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La vie embryonnaire des Insectes

Figure 1. Œuf centrolécithe des Insectes (illustration : E. Force). Vi : vitellus.

Figure 1. Œuf centrolécithe des Insectes (illustration : E. Force). Vi : vitellus.

L’œuf des Insectes est très riche en vitellus. Ce dernier prend place au centre de l’œuf : on parle d’œuf centrolécithe (fig. 1). C’est à partir de ces réserves vitellines que le développement embryonnaire des Insectes est permis. En parallèle, le développement de l’embryon nécessite aussi de l’eau ainsi que du dioxygène. L’œuf étant une structure fragile, sa protection est assurée par une enveloppe rigide : le chorion. Cette enveloppe n’est pas imperméable. En effet, l’eau peut être absorbée au niveau du pôle hydropyle, le dioxygène diffuse à travers le chorion par des pores, canalicules ou encore d’autres structures spécifiques à certaines espèces. Grace au vitellus, à l’eau et au dioxygène, le développement de l’embryon peut se réaliser au sein du chorion.

De plus, l’œuf, cellule polarisée, comporte des molécules tels des acides nucléiques (ARN messagers) et des protéines. Ces molécules se déposent de façon localisée. La distribution des molécules au sein de l’œuf est à l’origine de l’établissement d’une polarité antéro-postérieure et d’une polarité dorso-ventrale. La première est déterminée par des ARNm ainsi que par la protéine bicoïd, la seconde est établie par des ARNm et la protéine nanos.

Comment se déroule le développement embryonnaire des Insectes ? Quels sont les facteurs intervenant dans le développement de l’embryon ?

Le développement embryonnaire des Insectes à partir du cas de la Drosophile

Figure 2. Drosophila melanogaster (crédit photo : Checker).

Figure 2. Drosophila melanogaster (crédit photo : Checker).

L’étude du développement embryonnaire des Insectes est bien documentée, notamment dans le cas d’une Mouche : la Drosophile (Drosophila melanogaster) (fig. 2). Chez ce Diptère, le développement de l’embryon est très rapide et dure environ 24 heures. Aussi, la connaissance précise de son développement embryonnaire repose en particulier sur la possibilité de provoquer de nombreuses mutations affectant celui-ci. Cela permet d’identifier notamment les gènes impliqués dans le développement de l’embryon. Ces diverses études ont conduit à montrer un ensemble de mécanismes fondamentaux, bien conservés dans le domaine animal.

De la segmentation de l’œuf à la différenciation des tissus embryonnaires

Le développement embryonnaire des Insectes commence par une multiplication du nombre de noyaux de la cellule œuf. Ces derniers se répartissent en périphérie. La cellularisation du syncitium ne débute qu’après la formation de 256 noyaux. De plus, elle concerne en premier lieu la zone postérieure de l’œuf. Les cellules ainsi formées donneront les cellules germinales primordiales responsables de la formation des cellules reproductrices. La cellularisation gagne le reste de l’œuf, alors que la multiplication nucléaire continue jusqu’à la formation d’environ 6 000 noyaux, soit 6 000 cellules. À ce stade, les cellules périphériques, en grand nombre, forment le blastoderme. Les cellules centrales ont un rôle dans la consommation des réserves vitellines et constituent des vitellophages. L’embryon est alors au stade blastula, les cellules sont en partie déterminées et ne peuvent être interchangées.

Figure 3. Développement de l’embryon de Drosophile (illustration : Encyclopaedia Universalis France). A : pôle antérieur ; P : pôle postérieur ; D : face dorsale ; V : face ventrale.

Figure 3. Développement de l’embryon de Drosophile (illustration : Encyclopaedia Universalis France). A : pôle antérieur ; P : pôle postérieur ; D : face dorsale ; V : face ventrale.

