cet article, nous aborderons les photorécepteurs de la lumière bleue en relation avec le phototropisme. Mais pour commencer, nous nous concentrerons sur le phytochrome, un pigment protéique qui absorbe principalement la lumière rouge et le rouge lointain, et qui est impliqué dans les processus développementaux végétatifs et reproductifs régulés par la lumière.

Les phytochromes : propriétés photochimiques et biologiques

Le phytochrome, un pigment protéique bleu n'a été identifié qu'en 1959, principalement en raison des difficultés techniques liées à l'isolement et à la purification de la protéine. Cependant, bon nombre des propriétés biologiques du phytochrome avaient été établies plus tôt dans des études sur des plantes entières.

Les premiers indices concernant le rôle du phytochrome dans le développement des plantes proviennent d’études débutées dans les années 1930 sur les réponses morphogénétiques induites par la lumière rouge, en particulier sur la germination des graines. La liste de ces réponses est désormais considérable et celles-ci concernent chaque étape du cycle biologique d'un large éventail de plantes (table 1).

Table 1. Réponses photoréversibles induites par le phytochrome dans une variété de plantes.

Table 1. Réponses photoréversibles induites par le phytochrome dans une variété de plantes.

Les effets de la lumière rouge (650 à 680 nm) sur la morphogenèse peuvent être inversés par une irradiation ultérieure avec une lumière de longueur d’onde plus longue (710 à 740 nm), appelée rouge lointain. Ce phénomène a été démontré pour la première fois sur des graines en germination : la germination des graines de Laitue est stimulée par la lumière rouge et inhibée par la lumière rouge lointain. Une autre découverte majeure a été réalisée plus tard, lorsque des graines de Laitue ont été exposées à des traitements alternés de lumière rouge et rouge lointain. En effet, près de 100% des graines ayant été exposées à une lumière rouge lors du traitement final ont germé. Cependant, les graines ayant été soumises à une lumière rouge lointain lors du traitement final n'ont majoritairement pas germé (fig. 2).

Figure 2. La germination des graines de Laitue est une réponse photoréversible typique contrôlée par le phytochrome (crédits photos : M.B. Wilkins). La lumière rouge favorise la germination des graines, mais cet effet est inversé par la lumière rouge lointain. Les graines imbibées (humidifiées avec de l'eau) ont reçu des traitements alternés de lumière rouge suivie de lumière rouge lointain. L’effet du traitement lumineux dépend du dernier traitement lumineux administré.

Figure 2. La germination des graines de Laitue est une réponse photoréversible typique contrôlée par le phytochrome (crédits photos : M.B. Wilkins). La lumière rouge favorise la germination des graines, mais cet effet est inversé par la lumière rouge lointain. Les graines imbibées (humidifiées avec de l'eau) ont reçu des traitements alternés de lumière rouge suivie de lumière rouge lointain. L’effet du traitement lumineux dépend du dernier traitement lumineux administré.

Les résultats précédents font émerger deux hypothèses. La première est qu’il existerait deux pigments, un premier absorbant la lumière rouge et un second absorbant la lumière rouge lointain, et que ces deux pigments agiraient de manière antagoniste dans la régulation de la germination des graines. Alternativement, il pourrait y avoir un seul pigment qui existerait sous deux formes interconvertibles : une forme absorbant la lumière rouge et une autre forme absorbant la lumière rouge lointain. Plusieurs années plus tard, les propriétés photoréversibles du phytochrome ont été démontrées in vitro, confirmant la seconde hypothèse.

La conversion des phytochromes

Chez les plantes cultivées dans l’obscurité, ou étiolées, le phytochrome est présent sous une forme absorbant la lumière rouge appelée Pr. En présence de lumière rouge, la forme Pr est convertie en une forme absorbant la lumière rouge lointain appelée Pfr. Cette forme Pfr, à son tour, peut être reconvertie en Pr après exposition à la lumière rouge lointain. Connue sous le nom de photoréversibilité, cette propriété de conversion/reconversion est typique du phytochrome, et peut être résumée comme suit :

Lorsque les molécules Pr sont exposées à la lumière rouge, la plupart l’absorbe et est convertie en Pfr. Puis, une partie des formes Pfr absorbe également la lumière rouge à l’origine de leur reconversion en Pr. En effet, les deux formes Pr et Pfr absorbent la lumière rouge (fig. 3).

Figure 3. Spectres d'absorption des phytochromes sous forme Pr (ligne verte) et Pfr (ligne bleue) (d’après Taiz & Zeiger, 2002).

Figure 3. Spectres d'absorption des phytochromes sous forme Pr (ligne verte) et Pfr (ligne bleue) (d’après Taiz & Zeiger, 2002).

Le phytochrome Pfr : une forme physiologiquement active

Les réponses physiologiques des phytochromes étant induites par la lumière rouge, elles pourraient résulter soit de l'apparition de la forme Pfr, soit de la disparition de la forme Pr. Des études ont été menées sur des mutants d'Arabidopsis incapables de synthétiser le phytochrome. Chez les plants de type sauvage, le phytochrome est un photorécepteur impliqué dans l’inhibition de l'élongation de l'hypocotyle (partie basse de la tige). Pour autant, certains des plants sauvages, cultivés sous une lumière blanche continue, présentaient de longs hypocotyles : il s’agissait d’individus mutés, nommés hy. Étant donné que la lumière blanche est un mélange de longueurs d’onde (y compris le rouge et le rouge lointain), certains mutants hy se sont révélés déficients en un ou plusieurs phytochromes fonctionnels. C’est alors que ces mutants déficients en phytochrome ont pu être utilisés pour identifier la forme physiologiquement active.

