1 Juillet 2024
Les plantes, ici limitées aux Angiospermes, sont des organismes photolitoautotrophes appartenant à la lignée verte. Ce sont des producteurs primaires, soit des organismes ayant la capacité de produire leur propre matière organique à partir de molécules minérales via la photosynthèse. De plus, les plantes sont des organismes à l’interface entre l’air et le sol : ce sont des organismes polarisés. En effet, les plantes présentent un pôle souterrain ayant pour fonction l’ancrage et le prélèvement de l’eau et des sels minéraux du sol, ainsi qu’un pôle aérien impliqué dans la photosynthèse en échangeant des molécules minérales avec l’atmosphère. Ainsi, la production primaire des plantes s’apparente à un bilan global, à l’échelle de l’organisme tout entier, conditionné et structuré par les relations étroites entre les cellules, tissus, organes sources et puits de matière organique.
Un agrosystème est un écosystème manipulé par l’être humain en vue de produire des substances d’intérêts. Les plantes retrouvées au sein des agrosystèmes se limitent essentiellement à des espèces herbacées à l’origine de formations végétales peu anthropisées comme des prairies « naturelles » pâturées, ou encore des champs cultivés (monocultures céréalières, maraichères, horticoles…) témoins d’une forte anthropisation. Dans les agrosystèmes, les interactions plantes-espèce humaine ont façonné l’humanité depuis la naissance de l’agriculture au Néolithique jusqu’à la mondialisation que nous connaissons actuellement. D’ailleurs, une problématique majeure se pose de nos jours : comment exploiter des ressources végétales à partir d’agrosystèmes durablement gérés et raisonnés ?
La diversité des plantes cultivées et des usages
La diversité des usages des plantes
Voici ci-après un tableau représentant la diversité des usages des plantes cultivées corrélée d’une part aux grandes catégories de relations trophiques entre différents organes/tissus de la plante, et d’autre part à la nature des organes/tissus exploitées.
Par exemple, le Lin cultivé (Linum usitatissimum) est une plante utilisée dans l’industrie du textile. L’observation d’une coupe transversale de tige (fig. 1) présente un anneau vert-bleuté en périphérie composé d’une assise de quelques cellules mortes aux parois secondaires très épaisses (colorées en vert/bleu au carmin vert-d’iode) imprégnées de lignine, obstruant parfois complètement la lumière des cellules.
Figure 1. Coupe transversale de tige de Lin cultivé observée au microscope optique après une coloration au carmin-vert d’iode (illustration : E. Force, d’après Goudenhoof et al., 2017). La fibre de sclérenchyme se caractérise par un épaississement lamellaire de la paroi secondaire par apposition de lignine, jusqu’à combler la cellule morte.
Par ailleurs, la lignine est un polymère formé à partir de monomères polyphénoliques. Cette molécule, incrustée dans la paroi des cellules, confère des propriétés de résistance mécanique et de rigidité. Les cellules s’agglomèrent et forment des fibres composant un tissu de soutien appelé sclérenchyme. Pour un même diamètre, les fibres de Lin possèdent une résistance mécanique semblable à celle des fibres de verre. De ce fait, bien que majoritairement utilisées par l’industrie du textile, les fibres de Lin sont également employées comme matériau de construction.
Figure 2. A : photographie (à gauche) et schéma légendé (à droite) d’un tubercule de Pomme de terre ; B : photographie (à gauche) et schéma légendé (à droite) de cellules de parenchyme de tubercule de Pomme de terre, observées au microscope optique après coloration au lugol (X400) (illustrations : E. Force, à partir de T. Niermann et de K. Boufares).
Un autre exemple, la Pomme de terre (Solanum tuberosum) est une plante annuelle produisant des tiges souterraines tubérisées (ou tubercules) à l’extrémité de stolons souterrains. En détails, l’observation de cicatrices d’écailles foliaires ainsi que la présence de bourgeons à leur aisselle témoignent de la nature caulinaire de cette organe (fig. 2A). Ce dernier est formé d’un parenchyme de réserve aux cellules remplies de grains d’amidon (fig. 2B). Les grains d’amidon, polymères de glucose, sont issus de l’accumulation de la matière organique produite par la photosynthèse au niveau des feuilles (organes sources). Ainsi, les tubercules sont des organes puits de réserves glucidiques.