S’ensuit la formation d’une bandelette embryonnaire ou germinative sur la face ventrale de l’embryon (fig. 3). Cette bandelette germinative est la première ébauche embryonnaire. Se formera en son sein un sillon médian longitudinal aussi nommé sillon gastrulaire. Celui-ci se refermera pour former un tube. À l’issue de cela, s’individualise alors un endomésoderme. Conjointement à la formation de ce tube, les bords du blastoderme se soulèvent tout autour de l’embryon et constituent des replis. Par la suite, ces replis se rejoignent pour former la cavité amniotique contenant un liquide baignant l’embryon. Concernant l’ectoderme, apparaissent des neuroblastes donnant deux cordons nerveux longitudinaux précurseurs de la chaine nerveuse ventrale. Se forme ensuite l’intestin par différenciation de l’endoderme. Quant au mésoderme, ce tissu se développe et montre une métamérisation. De ce mésoderme apparaissent des somites constituant, après leur fusion, l’hémocèle. Il est important de préciser que la métamérisation de l’embryon est progressive et débute soit au niveau de la tête et se termine vers l’abdomen, soit démarre au niveau du segment prothoracique et se poursuit en direction des deux extrémités antérieure et postérieure de l’embryon. Sont alors générés des appendices métamérisés, persistant seulement sur une partie des métamères.

Figure 4. Localisation chromosomique et expression des gènes homéotiques chez l’embryon de Drosophile (illustration : Encyclopaedia Universalis France, d’après Mc Ginnis & Kuziora, 1994). T1 : segment thoracique 1 ; A1 : segment abdominal 1. Dénomination des gènes Hox : Lab : labial, Pb : proboscipedia, Dfd : deformed, Scr : sex combs reduced, Antp : antennapedia, Ubx : ultrabithorax, Abd-A : abdominal-A, Abd-B : abdominal-B.

Figure 4. Localisation chromosomique et expression des gènes homéotiques chez l’embryon de Drosophile (illustration : Encyclopaedia Universalis France, d’après Mc Ginnis & Kuziora, 1994). T1 : segment thoracique 1 ; A1 : segment abdominal 1. Dénomination des gènes Hox : Lab : labial, Pb : proboscipedia, Dfd : deformed, Scr : sex combs reduced, Antp : antennapedia, Ubx : ultrabithorax, Abd-A : abdominal-A, Abd-B : abdominal-B.

L’avènement de la génétique moléculaire a conduit à l’identification des gènes impliqués dans la construction de l’embryon de Drosophile. Les gènes en question sont à l’origine des polarités antéro-postérieure et dorso-ventrale, et interviennent également dans la segmentation du corps comme le gène engrailed par exemple. D’autres gènes ont été identifiés à partir de mutations causant des transformations d’une partie du corps en une autre structure localisée sur un autre segment de l’embryon : il s’agit des gènes homéotiques. Ces derniers interviennent dans l’identité, autrement dit dans le devenir de chacun des segments le long de l’axe antéro-postérieur (fig. 4). Ces gènes constituent un complexe aligné sur un même chromosome au sein d’une séquence reproduisant leur expression spatiale selon l’axe antéro-postérieur de l’embryon. Ces gènes homéotiques sont très conservés dans le domaine animal.

Par ailleurs, c’est au cours du développement embryonnaire que la future Drosophile connait la détermination de son sexe.

Le déterminisme du sexe des Insectes au cours du développement embryonnaire

Figure 5. Déterminisme chromosomique du sexe chez différents Insectes (illustration : E. Force). A : autosome ; X, XY, ZZ ou ZW : chromosomes sexuels.

Figure 5. Déterminisme chromosomique du sexe chez différents Insectes (illustration : E. Force). A : autosome ; X, XY, ZZ ou ZW : chromosomes sexuels.

Chez les Insectes, le déterminisme du sexe est exclusivement chromosomique. En effet, aucune hormone sexuelle n’intervient dans ce déterminisme. En ce sens, l’apparition du sexe, qu’il soit mâle ou femelle, provient de la seule garniture chromosomique de l’embryon. En détails, ce déterminisme suit plusieurs modalités variables selon les espèces (fig. 5). En fonction de ces dernières, le sexe hétérogamétique, pour des individus ayant deux chromosomes sexuels différents dans le génome, peut correspondre au mâle comme chez les Mammifères ou bien à la femelle comme chez les Oiseaux. De plus, le sexe mâle peut être obtenu suite à une perte d’un chromosome X dans le cas des Pucerons ou à une haploïdie par absence de fécondation de l’œuf pour les Abeilles.

Le développement de l’embryon des Insectes s’accompagne d’une consommation d’eau ainsi que des réserves vitellines. Aussi, la vie embryonnaire demande une énergie considérable issue d’un métabolisme oxydatif croissant au cours du développement.