Si la réponse induite par le phytochrome à la lumière blanche (inhibition de la croissance des hypocotyles) est provoquée par l'absence de la forme Pr, les mutants hy (qui n'ont ni Pr ni Pfr) devraient avoir des hypocotyles courts aussi bien à l'obscurité qu’à la lumière blanche. Cependant, c’est le constat inverse qui a été fait : les mutants hy ont de longs hypocotyles à la fois dans l'obscurité et à la lumière blanche. En conséquence, l'absence de Pfr empêche les plants de répondre à la lumière blanche. La forme Pfr du phytochrome est donc physiologiquement active.

Structure protéique des phytochromes et gènes codant pour ces photopigments

Le phytochrome : structure dimérique et biosynthèse plastidiale

Le phytochrome natif est une protéine soluble dont la masse moléculaire est d'environ 250 kDa. Il se présente sous la forme d'un dimère constitué de deux sous-unités équivalentes. Chaque sous-unité est constituée de deux éléments : un chromophore (pigment absorbant la lumière) et une chaîne polypeptidique appelée apoprotéine. L'apoprotéine et le chromophore constituent ensemble l'holoprotéine. De plus, le chromophore du phytochrome est un tétrapyrrole linéaire appelé phytochromobiline et est attaché à l’apoprotéine par une liaison thioéther à un résidu de cystéine (fig. 4).

Figure 4. Structure des formes Pr et Pfr du chromophore (phytochromobiline) et de la région peptidique liée au chromophore par une liaison thioéther. Le chromophore subit une isomérisation cis–trans au niveau du carbone 15 en réponse à la lumière rouge et rouge lointain (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Andel et al., 1997).

Figure 4. Structure des formes Pr et Pfr du chromophore (phytochromobiline) et de la région peptidique liée au chromophore par une liaison thioéther. Le chromophore subit une isomérisation cis–trans au niveau du carbone 15 en réponse à la lumière rouge et rouge lointain (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Andel et al., 1997).

La forme Pr du phytochrome a été observée en microscopie à rayons X. Le polypeptide se replie en deux domaines principaux séparés par une région « charnière ». Le domaine N-terminal (environ 70 kDa) porte le chromophore ; le domaine C-terminal (environ 55 kDa) contient le site où les deux monomères s'associent pour former le dimère.

Par ailleurs, l'apoprotéine seule n’absorbe pas la lumière rouge ou rouge lointain. L’absorption de la lumière s’effectue lorsque le polypeptide est lié de manière covalente à la phytochromobiline (ou chromophore) formant ainsi l'holoprotéine (fig. 4). La phytochromobiline est synthétisée au sein des plastes à partir de l'acide 5-aminolévulinique par le biais d'une voie dérivée de la biosynthèse de la chlorophylle. Puis, la phytochromobiline rejoint le cytosol par un processus passif. L'assemblage de l'apoprotéine avec le chromophore est autocatalytique. Autrement dit, il se produit spontanément lorsque le polypeptide est mélangé avec le chromophore, sans intervention de protéines ou cofacteurs supplémentaires.

Les plantes mutantes qui n'ont pas la capacité de synthétiser le chromophore présentent des défauts dans les processus qui nécessitent l'action du phytochrome, même si les polypeptides apoprotéiques sont présents. Par exemple, plusieurs des mutants hy mentionnés précédemment, chez lesquels la lumière blanche ne parvient pas à inhiber l'élongation de l'hypocotyle, présentent des défauts dans la biosynthèse des chromophores. En effet, chez certains mutants hy, les niveaux d'apoprotéines sont normaux, mais il y a peu ou pas d'holoprotéine active spectralement. Dès lors qu'un précurseur de chromophore est fourni aux mutants, la croissance normale de l’hypocotyle est rétablie.

Une famille multigénique codant les différents type de phytochrome

Le clonage des gènes des phytochromes a permis de réaliser une comparaison détaillée des séquences d'acides aminés des protéines apparentées et des études des profils d'expression. Les premières séquences clonées provenaient d’espèces monocotylédones. Les recherches ultérieures ont indiqué que les phytochromes sont des protéines solubles. Un clone d'ADN complémentaire codant pour le phytochrome d’une espèce dicotylédone à savoir la Courgette (Cucurbita pepo) a été utilisé pour identifier cinq gènes codant pour les phytochromes. Cette famille multigénique, nommée PHY, se compose de cinq gènes : PHYAPHYB, PHYC, PHYD et PHYE.

Par ailleurs, l'apoprotéine seule (sans le chromophore) est désignée PHY ; l'holoprotéine (avec le chromophore) est désignée phy. Par convention, les séquences des phytochromes des autres plantes sont nommées en fonction de leur homologie avec les gènes PHY d'Arabidopsis. Les espèces monocotylédones semblent n'avoir que des représentants des gènes PHYA à PHYC, tandis que les espèces dicotylédones possèdent d'autres dérivés de gènes issus de duplications. Des mutants hy se sont révélés déficients en certains phytochromes. Par exemple, hy3 est déficient en phyB, et hy1 et hy2 sont déficients en chromophore.

Sur la base de leurs profils d'expression, les produits des membres de la famille des gènes PHY peuvent être classés comme phytochromes de type I ou de type II. PHYA est le seul gène qui code un phytochrome de type I. En effet, ces études sur des plantes contenant des formes mutées du gène PHYA ont confirmé cette conclusion et ont donné quelques indices sur le rôle de ce phytochrome dans les plantes entières. Le gène PHYA est transcriptionnellement actif dans les plantes cultivées à l'obscurité, mais son expression est fortement inhibée à la lumière chez les Monocotylédones. Par exemple, chez l'Avoine cultivée à l'obscurité, le traitement à la lumière rouge réduit la synthèse du phytochrome du fait que la forme Pfr inhibe l'expression de son propre gène. De plus, l'ARNm de PHYA est instable ; ainsi une fois que les plants d'Avoine étiolés sont transférés à la lumière, l'ARNm de PHYA disparaît rapidement. L'effet inhibiteur de la lumière sur la transcription de PHYA est moins spectaculaire chez les Dicotylédones ; chez Arabidopsis la lumière rouge n'a aucun effet mesurable sur PHYA. La quantité de phyA dans la cellule est également régulée par la dégradation des protéines. La forme Pfr de la protéine codée par le gène PHYA, appelée PfrA, est instable. Il existe des preuves que PfrA peut être marquée ou étiquetée pour être dégradée par le système d'ubiquitination. L'ubiquitine est un petit polypeptide qui se lie de manière covalente aux protéines et sert de site de reconnaissance pour un grand complexe protéolytique, le protéasome. Par conséquent, l'Avoine et d'autres Monocotylédones perdent rapidement la majeure partie de leur phytochrome de type I (phyA) à la lumière en raison d'une combinaison de facteurs : inhibition de la transcription, dégradation de l'ARNm et protéolyse :