Les techniques d’exploitation et de récolte en lien avec le cycle des plantes cultivées
À l’instar de la Pomme de terre, plus généralement, les plantes distribuent et accumulent la matière organique synthétisée lors de la photosynthèse dans divers organes de l’appareil végétatif (tiges, feuilles et racines) mais également dans les fleurs, fruits et graines. Chez les plantes cultivées, la pratique culturale est en adéquation avec la nature de l’organe exploité ainsi qu’avec le type biologique de l’espèce employée. Quel que soit cette dernière, la période de récolte est dictée par sa phénologie. En voici ci-dessous quelques exemples :
Par ailleurs, de multiples procédés culturaux des plantes sont propices à la récolte de produits d’intérêts : en amont de la récolte, les semis de plantes annuelles, bisannuelles et autres plantation sont indispensables ; alors qu’en aval de la récolte se pose la question de la quantité de matière végétale exploitée ainsi que de la méthode employée. Est-il possible d’exploitée la totalité de la biomasse végétale produite (plante entière ou seulement certains organes perdurant en fin de saison) ou seulement une partie de celle-ci (récolte de fruits) ? Toutefois quelques procédés de culture optimisent la croissance et/ou la récolte : mise en place d’une exploitation sous serre, hors-sol (hydroponie), fertilisation artificielle, ou encore emploi de machines au moment de la récolte (moissonneuse-batteuse pour les céréales par exemple).
L’utilisation des plantes cultivées après la récolte
Selon les récoltes ainsi que l’utilisation et la consommation des produits récupérés, des transformations peuvent être nécessaires. Si aucune ou peu de transformations sont apportées aux produits directement consommés par le bétail (foin) ou l’être humain (choux, pomme de terre…), d’autres récoltes nécessites un tri partiel : à l’issu du moissonnage, un battage des céréales est effectué pour trier les grains. De plus, certaines exploitations demandent un tri ainsi qu’une transformation des récoltes comme lors de la production de farine à partir des céréales ou l’extraction du jus de raisin suivi de la fermentation alcoolique à l’origine de la vinification.
L’espèce humaine à l’origine de la diversité des plantes cultivées
Des plantes sauvages aux plantes domestiquées
La domestication définie l’ensemble des processus par lesquels une espèce sauvage connaît des transformations de traits phénotypiques suite à une interaction prolongée avec des populations humaines. Ces dernières exercent sur une population de l’espèce d’intérêt une forte pression de sélection au regard du choix des individus aux phénotypes marqués. De tels processus sélectifs mènent ainsi à l’apparition d’espèces dites domestiquées, dérivées d’une espèce ancestrale sauvage.
Quels sont les caractères phénotypiques modifiés au cours à la domestication d’une espèce sauvage ?
Différences phénotypiques entre variété cultivée et parent sauvage : les syndromes de domestication
Dans cette section, nous comparerons une espèce de céréale cultivée, le Maïs cultivé (Zea mays ssp. mays), avec son plus proche parent actuel sauvage à savoir la Téosinte (Zea mays ssp. parviglumis), une variété de Maïs sauvage. Une telle comparaison aborde les différents caractères phénotypiques modifiés au cours de la domestication en deux catégories : culture/récolte et usage/production.
Figure 3. Comparaison phénotypique entre la Téosinte (à gauche) et le Maïs cultivé (à droite) (illustration : E. Force, d’après CEMPS).
La différence entre une variété domestiquée et son progéniteur sauvage réside dans des caractères phénotypiques aux propriétés majeures :
Figure 4. Comparaison des épis à maturité chez une variété sauvage et une variété cultivée pour deux espèce de céréales, l’Orge et l’Engrain, montrant la libération des grains exclusivement chez les espèces sauvages. A : Orge sauvage (Hordeum spontaneum) ; B : Orge cultivé (Hordeum vulgare) ; C : Engrain sauvage (Triticum monococcum aegilopoides) ; D : Engrain cultivé (Triticum monococcum monococcum) (d’après Pourkheirandish et al., 2015, 2018). Barre d’échelle = 1 cm.
La présence des caractères défavorables chez nombreuses espèces domestiquées conduit à parler de « syndrome » de domestication. Ce dernier désigne l’ensemble des caractères phénotypiques discriminant une variété sauvage de sa variété cultivée.