Les fonctions de nutrition (s. l.) et la vie embryonnaire des Insectes

L’alimentation de l’embryon : utilisation des réserves vitellines et échanges d’eau

Courant la formation du blastoderme, certaines cellules peuvent englober une faible quantité de vitellus et réaliser par la suite sa digestion intracellulaire.

Pendant que la majorité des cellules du blastoderme s’individualisent en périphérie, quelques-unes apparaissent au sein de la masse vitelline. Ces cellules sont qualifiées de vitellophages et peuvent fusionner pour former une syncitium vitellin remarqué sur la surface de l’embryon. Les vitellophages produisent des expansions cytoplasmiques englobant des vésicules lipidiques ainsi que des granules protéiques. Cela induit une fragmentation du vitellus. De cela, une digestion est réalisée permettant la transmission de substances nutritives aux autres cellules embryonnaires.

Quant aux échanges en eau, le chorion est également perméable à ce fluide. En effet, l’eau contenue dans l’œuf, indispensable au bon développement de l’embryon, est souvent en quantité suffisante du fait du lieu de la ponte au sein d'environnements humides. Aussi, lors du développement embryonnaire, une considérable quantité d’eau est absorbée, entraînant une augmentation de la masse et du volume de l’œuf. Le moteur de cette entrée d’eau se trouve dans l’augmentation de la pression osmotique interne de l’œuf. Cette dernière est en lien étroit avec la fragmentation des réserves vitellines et la libération de substances osmotiques actives, qui a lieu sur la totalité de la surface de l’œuf.

Pour les œufs enveloppés d’un chorion imperméable aux gaz respiratoires, les pertes d’eau par évaporation sont très limitées. Toutefois, des entrées d’eau dans l’œuf sont possibles et se réalisent par l’intermédiaire d’une structure spécialisée : l’hydropyle.

La respiration au cours de la vie embryonnaire

Tout du long du développement de l’embryon, le métabolisme connait une activité croissance, tout comme les échanges respiratoires.

En effet, les gaz respiratoires, tel le dioxygène, diffusent à travers l’enveloppe protectrice de l’embryon ou chorion. Cette diffusion est possible de par la finesse et la perméabilité de cette enveloppe. Néanmoins, au cours de la vie embryonnaire, le chorion ne possède pas toujours ces caractéristiques. Ainsi, la diffusion des gaz respiratoires passe par l’intermédiaire de l’endochorion. Ce dernier se compose d’une couche interne protéique poreuse, contenant une réserve d’air à partir de laquelle l’embryon est alimenté en dioxygène notamment. Aussi, cette réserve d’air peut être renouvelée. Cette étape est assurée par des pores au sein du chorion, ou aéropyles, établissant une continuité entre l’atmosphère interne de l’embryon et l’air extérieur.

Le développement de l’embryon ainsi que la réalisation des différentes fonctions de nutrition au sens large connaissent parfois, chez certains Insectes de régions tempérées, une interruption pendant l’hiver : il s’agit de la diapause embryonnaire.

La diapause embryonnaire : un arrêt temporaire du développement de l’embryon

Dans les régions tempérées du globe, au cours de l’hiver, le développement embryonnaire des Insectes est fréquemment interrompu. Cette interruption se traduit par une période de vie ralentie de l’embryon. On parle alors de diapause. Il est important de notifier que cette période de vie ralentie n’est pas directement contrôlée par les conditions environnementales. De plus, la diapause peut concerner la vie embryonnaire, qui nous intéresse ici particulièrement, ou bien la vie larvaire.

L’étude de la diapause embryonnaire est bien documentée chez le Bombyx, un Hétérocère ou Papillon de nuit. Chez cet Insecte, la diapause embryonnaire se caractérise par une diminution de l’intensité respiratoire. Celle-ci atteint un niveau comparable à celui de l’ovocyte avant la fécondation. Puis, la diapause embryonnaire est définie par une conversion des réserves glucidiques sous forme de glycogène en glycérol et sorbitol, des molécules non métabolisées.

Figure 6. Recherche du contrôle de l’entrée en diapause chez le Bombyx (illustration : E. Force).

Figure 6. Recherche du contrôle de l’entrée en diapause chez le Bombyx (illustration : E. Force).

Suite à l’étude de variétés de Bombyx produisant deux séries d’œufs par an, le contrôle de l’entrée en diapause a pu être compris. En effet, une première série d’œuf produite au printemps ne subit pas de diapause, tandis que la seconde, émise en automne, connait un arrêt du développement embryonnaire au cours de l’hiver. Plusieurs observations ont pu être faites de ces expériences (fig. 6).