Chez les Dicotylédones, dans une moindre mesure, les niveaux de phyA diminuent également à la lumière en raison de la protéolyse. Les gènes PHY restants (PHYB à PHYE) codent les phytochromes de type II. Bien que détectés dans les plantes vertes, ces phytochromes sont aussi présents dans les plantes étiolées. En effet, l’expression de ces gènes n'est pas significativement modifiée par la lumière, et les protéines phyB à phyE sont plus stables sous la forme Pfr que PfrA issue de phyA.

Caractéristiques des phytochromes et réponses physiologiques à l’échelle de la plante entière

Le spectre d'action des plantes étiolées répondant à une haute irradiance présente des pics dans les régions rouge lointain, bleu et UV-A

Les réponses à haute irradiance (HIR), comme l'inhibition de la croissance de l'hypocotyle, ont généralement été étudiées sur des plantes étiolées et cultivées dans l'obscurité. Le spectre d'action HIR de telles plantes est présenté dans la figure 5. Pour les HIR, le principal pic d'activité se situe dans la région du rouge lointain entre les maxima d'absorption de Pr et Pfr. Par ailleurs, il existe également des pics dans les régions bleue et UV-A.

Figure 5. Spectre d'action HIR pour l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle des plants de Laitue cultivés dans l'obscurité. Les pics d'activité pour l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle se produisent dans les régions UV-A, bleues et rouges lointaines du spectre (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Hartmann 1967).

Figure 5. Spectre d'action HIR pour l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle des plants de Laitue cultivés dans l'obscurité. Les pics d'activité pour l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle se produisent dans les régions UV-A, bleues et rouges lointaines du spectre (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Hartmann 1967).

Comme l'absence de pic dans la région rouge est inhabituelle pour une réponse médiée par le phytochrome, les chercheurs ont d'abord pensé qu'un autre pigment pourrait être impliqué. Un grand nombre de preuves soutient désormais l'idée que le phytochrome est l'un des photorécepteurs impliqués dans les HIR. Cependant, les scientifiques soupçonnent depuis longtemps que les pics dans les régions UV-A et bleue sont dus à un photorécepteur distinct qui absorbe les UV-A et la lumière bleue.

Pour tester cette hypothèse, le spectre d'action HIR pour l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle a été déterminé chez des mutants hy2 d'Arabidopsis cultivés dans l'obscurité, et qui ont peu ou pas d'holoprotéine fonctionnelle. Comme attendu, les plantes de type sauvage ont présenté des pics dans les régions UV-A, bleue et rouge lointain du spectre. En revanche, les mutants hy2 n'ont pas réagi à la lumière rouge lointain. Bien que les mutants hy2 déficients en phytochrome n'aient présenté aucun pic dans la région rouge lointain, ils ont montré une réponse normale aux UV-A et à la lumière bleue. Ces résultats démontrent ainsi que le phytochrome n'est pas impliqué dans le HIR à la lumière UV-A ou bleue, et qu'un photorécepteur bleu/UV-A distinct est responsable de la réponse à ces longueurs d'onde. Des études plus récentes indiquent que les photorécepteurs de lumière bleue cry1 et cry2 sont impliqués dans l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle par la lumière bleue.

Le spectre d'action de la réponse à une haute irradiance chez les plantes vertes présente un pic rouge majeur

Au cours d'études sur le HIR des plantules étiolées, on a observé que la réponse à la lumière rouge lointain diminue rapidement lorsque les plantules commencent à verdir. Par exemple, le spectre d'action pour l'inhibition de la croissance de l'hypocotyle des plantules vertes de la Moutarde blanche (Sinapis alba) cultivées à la lumière est illustré à la figure 6.

Figure 6. Spectre d'action HIR pour l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle des plants de Moutarde blanche (Sinapis alba) cultivés à la lumière (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Beggs et al., 1980).

Figure 6. Spectre d'action HIR pour l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle des plants de Moutarde blanche (Sinapis alba) cultivés à la lumière (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Beggs et al., 1980).

La perte de réactivité à la lumière rouge lointain continue est fortement corrélée à l'épuisement du pool photolabile de phytochrome de type I, qui se compose principalement de phyA. Cette découverte suggère que le HIR des plantules étiolées à la lumière rouge lointain est médié par phyA, tandis que le HIR des plantules vertes à la lumière rouge est médié par le phytochrome de type II phyB et peut-être par d'autres.

Jusqu'à présent, nous avons discuté des réponses régulées par le phytochrome telles qu'elles ont été étudiées en laboratoire. Cependant, le phytochrome joue un rôle écologique important pour les plantes dans l'environnement.

Les fonctions écologiques des phytochromes et les mécanismes cellulaires/moléculaires sous-jacents

Le ratio R/Fr impliqué dans l’évitement de l’ombre et la germination

Une fonction importante du phytochrome est de permettre aux plantes de détecter l’ombre faite par d’autres plantes. Les plantes présentant une réponse d'évitement de l'ombre sont caractérisées par une forte extension de leur tige en réponse à l'ombre. À mesure que l’ombre s’intensifie, le rapport lumière rouge (R):lumière rouge lointain (FR) diminue. Plus la proportion de lumière rouge lointain est importante, plus le Pfr est converti en Pr, et le rapport Pfr/phytochrome total (Pfr/Ptotal) diminue également. Lorsque le rayonnement naturel simulé a été utilisé pour faire varier la teneur en rouge lointain, il a été constaté que pour les plantes dites ensoleillées (plantes qui poussent normalement dans un habitat de plein champ), plus la teneur en rouge lointain est élevée (c’est-à-dire plus le rapport Pfr:Ptotal est faible), plus le taux d’extension de la tige est important (fig. 7).