Les gènes de domestication et les syndromes de domestication
Figure 5. Carte génomique de la région impliquée dans le mécanisme de déhiscence de l’axe de l’épi chez l’Orge sauvage (Hordeum vulgare spontaneum) (modifié d’après Pourkheirandish et al., 2015). Chez l’Orge sauvage (noté OUH602), deux gènes gouvernent conjointement le mécanisme de déhiscence de l’axe à l’épi : BRITTLE RACHIS-1 (BTR1) et BRITTLE RACHIS-2 (BTR2). Ces gènes ont également été séquencés chez deux variétés anciennes d’Orge cultivée (Hordeum vulgare vulgare) notées AZ et KNG. Les alignements des séquences nucléotidiques des gènes BTR1 et BTR2 ont été réalisés pour les trois variétés considérées.
Des études récentes ont permis de préciser le déterminisme génétique de la perte des mécanismes de déhiscence de l’épi (fig. 5), un caractère fixé de façon convergente chez la plupart des céréales domestiquées. En comparaison avec les séquences des deux gènes BTR1 et BTR2 chez l’Orge sauvage, les variétés domestiquées d’Orges présentent des délétions dans la séquence de ces gènes. De telles mutations provoquent un décalage du cadre de lecture menant à une altération des mécanismes naturels de déhiscence de l’épi par perte de fonction de la protéine correspondante (mutation affectant un exon du gène) ou par modification du niveau d’expression des gènes (mutation impactant une séquence régulatrice telle qu’un promoteur). Sachant que l’expression simultanée des deux gènes est cruciale dans la réalisation des mécanismes de déhiscence de l’épi, dès lors qu’une variété possède au moins un des deux gènes mutés, elle possèdera alors un phénotype « épis solides », comme toutes les variétés domestiqués d’Orges.
Au sein des populations d’Orges cultivées ayant BTR1 et BTR2 mutés, fixés par sélection positive et impliqués dans l’expression d’un caractère clé du syndrome de domestication, ces gènes sont ainsi qualifiés de gènes de domestication.
La domestication des plantes : origine géographique et temporelle
Figure 6. Proportion de grains provenant d’épis non déhiscents en fonction de l’âge de 15 lots de grains subfossiles issus de 2 espèces de céréales (Engrain, Triticum monococcum ; Orge, Hordeum vulgare) (modifié d’après Futter et al., 2012). Les lettres font référence aux 15 lots récupérés dans 15 sites archéologiques néolithiques au Proche-Orient (Israël, Palestine, Turquie, Syrie, Irak et Iran). La datation a été effectuée par la méthode au Carbone 14.
Sachant que l’épi non déhiscent (ou solide) est un caractère du syndrome de domestication chez différentes espèces de céréales, et d’après les données archéo-botaniques sur l’évolution des proportions de grains issus d’épis solides chez des espèces subfossiles d’Orge et d’Engrain (fig. 6), il est possible d’estimer l’avancement du processus de domestication de l’espèce considérée pour un temps donné. Par exemple, pour l’Orge et l’Engrain, les scientifiques ont remarqué une augmentation constante du pourcentage de grains issus d’épis non déhiscents jusqu’à avoisiner 100% sur une durée de 3 500 ans environ. Ce processus s’est déroulé de -10 000 à -6 500 ans, période correspondant au Néolithique. Ainsi, la domestication a été effectuée durant 3 500 ans et est considéré comme achevé dès -6 500 ans.
Par ailleurs, dans plusieurs régions du monde, des fouilles archéologiques datant du Néolithique (-12 000 à -9 500 ans) confirment la sédentarisation rapide de populations humaines accompagnée de la disparition du mode de vie ancestral chasseur-cueilleur au profit de l’émergence de l’agriculture. Des populations humaines néolithiques ont récolté et semé des grains issus de rares épis solides conduisant, après plusieurs générations, à une stabilisation de la production des grains. L’émergence de l’agriculture est probablement la conséquence d’une déstabilisation du climat au cours de cette période, demandant une standardisation dans la production de grains initialement très fluctuante, suivie par un accroissement démographique lié à la sédentarisation causant un besoin accru de grains.