Figure 7. Rôle du phytochrome dans la perception de l'ombre chez les plantes dites ensoleillées (ligne continue) par rapport aux plantes dites d’ombre (ligne pointillée) (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Morgan & Smith, 1979).

Figure 7. Rôle du phytochrome dans la perception de l'ombre chez les plantes dites ensoleillées (ligne continue) par rapport aux plantes dites d’ombre (ligne pointillée) (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Morgan & Smith, 1979).

En d’autres termes, l’ombrage simulé de la canopée (niveaux élevés de lumière rouge lointain) a provoqué une modification de l’allocation des ressources énergétiques au profit d’une croissance en hauteur de ces plantes. Cependant, cette corrélation n’était pas valable pour les plantes dites d’ombre, qui poussent normalement dans un environnement ombragé. Les plantes d’ombre n’ont peu ou pas de réduction de leur taux d’extension de tige lorsqu’elles ont été exposées à des valeurs R/FR plus élevées (fig. 7). Une relation systématique se dessine entre la croissance contrôlée par le phytochrome et l’habitat de l’espèce. Ces résultats sont considérés comme une indication de l’implication du phytochrome dans la perception de l’ombre.

Pour une plante ensoleillée, il existe une valeur adaptative dans l’allocation des ressources à une croissance d’extension plus rapide lorsqu’elle est ombragée par une autre plante. De cette façon, la plante ensoleillé peut pousser au-dessus de la canopée et acquiert une plus grande part de lumière non filtrée, la rendant  photosynthétiquement active. En contrepartie, l’allongement des entre-nœuds est généralement lié à une réduction de la surface foliaire et de la ramification. Toutefois, à court terme, une telle adaptation à l’ombre de la canopée est favorisée.

La qualité de la lumière joue également un rôle dans la régulation de la germination de certaines graines. Comme nous l’avons vu précédemment, le phytochrome a été découvert dans des études sur la germination des graines de Laitue, laquelle est dépendante de la lumière. En général, les espèces possédant d’importantes réserves nutritives peuvent aisément germer à l’obscurité. Cependant, la lumière est souvent cruciale dans la germination des graines des espèces herbacées, dont beaucoup restent dormantes même lorsqu’elles sont hydratées, si elles sont enterrées sous terre à l’abri de la lumière. Même à la surface du sol, le niveau d’ombrage par le couvert végétal (c’est-à-dire le rapport R:FR qu’elles reçoivent) est susceptible d’affecter leur germination. En effet, il est bien documenté que l’enrichissement en rouge lointain conféré par un couvert végétal inhibe la germination chez une large gamme d’espèces à graines dépourvues de réserves nutritives, pour lesquelles le développement post-embryonnaire est exclusivement dépendant de la lumière indispensable à la réalisation de la photosynthèse.

L'Arbre à trompettes (Cecropia obtusifolia) et le Piment de Veracruz (Piper auritum) dont des espèces tropicales poussant dans des forêts profondément ombragées. Chez ces dernières, l’inhibition de la germination peut être inversée par apposition d’un filtre lumineux immédiatement au-dessus des graines laissant passer la composante rouge de la lumière ombragée tout en bloquant la composante rouge lointain. Bien que la canopée transmette très peu de lumière rouge, le niveau est suffisant pour stimuler la germination des graines, probablement parce que la majeure partie de la lumière rouge lointain inhibitrice est exclue par le filtre et que le rapport R:FR est très élevé. Ces graines seraient également plus susceptibles de germer dans des espaces recevant la lumière du soleil à travers des trous dans la canopée que dans des espaces densément ombragés.

Les phytochromes et les rythmes circadiens

De nombreux processus métaboliques des plantes, comme la respiration, alternent entre des phases de forte et de faible activité selon une périodicité régulière d’environ 24 heures. Ces changements rythmiques sont appelés rythmes circadiens (du latin circa diem, qui signifie « environ un jour »). La période d’un rythme est le temps qui s’écoule entre les pics ou les creux successifs du cycle. Par ailleurs, si rythme persiste en l’absence de facteurs de contrôle externes, il est alors considéré comme endogène. La nature endogène des rythmes circadiens suggère qu’ils sont régis par un stimulateur interne, appelé oscillateur. L’oscillateur endogène est couplé à divers processus physiologiques. Une caractéristique importante de l’oscillateur est qu’il n’est pas affecté par la température, ce qui permet à l’horloge de fonctionner normalement dans une grande variété de conditions saisonnières et climatiques. On dit que l’horloge présente une compensation de température.

En revanche, la lumière est un puissant modulateur des rythmes chez les plantes et les animaux. En conditions de laboratoire, les rythmes circadiens ont généralement des périodes proches de 24 heures avec environ une heure de plus ou de moins. Dans la nature, leurs périodes ont tendance à être uniformément plus proches de 24 heures en raison des effets synchronisants de la lumière au lever du jour, appelés entraînement. La lumière rouge et la lumière bleue sont toutes deux efficaces pour l'entraînement. En effet, l’entraînement résulte de l’action du phytochrome au regard des effets réversibles causés par la lumière rouge lointain.