Au regard des différents arguments botaniques et archéologiques vus ci-avant, l’origine du foyer de domestication d’une majeure partie des céréales cultivées (ex. Blé, Seigle, Orge et Avoine entre autres) se situerait dans une aire géographie au sein du Proche-Orient appelée Croissant Fertile. Cette dernière correspond à l’ancienne Mésopotamie, allant du delta du Nil et du Sinaï à l’Ouest jusqu’en Irak et Iran à l’Est.
L’identification d’une région géographique en tant que foyer de domestication nécessite deux conditions essentielles à savoir l’existence de populations naturelles de l’espèce sauvage supposée, et la présence d’une diversité considérable de variétés cultivées anciennes. Par exemple, une grande diversité d’espèces sauvages des céréales évoquées jusqu’alors sont présentes dans le Croissant Fertile (populations naturelles d’Orges, de Blés…) ou encore au Mexique (populations naturelles de Téosintes). De plus, au Mexique, de nombreuses variétés cultivées de Maïs sont retrouvées, confirmant ainsi le foyer de domestication dans cette zone géographique.
Par ailleurs, une question se pose : comment déterminer le nombre d’évènements de domestication ? Chez de nombreuses variétés de Maïs cultivé ainsi que chez des Téosintes, des séquences microsatellites (séquences d'ADN formées par une répétition continue de motifs généralement composés de 1 à 4 nucléotides) choisies comme marqueur moléculaire résolutif à l’échelle des populations ont été séquencées. La comparaison de telles séquences nucléotidiques mène à la construction de l’arbre phylogénétique en figure 7.
Figure 7. Arbre phylogénétique après comparaison de séquences microsatellites entre des Maïs cultivés et des Téosintes (illustration : E. Force).
Au sein de cette phylogénie, indépendamment de la région d’origine, les Maïs cultivés sont assemblés en un groupe phylogénétique (fig. 7). Ceci renseigne donc sur le fait qu’ils partagent tous un même ancêtre commun unique. En revanche, parmi les Téosintes, certaines sont proches des Maïs cultivés (variété parviglumis, originaire du centre du Mexique) alors que d’autre sont beaucoup plus éloignées phylogénétiquement (variété mexicana par exemple). De ce fait, les Maïs cultivés résultent d’un unique évènement de domestication au Mexique, et plus particulièrement dans le centre du Mexique (état de Oaxaca) à partir d’une population de Téosinte proche de la variété parviglumis actuelle.
En somme, une comparaison entre plante domestiquée et son plus proche parent sauvage permet de mettre en lumière la notion de syndrome de domestication aussi bien à l’échelle du phénotype que du génotype. De nombreux caractères clés des syndromes de domestication réduisent le succès reproducteur des individus et, dans la mesure où ses caractères sont héritables, la sélection naturelle entrainerait l’élimination de tels individus. Cependant, ils ont été sélectionnés au cours de leur domestication.
La sélection inconsciente/automatique : source de domestication
L’initiation de la domestication
Chez des populations de progéniteurs sauvages, beaucoup de caractères clés des syndromes de domestication ont été fixés précocement dès le début du processus de domestication. Cette fixation de caractères résulte d’une sélection inconsciente ou automatique, autrement dit d’une sélection de traits phénotypiques à l’issue d’interventions humaines sans aucune intention délibérée de modifier l’individu en question.
En considérant l’exemple de la perte des mécanismes de déhiscence des épis chez les céréales domestiquées, comment s’est déroulée la sélection convergent et précoce du caractère « épi solide » ?
Figure 8. Processus de sélection inconsciente/automatique chez une céréale à l’origine de la fixation du caractère « épi solide » dans les proto-champs (illustration : E. Force). WT : wild type ou type sauvage.
Dans les populations sauvages de céréales, des mutations spontanées confèrent des caractères phénotypiques changeants comme par exemple la mutation des gènes BTR rendant les épis solides. Ces individus, minoritaires, se retrouvent dans une population naturelle aux épis déhiscents (ou non solides) (fig. 8). La cueillette des grains s’effectue très souvent directement sur les épis ; les grains tombés au sol ne sont pas ramassés. De ce fait, une telle pratique provoque automatiquement et inconsciemment une considérable augmentation de la probabilité qu’une mutation impliquée dans la perte de la déhiscence de l’épi soit surreprésentée au sein de lots de grains récoltés (fig. 8). Dans le cas d’une cueillette stricte définit par la consommation de l’intégralité de la récolte, une mutation des gènes BTR ne serait pas transmise à la génération suivante et serait contre-sélectionnée dans les populations sauvages.
Au Néolithique, la cueillette stricte a laissé place à l’émergence de l’agriculture. C’est alors qu’une partie de la récolte est systématiquement semée à proximité des villages dans l’objectif de stabiliser les récoltes. La mutation des gènes BTR, surreprésentées dans les grains récoltés issus d’une population naturelle (fig. 8), devient également prépondérante dans la nouvelle génération (n+1). Puis, ce processus reconduit sur plusieurs générations mène à la fixation rapide de l’allèle muté au sein des populations cultivées de céréales (fig. 8). De telles populations cultivées sont ainsi totalement dépendantes des pratiques agriculturales humaines pour leur reproduction.
Ce cas s’apparente une descendance avec modification soumise à un crible sélectif semblable à la sélection naturelle et non à une sélection artificielle visant à améliorer les variétés. Ainsi, certaines populations de plantes sont soumises à une nouvelle pression de sélection environnementale liée à la présence de l’être humain sédentarisé.
La sélection massale et la diversification des variétés
Comme décrit précédemment, de nombreux caractères ont été précocement fixés au sein de populations lors de leur domestication grâce au maintien d’individus aux traits phénotypiques choisis par l’humain sans pour autant avoir une démarche d’amélioration. Les traits phénotypiques consciemment fixés sont très variables selon la diversité des usages et des pratiques employées par les communautés humaines. Par exemple, dans le cas du Maïs, un phénotype appelé « doux » a été fixé plusieurs fois dans des zones géographiques différentes d’Amérique du Nord. Un tel phénotype est la conséquence d’une mutation du gène SUGARY 1(SU1) codant pour une isoamylase intervenant dans la structuration de l’amidon. La mutation SU1 provoque la formation de réserves d’amidon fortement ramifiées : le phytoglycogène. Cette molécule est très hydrophile et son hydrolyse commence avant la germination rendant ainsi les grains de Maïs souples et très sucrés.
Le processus à l’œuvre est la sélection massale (fig. 9). Considérons une communauté humaine désirant une variété de céréale aux grains sombres ; la couleur des grains est gouvernée par un locus quantitatif héritable ou QTL, une région chromosomique où sont localisés un ou plusieurs gènes impliqués dans le caractère en question. À chaque récolte, les grains sont triés et ceux les plus sombres sont séparés des autres (fig. 9). Une partie des grains sombres est ensuite ressemée et à la prochaine récolte le processus de sélection est renouvelé. Ainsi de génération en génération, les grains sombres sont en proportions de plus en plus conséquentes dans les lots récoltés. Toutefois, le tri des grains est fastidieux et présente des imperfections du fait qu’elle est basée sur l’estimation visuelle du trieur. En conséquence, bien que la sélection mène à une surreprésentation du phénotype désiré dans la population cultivée, l’uniformisation ne sera jamais atteinte (fig. 9).
La sélection est donc un processus fortement diversifiant à large échelle géographique. Par ce mécanisme, une diversité des variétés cultivées dites « de pays » est observée aux alentours des foyers de domestication.
Croisements et sélection à l’origine de l’amélioration génétique des plantes
L’amélioration génétique des plantes s’effectue au travers d’une sélection délibérée ayant pour objectif de rassembler un ensemble de caractères uniformes d’intérêt au sein d’une même variété cultivée. Ceci est réalisé avec un désir d’uniformisation, aussi bien pour la culture que pour l’usage du produit.
Une première méthode, le backcross, repose sur l’introgression par rétrocroisement. Ici, le but est d’intégrer un nouvel allèle dans une variété cultivée et de conserver toutes les caractéristiques d’intérêt agronomique. Prenons l’exemple de la Tomate avec l’introduction d’un allèle conférant la couleur jaune des fruits dans une variété cultivée existante et stabilisée comme la Tomate « cerise ». En seulement 6 à 8 générations, il est possible d’obtenir une lignée quasiment identique à la variété receveuse avec cette fois des fruits désirés (fig. 10).
Figure 10. Principe de la méthode d’amélioration par rétrocroisement ou backcross (illustration : E. Force).