La lumière bleue agit également sur les rythmes circadiens, ses effets sont médiés par un ou plusieurs photorécepteurs spécifiques. L'isolement des gènes codant les photorécepteurs cryptochrome et phototropine, régissant les réponses régulées par la lumière bleue, a permis d'analyser si ces photorécepteurs ont des fonctions qui se chevauchent avec celles des phytochromes. Sachant que la période de floraison est sous le contrôle du phytochrome, une possibilité de chevauchement d’action des photorécepteurs a été suspectée. En effet, des étude menées chez des plantes mutées pour le gène cryptochrome cry2 ont montré un retard de la floraison après exposition à une lumière blanche continue (composée de rouge lointain).

Chez Arabidopsis, un traitement continu à la lumière bleue ou rouge lointain favorise la floraison, alors que la lumière rouge l'inhibe. La lumière rouge lointain agit par l'intermédiaire de phyA ; l'effet antagoniste de la lumière rouge se fait par l'intermédiaire de phyB. Sachant que la lumière bleue favorise la floraison, on pourrait s'attendre à ce que le mutant cry2 ait un retard de floraison. Cependant, les mutants cry2, tout comme les plantes sauvages, fleurissent sous une lumière bleue continue ou rouge continue. Un retard de floraison n'est observé que si la lumière bleue et la lumière rouge sont administrées ensemble. Par conséquent, cry2 fonctionne probablement en réprimant la fonction phyB causant ainsi la floraison.

On peut donc se demander comment agit la lumière bleue dans le développement des plantes.

La lumière bleue et la morphogenèse des plantes

Nous avons déjà tous observé des plantes d’intérieur placées près d’une fenêtre ayant des branches qui poussent vers la lumière entrante. Cette réponse, appelée phototropisme, est un exemple de modulation des pétrons de croissance en réponse à la direction du rayonnement incident. Une telle réponse à la lumière est intrinsèquement différente de l’utilisation de la lumière par la photosynthèse. Dans la photosynthèse, les plantes captent la lumière et la convertissent en énergie chimique. En revanche, le phototropisme est un exemple de l’utilisation de la lumière comme signal environnemental. Il existe deux grandes familles de réponses des plantes aux signaux lumineux : les réponses liées aux phytochromes vues ci-avant, et les réponses à la lumière bleue que nous allons détailler par la suite.

La physiologie des réponses à la lumière bleue

La lumière bleue stimule la croissance asymétrique et la flexion

La croissance directionnelle vers (ou dans des circonstances particulières dans le sens opposé) à la lumière est appelée phototropisme. Le phototropisme est une réponse photomorphogénétique particulièrement spectaculaire chez les plantes cultivées dans l'obscurité. La lumière unilatérale est couramment utilisée dans les études expérimentales, mais le phototropisme peut également être observé lorsqu'une plante est exposée à deux sources de lumière inégalement intenses, une condition qui peut se produire dans la nature.

Par exemple, lorsqu'elle pousse dans le sol, la plantule d'une graminée est protégée par une feuille modifiée qui la recouvre, appelée coléoptile (fig. 8). La perception inégale de la lumière dans le coléoptile entraîne des concentrations inégales d’hormones (auxine), du côté éclairé et ombragé, à l’origine d’une croissance inégale et d’une courbure. Toutefois, la courbure phototropique ne se produit que dans les organes en croissance. En effet, chez les jeunes plants d'herbe poussant dans le sol sous la lumière du soleil, les coléoptiles cessent de croître dès que la pousse a émergé du sol et que la première vraie feuille en a percé l'extrémité. En revanche, les coléoptiles étiolés à croissance sombre continuent de s'allonger à un rythme élevé pendant plusieurs jours et, selon l'espèce, peuvent atteindre plusieurs centimètres de longueur. La réponse phototropique de ces coléoptiles étiolés (fig. 8) en a fait un modèle classique pour les études du phototropisme.

Figure 8. Photographie accélérée d'un coléoptile de Maïs poussant vers une lumière bleue unilatérale, à droite. Les expositions consécutives ont été réalisées à 30 minutes d'intervalle. Noter l'angle de courbure croissant à mesure que le coléoptile se courbe (crédit photo : M. A. Quiñones).

Figure 8. Photographie accélérée d'un coléoptile de Maïs poussant vers une lumière bleue unilatérale, à droite. Les expositions consécutives ont été réalisées à 30 minutes d'intervalle. Noter l'angle de courbure croissant à mesure que le coléoptile se courbe (crédit photo : M. A. Quiñones).

Le spectre d'action illustré à la figure 9 a été obtenu en mesurant les angles de courbure des coléoptiles d'Avoine qui ont été irradiés avec de la lumière de différentes longueurs d'onde. Le spectre présente un pic à environ 370 nm et le motif « à trois doigts » dans la région de 400 à 500 nm évoquée précédemment. Le spectre d’action du phototropisme de la Luzerne (Medicago sativaxi, espèce dicotylédone) s’est avéré très similaire à celui des coléoptiles d’Avoine (espèce monocotylédone), ce qui suggère qu’un photorécepteur commun est impliqué dans le phototropisme chez les deux espèces.

Figure 9. Spectre d'action du phototropisme stimulé par la lumière bleue dans les coléoptiles d'Avoine. Un spectre d'action montre la relation entre une réponse biologique et les longueurs d'onde de la lumière absorbée. Le motif « à trois doigts » dans la région de 400 à 500 nm est caractéristique des réponses spécifiques à la lumière bleue (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Thimann & Curry, 1960).

Figure 9. Spectre d'action du phototropisme stimulé par la lumière bleue dans les coléoptiles d'Avoine. Un spectre d'action montre la relation entre une réponse biologique et les longueurs d'onde de la lumière absorbée. Le motif « à trois doigts » dans la région de 400 à 500 nm est caractéristique des réponses spécifiques à la lumière bleue (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Thimann & Curry, 1960).

Ces dernières années, le phototropisme de la tige de l’espèce modèle Arabidopsis (fig. 10) a suscité beaucoup d'attention en raison de la facilité avec laquelle des techniques moléculaires avancées peuvent être appliquées aux mutants d'Arabidopsis.