Comment combiner dans une même variété à la fois des caractères intéressants et complémentaires qui sont observés chez deux variétés parentales d’une espèce autogame, comme dans le cas d’une grande partie des céréales à savoir le Blé ? Pour ce faire, il est possible de pratiquer une méthode basée sur une sélection généalogique :
À l’issue de quelques générations, une lignée à forte homozygotie est obtenue et présente la combinaison des caractères des deux variétés parentales d’intérêt.
Par ailleurs, certaines pratiques permettent de former des variétés hybrides telles que le Cotonnier cultivé utilisé dans l’industrie du textile. Cette plante est issue du croisement entre deux espèces parentales Gossypium herbaceum et G. hirsutum, et a été sélectionnée pour sa production de gros fruits aux fibres plus longues et plus denses que celles prélevées chez les parents. De plus, tout comme chez le Cotonnier cultivé, les hybrides sont généralement interféconds. Toutefois, ces individus génèrent des graines ayant un faible taux de germination, et lorsque cette étape se produit, les plantule ont un fort taux de mortalité. Ainsi, la conservation des traits phénotypiques d’intérêts observés chez l’espèce hybride demande une sélection et une réutilisation pérenne des espèces parentales dans l’optique de produire des stocks de semences hybrides.
La modification génétique des plantes d’intérêts
Les plantes génétiquement modifiées (PGM) aussi appelées plantes transgéniques sont des organismes au génome ayant incorporé un gène d’intérêt ou transgène. Ce dernier provient d’un autre organisme végétal ou non. Un tel transfert de gène implique l’utilisation de techniques du génie génétique, à savoir la transgenèse.
Un illustre exemple est celui du Maïs Bt, mis au point peu avant les années 2000. Le Maïs Bt est une variété transgénique portant un gène de résistance à un ravageur de culture à savoir la Pyrale du Maïs (Ostrinia nubilalis). Le transgène a été récupéré à partir du génome d’une bactérie entomopathogène appelé bacille de Thuringe (Bacillus thuringiensis) (fig. 11).
Figure 11. Principe de la transgène (biologique via Agrobactérium) permettant l’obtention d’un Maïs génétiquement modifié (illustration : E. Force).
La transgenèse conduite sur une lignée pure de Maïs cultivé a permis d’introduire un gène d’intérêt. De plus, cette technique favorise le développement d’autres PGM à l’origine d’avancée agronomiques majeures comme le Maïs espB qui est résistant à la sécheresse par l’intégration d’un transgène codant pour une protéine du stress hydrique, ou comme le « riz doré » produisant des caroténoïdes dans l’albumen suite à l’intégration de deux gènes codant pour des enzymes de la biosynthèse de ces pigments en provenance de la Jonquille et d’une bactérie. La fabrication du « riz doré » riche en carotène, avait pour objectif de pallier les carences en vitamine A de certaines populations humaines.
Par ailleurs, la consommation directe des PGM ainsi que leur maintien dans l’environnement n’a pas de conséquences avérées bien que des questions éthiques peuvent être posées. Aujourd’hui, de nouveaux outils moléculaires tels que Crispr-Cas9 améliorent et facilitent les techniques de transgenèse, et suscitent d’importants débats dans la société.
Les conséquences génétiques et agronomiques de la domestication
La domestication engendre des conséquences génétiques d’une part. Par exemple, une estimation de la diversité génétique chez une variété sauvage d’Engrain (variété à l’origine des Blés durs modernes), chez une variété ancienne d’Engrain cultivé du Croissant Fertile ainsi que chez deux autres variétés de Blé dur moderne, renseigne sur une nette diminution de la diversité génétique durant la domestication. Cette conséquence peut être expliquée du fait, qu’à chaque étape de la domestication, des phénomènes de rééchantillonnages interviennent successivement dans de petites populations. Ceci entraîne des pertes considérables d’allèles suite à des mécanismes évolutifs à savoir la dérive génétique et l’effet fondateur, lesquells sont suivis par une uniformisation génétique sous l’effet de l’utilisation de diverses techniques d’amélioration des plantes évoquées ci-avant.