Figure 10. Phototropisme chez les plantules d'Arabidopsis sauvages (A) et mutantes (B). La lumière unilatérale a été appliquée depuis la droite (crédit photo : E. Huala).

Figure 10. Phototropisme chez les plantules d'Arabidopsis sauvages (A) et mutantes (B). La lumière unilatérale a été appliquée depuis la droite (crédit photo : E. Huala).

La détection de la direction du signal lumineux

Des gradients de lumière entre les côtés éclairés et ombragés ont été mesurés dans des coléoptiles et dans des hypocotyles de plantules de dicotylédones irradiées avec une lumière bleue unilatérale. Lorsqu'un coléoptile est éclairé avec une lumière bleue (450 nm), le rapport entre la lumière incidente à la surface du côté éclairé et la lumière qui atteint le côté ombragé est de 4 pour 1 à la pointe ainsi que dans la région médiane du coléoptile, et de 8 pour 1 à la base (fig. 11). Les gradients de lumière pourraient jouer un rôle dans la façon dont l'organe de courbure détecte la direction de la lumière unilatérale.

Figure 11. Distribution de la lumière bleue transmise à 450 nm dans un coléoptile de Maïs étiolé. Les schémas en coupe longitudinale du coléoptile en haut à droite montrent la zone mesurée par une sonde à fibre optique. Une coupe transversale du tissu apparaît au bas de chaque image. La trace au-dessus montre la quantité de lumière détectée par la sonde à chaque point. Un mécanisme de détection dépendant des gradients de lumière détecterait la différence de quantité de lumière entre les côtés éclairés et ombragés du coléoptile, puis cette information serait transduite en une concentration d'auxine et une courbure inégales (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Vogelmann & Haupt, 1985).

Figure 11. Distribution de la lumière bleue transmise à 450 nm dans un coléoptile de Maïs étiolé. Les schémas en coupe longitudinale du coléoptile en haut à droite montrent la zone mesurée par une sonde à fibre optique. Une coupe transversale du tissu apparaît au bas de chaque image. La trace au-dessus montre la quantité de lumière détectée par la sonde à chaque point. Un mécanisme de détection dépendant des gradients de lumière détecterait la différence de quantité de lumière entre les côtés éclairés et ombragés du coléoptile, puis cette information serait transduite en une concentration d'auxine et une courbure inégales (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Vogelmann & Haupt, 1985).

L’inhibition de la croissance de la tige par la lumière bleue

Les tiges des plantules poussant dans l'obscurité s'allongent très rapidement, et l'inhibition de l'allongement de la tige par la lumière est une réponse morphogénétique clé. Pour rappel, la conversion de Pr en Pfr (les formes de phytochrome absorbant le rouge et le rouge lointain, respectivement) dans les plantules étiolées provoque une diminution brutale des taux d'élongation, dépendante du phytochrome. Cependant, les spectres d'action pour la diminution du taux d'élongation montrent une forte activité dans la région bleue, qui ne peut pas être expliquée par les propriétés d'absorption du phytochrome (fig. 5).

Il existe plusieurs façons de séparer expérimentalement une réduction des taux d'élongation médiée par le phytochrome d'une réduction médiée par une réponse spécifique à la lumière bleue. Par exemple, si les plantules de Laitue reçoivent peu de lumière bleue sous un fond de lumière jaune intense, le taux d'élongation de l'hypocotyle est réduit de plus de 50%. La lumière jaune de fond établit un rapport Pr:Pfr bien défini. Dans de telles conditions, le peu de lumière bleue ajoutée est trop faible pour modifier significativement ce rapport, ce qui exclut un effet du phytochrome sur la réduction du taux d'élongation observé lors de l'ajout de lumière bleue. Les réponses de l'hypocotyle médiées par la lumière bleue et par le phytochrome peuvent également être distinguées par leur rapidité respective. Alors que les changements des taux d'élongation médiés par le phytochrome peuvent être détectés en 8 à 90 minutes, selon l'espèce, les réponses à la lumière bleue sont plus rapides et peuvent être mesurées en 15 à 30 s (fig. 12).

Figure 12. Modifications (A) induites par la lumière bleue dans les taux d'élongation des plantules de Concombre étiolées et (B) dépolarisation transitoire de la membrane des cellules de l’hypocotyle. Lorsque la dépolarisation de la membrane (mesurée avec des électrodes intracellulaires) atteint son maximum, le taux de croissance (mesuré avec des transducteurs de position) diminue fortement. La comparaison des deux courbes montre que la membrane commence à se dépolariser avant que le taux de croissance ne commence à diminuer, ce qui suggère une relation de cause à effet entre les deux phénomènes (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Spalding & Cosgrove, 1989).

Figure 12. Modifications (A) induites par la lumière bleue dans les taux d'élongation des plantules de Concombre étiolées et (B) dépolarisation transitoire de la membrane des cellules de l’hypocotyle. Lorsque la dépolarisation de la membrane (mesurée avec des électrodes intracellulaires) atteint son maximum, le taux de croissance (mesuré avec des transducteurs de position) diminue fortement. La comparaison des deux courbes montre que la membrane commence à se dépolariser avant que le taux de croissance ne commence à diminuer, ce qui suggère une relation de cause à effet entre les deux phénomènes (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Spalding & Cosgrove, 1989).

Une autre réponse rapide provoquée par la lumière bleue est une dépolarisation de la membrane des cellules de l’hypocotyle qui précède l’inhibition du taux de croissance (fig. 12). La dépolarisation de la membrane est provoquée par l’activation des canaux anioniques, ce qui facilite l’efflux d’anions tels que le chlorure. L’utilisation d’un bloqueur de canaux anioniques empêche la dépolarisation de la membrane dépendante de la lumière bleue et diminue l’effet inhibiteur de la lumière bleue sur l’élongation de l’hypocotyle.

La lumière bleue et la régulation des gènes impliqués dans la morphogenèse

La lumière bleue régule également l’expression de gènes impliqués dans plusieurs processus morphogénétiques importants. Certains de ces gènes activés par la lumière ont été étudiés en détail. On peut citer par exemple les gènes qui codent pour l’enzyme chalcone synthase (catalysant la première étape de la biosynthèse des flavonoïdes), et ceux codant pour la petite sous-unité de la rubisco ainsi que pour les protéines liant les chlorophylles a et b. La plupart des études sur les gènes activés par la lumière montrent une sensibilité à la fois à la lumière bleue et rouge, ainsi qu’une réversibilité rouge/rouge lointain, impliquant à la fois des réponses phytochromes et spécifiques à la lumière bleue. Une étude a rapporté que SIG5, l’un des six gènes nucléaires SIG d’Arabidopsis qui jouent un rôle régulateur dans la transcription d’un gène chloroplastique, est spécifiquement activé par la lumière bleue. En revanche, les cinq autres gènes SIG sont activés à la fois par la lumière bleue et rouge.

Les photorécepteurs à la lumière bleue

Les cryptochromes et l’inhibition de la croissance de la tige

Le mutant hy4 d'Arabidopsis ne présente pas l'inhibition de l'allongement de l'hypocotyle stimulée par la lumière bleue décrite plus haut. En raison de ce défaut génétique, les plantes hy4 présentent un hypocotyle allongé lorsqu'elles sont irradiées par la lumière bleue. L'isolement du gène HY4 a montré qu'il code une protéine de 75 kDa présentant une homologie de séquence significative avec l'ADN photolyase microbienne, une enzyme activée par la lumière bleue qui répare les dimères de pyrimidine dans l'ADN formés à la suite d'une exposition aux rayons ultraviolets. Au vu de cette similitude de séquence, la protéine hy4, renommée plus tard cryptochrome 1 (cry1), a été proposée comme étant un photorécepteur à lumière bleue médiateur de l'inhibition de l'allongement de la tige.

Les photolyases sont des protéines pigmentaires qui contiennent un flavine adénine dinucléotide (FAD) et une ptérine. Les ptérines sont des dérivés de la ptéridine qui absorbent la lumière et qui fonctionnent souvent comme pigments chez les Insectes, les poissons et les Oiseaux. Lorsqu'elle est exprimée dans Escherichia coli, la protéine cry1 se lie au FAD ainsi qu’à une ptérine, mais elle n'a pas d'activité photolyase détectable. Aucune information n'est disponible sur le ou les chromophores liés à cry1 in vivo, ni sur la nature des réactions photochimiques impliquant cry1, qui déclencheraient la cascade de transduction sensorielle à l’origine des différentes réponses à la lumière bleue.

La preuve la plus importante du rôle de cry1 dans l'inhibition de l'élongation de la tige médiée par la lumière bleue provient d'études de surexpression. La surexpression de la protéine cry1 dans les plants de Tabac ou d'Arabidopsis transgéniques entraîne une inhibition de l'élongation de l'hypocotyle stimulée par la lumière bleue, ainsi qu'une production accrue d'anthocyanine, une autre réponse à la lumière bleue (fig. 13). Ainsi, la surexpression de cry1 peut entraîner une sensibilité accrue à la lumière bleue chez les plantes transgéniques.

Figure 13. La lumière bleue stimule l'accumulation d'anthocyanes (A) et l'inhibition de l'élongation de la tige (B) chez les plantules transgéniques et mutantes d'Arabidopsis. Ces graphiques montrent un phénotype transgénique surexprimant le gène codant pour cry1 (CRY1 OE), le type sauvage (WT) et les mutants cry1. La réponse améliorée à la lumière bleue de la plante transgénique surexprimant le gène codant pour cry1 démontre le rôle important de ce produit génique dans la stimulation de la biosynthèse des anthocyanes et l'inhibition de l'élongation de la tige (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Ahmad et al.,1998).

Figure 13. La lumière bleue stimule l'accumulation d'anthocyanes (A) et l'inhibition de l'élongation de la tige (B) chez les plantules transgéniques et mutantes d'Arabidopsis. Ces graphiques montrent un phénotype transgénique surexprimant le gène codant pour cry1 (CRY1 OE), le type sauvage (WT) et les mutants cry1. La réponse améliorée à la lumière bleue de la plante transgénique surexprimant le gène codant pour cry1 démontre le rôle important de ce produit génique dans la stimulation de la biosynthèse des anthocyanes et l'inhibition de l'élongation de la tige (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Ahmad et al.,1998).

Un deuxième produit génique homologue à cry1, appelé cry2, a été isolé chez Arabidopsis. cry1 et cry2 semblent tous deux omniprésents chez les végétaux. Une différence majeure entre eux est que cry2 est rapidement dégradé à la lumière, tandis que cry1 est stable dans les plantes cultivées à la lumière. Les plantes transgéniques surexprimant le gène cry2 montrent une légère amélioration de l’inhibition de l’élongation de l’hypocotyle, ce qui indique que contrairement à cry1, cry2 ne joue pas un rôle principal dans l’inhibition de l’élongation de la tige. D’autre part, les plantes transgéniques surexprimant le gène cry2 montrent une forte augmentation de l’expansion des cotylédons stimulée par la lumière bleue. De plus, il a été démontré que cry1 est impliqué dans le contrôle de l'horloge circadienne chez Arabidopsis. Aujourd’hui, il est connu que des homologues des cryptochromes régulent l'horloge circadienne chez la Drosophile, la Souris et l'Homme.

Les phototropines et le phototropisme

Certains mutants d'Arabidopsis récemment isolés, dont le phototropisme de l'hypocotyle dépend de la lumière bleue, ont fourni des informations précieuses sur les événements cellulaires précédant la courbure. L'un de ces mutants, le mutant nph1 (hypocotyle non phototrope), s'est avéré génétiquement indépendant du mutant hy4 (cry1) évoqué précédemment. Le mutant nph1 n'a pas de réponse phototrope dans l'hypocotyle, mais présente une inhibition normale de l'élongation de l'hypocotyle stimulée par la lumière bleue, tandis que hy4présente le phénotype inverse. Récemment, le gène nph1 a été renommé phot1, et la protéine qu'il code a été nommée phototropine.