En outre, moultes variétés de plantes cultivées sont polyploïdes : elles possèdent un patrimoine chromosomique au moins égal à 3 lots complets de chromosomes voire plus. Chez les Blés cultivés, il existe par exemple des Blés diploïdes (2n), tétraploïdes (4n) et hexaploïdes (6n). Cette diversité de ploïdie est due à deux évènements d’allopolyploïdisation par hybridation (fig. 12). À la suite, les Blés tétra et hexaploïdes ont été domestiqués à l’origine de l’obtention des Blés durs (4n) ainsi que des Blés tendres et épeautres (6n). La domestication de telles espèces polyploïdes s’est basée sur la sélection de traits phénotypiques comme la grande taille et la production de gros grains.
La place des plantes cultivées dans la structure, le fonctionnement et la dynamique des agrosystèmes
Manipulation du biotope et apport d’intrants favorisant la production primaire brute des agrosystèmes
Annuellement au sein d’un agrosystème, la quasi-totalité de la matière organique produite par les plantes cultivées est exportée. De ce fait, le temps de résidence de la matière organique est court voire très court empêchant son recyclage in situ. En conséquence, comparés aux écosystèmes naturels, les agrosystèmes se caractérisent par des flux de matière et d’énergie déséquilibrés. De tels perturbations nécessitent l’apports de fertilisants ou engrais compensant l’absence de recyclage de la matière organique et optimisant la production. Par ailleurs, en plus des déficits engendrés par une absence de décomposition de la matière organique, les agrosystèmes ont également besoin d’eau en quantité souvent considérable (ex. culture de Maïs). En ce sens, des pratiques limitent les pertes en eau par évaporation ou ruissellement telles que la mise en place de bandes enherbées et la polyculture.
Les interactions biotiques avec les plantes cultivées au sein des agrosystèmes
Des plantes dites adventives ainsi que des ravageurs de cultures entraînent une diminution significative du rendement des plantes cultivées et notamment dans le cas des monocultures. Néanmoins, ces interactions négatives pour les plantes cultivées (compétition, phytophagie, parasitisme…) sont réduites voire empêchées par l’apport d’intrants et autres produits phytosanitaires comme des herbicides ou des pesticides limitant respectivement la compétition et la phytophagie.
D’autres interactions avec des organismes vivants sont bénéfiques pour les plantes cultivées. Un illustre exemple est celui de la symbiose Rhizobium-Fabacée. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter la section « L’amélioration de la nutrition hydrique et minérale des plantes par les micro-organismes » de l’article « Comment l’agriculture conventionnelle a-t-elle détruit les services écosystémiques apportés par des champignons et des bactéries ? ».
Les plantes cultivées et la biodiversité dans les agrosystèmes
Au sein des agrosystèmes, les plantes cultivées présentent plusieurs effets sur la biodiversité. Tout d’abord, au niveau génétique, la présence des plantes cultivées cause un appauvrissement de la diversité génétique. Ceci présente notamment des risques d’introgression (transfert de gènes d'une espèce vers une autre espèce, génétiquement proche à l’issue d’interfécondation) dans les réservoirs de plantes sauvages par exemple. Puis, au niveau de l’espèce, les plantes cultivées diminuent la richesse spécifique des agrosystèmes, et ce, d’autant plus dès lors qu’il s’agit de monoculture, ou lors d’application de produits phytosanitaires entraînant la régression des plantes dites messicoles.
Plus largement, au niveau des communautés, la biocénose des agrosystèmes est appauvrie ; celle des sols est drastiquement affectée par la compaction et la non décomposition de la matière organique. De plus, il est possible d’observer des perturbations de la biocénose par l’arrivée d’espèces envahissantes, des pathogènes, ou encore des parasites. Des espèces allochtones peuvent aussi devenir envahissantes comme la Pyrale du Maïs. Par ailleurs, au-delà des plantes, les communautés de polinisateurs sont fortement affectées, notamment par l’ajout de pesticides…
En outre, les agrosystèmes de type champs et prairie sont des écosystèmes artificiels maintenus dans un stade juvénile au sein des successions écologiques. Ceci est la conséquence directe d’activités humaines ou bien du pâturage. Un abandon de culture est suivi un par évolution des stades dans les successions écologiques jusqu’à une fermeture des milieux. En somme, les agrosystèmes influencent la dynamique des communautés et des habitats.
À ce jour, plusieurs questions se posent quant à la gestion des agrosystèmes au regard de problématiques et enjeux sociétaux divers dont l’augmentation de la démographie et les besoins alimentaires ainsi que la mondialisation et la nécessité de développer une agriculture durable.
Bibliographie et sitographie
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