Une moitié de la phototropine contient deux domaines répétés, d'environ 100 acides aminés chacun, qui présentent des similitudes de séquence avec d'autres protéines impliquées dans la signalisation chez les bactéries et les Mammifères. Les protéines ayant une similitude de séquence avec cette moitié de la phototropine se lient aux cofacteurs de la flavine. Ces protéines sont des capteurs d'oxygène chez Escherichia coli et Azotobacter, et des capteurs de tension dans les canaux potassiques de Drosophiles et des Vertébrés. Lorsqu'elle est exprimée dans les cellules d'Insectes, la moitié de la phototropine aux domaines répétés se lie à la flavine mononucléotide (FMN) et présente une réaction d'autophosphorylation dépendante de la lumière bleue. Cette réaction ressemble à la phosphorylation dépendante de la lumière bleue d'une protéine membranaire de 120 kDa trouvée dans les régions de croissance des plantes étiolées.

En effet, le génome d'Arabidopsis contient un deuxième gène, phot2, qui est apparenté à phot1. Le mutant phot1 n'a pas de phototropisme de l’hypocotyle en réponse à la lumière bleue de faible intensité mais conserve une réponse phototrope à des intensités plus élevées. Le mutant phot2 a une réponse phototrope normale, mais le double mutant phot1/phot2 est fortement altéré à la fois à faible et à forte intensité lumineuse. Ces données indiquent que phot1 et phot2 sont tous deux impliqués dans la réponse phototropique, phot2 fonctionnant à des taux de flux lumineux élevés.

La transduction du signal lumineux bleu : exemple des phototropines et de leur liaison avec le chromophore flavine mononucléotide

Comme indiqué précédemment, les produits des gènes phot1 et phot2 exprimés in vitro se lient à la FMN et subissent une photophosphorylation en réponse à la lumière bleue. Des études spectroscopiques ont montré que les changements spectraux induits par la lumière bleue de la FMN liée à la phototropine ressemblent à ceux provoqués par la liaison de la FMN à un résidu cystéine de la phototropine. Cette réaction est inversée par un traitement à l'obscurité. Ces résultats suggèrent que l'irradiation bleue de la FMN liée aux protéines dans les cellules intactes provoque un changement de conformation de la phototropine qui déclenche l'autophosphorylation et démarre la cascade de transduction sensorielle.

L'analyse à haute résolution des changements de taux de croissance médiateurs de l'inhibition de l'élongation de l'hypocotyle par la lumière bleue a fourni des informations précieuses sur les interactions entre la phototropine, cry1, cry2 et le phytochrome phyA. Après un décalage de 30 s, les plantules d'Arabidopsis sauvages traitées à la lumière bleue montrent une diminution rapide des taux d'élongation au cours des 30 premières minutes, puis elles poussent très lentement pendant plusieurs jours (fig. 14).

Figure 14. Cascade de transduction sensorielle de l'inhibition de l'élongation de la tige stimulée par la lumière bleue chez Arabidopsis.

Figure 14. Cascade de transduction sensorielle de l'inhibition de l'élongation de la tige stimulée par la lumière bleue chez Arabidopsis.

Les taux d'élongation dans l'obscurité ont été normalisés à 1. Dans les 30 s suivant le début de l'irradiation par la lumière bleue, les taux de croissance ont diminué et se sont approchés de zéro dans les 30 minutes, puis ont continué à des taux très réduits pendant plusieurs jours. Si la lumière bleue est appliquée à un mutant phot1, les taux de croissance dans l'obscurité restent inchangés pendant les 30 premières minutes, ce qui indique que l'inhibition de l'élongation au cours des 30 premières minutes est sous le contrôle de la phototropine. Des expériences similaires avec les mutants cry1, cry2 et phyA indiquent que les produits géniques respectifs contrôlent les taux d'élongation à des moments ultérieurs (d’après Taiz & Zeiger, 2002 et Parks et al., 2001).

 

L'analyse de la même réponse chez les mutants phot1, cry1, cry2 et phyA a montré que la suppression de l'élongation de la tige par la lumière bleue pendant la dé-étiolement des plantules est initiée par phot1, avec cry1 et dans une moindre mesure cry2, modulant la réponse après 30 minutes. La lenteur de la croissance des tiges chez les plantules traitées à la lumière bleue résulte principalement de l'action persistante de cry1, et c'est la raison pour laquelle les mutants cry1 d'Arabidopsis présentent un long hypocotyle par rapport au type sauvage. Le phytochrome A joue également un rôle au moins dans les premiers stades de la croissance régulée par la lumière bleue. En effet, l'inhibition de la croissance ne progresse pas normalement chez les mutants phyA.

 

Pour conclure, qu’elle soit naturelle ou artificielle, la lumière joue un rôle prépondérant dans le développement des plantes (germination, croissance, floraison…). Ces dernières possèdent d’une part des mécanismes de conversion de l'énergie solaire (photosynthèse) mais aussi des systèmes multiples de perception de leurs conditions d'éclairement. Les plantes sont en effet capables de mesurer certaines caractéristiques du rayonnement (direction, durée, composition spectrale) qui agissent comme des signaux. Au sein des peuplements végétaux, les organes chlorophylliens sont soumis à des variations spatiales et temporelles très importantes du niveau et de la composition spectrale de la lumière. Les caractéristiques de la lumière naturelle dépendent principalement des conditions météorologiques alors que la lumière artificielle dépend du type de source considérée. En milieu urbain, la lumière naturelle est perturbée par les bâtiments provoquant des ombres portées. Ainsi, on peut se demander en quoi le développement des plantes de milieu urbain est-il adapté à des environnement fortement ombragés ?

 

Bibliographie

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