Figure 7. Déterminisme de la diapause embryonnaire chez le Bombyx (illustration : E. Force).

Figure 7. Déterminisme de la diapause embryonnaire chez le Bombyx (illustration : E. Force).

Il en découle que l’arrêt du développement embryonnaire est engendré par un facteur hormonal, produit par le ganglion sous-œsophagien, et constaté au cours de la vie nymphale (fig. 7). Aussi, la détermination des œufs à ou sans diapause est liée aux facteurs externes, comme la température et l’éclairement, connus par la nymphe au début de l’ovogenèse. Il est donc possible d’adapter le type de développement aux conditions externes que connaitra l’œuf au cours de son développement.

Chez certains Insectes, comme chez beaucoup d’Oiseaux, une contribution parentale peut être apportée aux œufs : choix du lieu de la ponte par le femelle, entretien de la ponte avec retournement régulier des œufs ou encore dépôt de substances anti-fongiques.

À l’issu du développement embryonnaire, la larve émerge des enveloppes de l’œuf après rupture de ces dernières.

La sortie de l’œuf : l’éclosion

Tout au long du développement, l’embryon baigne dans un liquide amniotique. Après la formation d’une cuticule dans les derniers instants du développement, l’embryon aspire ce liquide par le biais de son pharynx. Il occupe ainsi la totalité du volume de l’œuf. Pour effectuer son éclosion, le chorion, enveloppe protectrice, doit être rompue. Le chorion étant une enveloppe très rigide, parfois les seules contractions des muscles de la future larve ne peuvent être la cause de la rupture. En effet, des dispositifs spéciaux existent : il s’agit généralement de zones de moindre rigidité comme le sillon chez les œufs de Mouches ou le clapet chez les œufs du Phasme. De plus, certains embryons sont munis d’une lame dentée chitineuse sur la tête : le ruptor ovi. Après l’éclosion, cette cuticule embryonnaire est fréquemment laissée, on parle de mue embryonnaire. Par ailleurs, quelques espèces se caractérisent par des embryons dissolvant le chorion suite à l’action d’enzymes libérées dans le liquide amniotique. Cela est notamment observé chez les Acridiens.

En somme, la larve juste sortie de son œuf change de milieu de vie, passant d’un milieu aquatique à un milieu aérien. Elle peut ressembler ou non à l’adulte, toutefois, elle subira quelques mues avant d’atteindre la maturité sexuelle.

 

Pour conclure, l’œuf d’Insecte connait une première phase de développement caractérisée par une segmentation ainsi que la formation des tissus embryonnaires. Ces tissus seront à l’origine des différents organes constituant l’Insecte. Aussi, la vie de l’embryon nouvellement formé nécessite un approvisionnement en eau et nutriments. Ces derniers sont prélevés à partir des réserves vitellines stockées initialement dans l’œuf. De plus, la croissance en masse et volume de l’embryon demande une énergie considérable. Celle-ci suggère l’établissement d’échanges respiratoires indispensables au bon fonctionnement métabolique de l’embryon. Le développement embryonnaire n’est pas toujours continu dans le temps. En effet, chez certaines espèces, un arrêt temporaire de ce développement est remarqué : on parle de diapause embryonnaire. Cette étape est contrôlée par des facteurs internes hormonaux mais également par des facteurs environnementaux. D’ailleurs, la diapause a lieu au cours l’hiver, permettant ainsi à l’embryon de passer la mauvaise saison en vie ralentie. Enfin, à l’issu du développement embryonnaire, une larve s’esquisse hors de son œuf : c’est l’éclosion.

Cette larve entre alors dans une nouvelle étape de sa vie. Le développement post-embryonnaire de la larve se traduira par une succession de mues, et même pour certaines, par un profond remaniement de l’individu lors de la métamorphose.   

 

Bibliographie et sitographie

Beaumont A. et al.. Développement. Dunod, 1994. 282 p.. ISBN 978-2100012886

Bounhiol J.-J.. Larves et metamorphoses. Presse Université de France, 1980.

Franquinet R. et al.. Atlas d’embryologie descriptive. Dunod, 2019. 240 p.. ISBN  978-2100792023

Lafont R. & Toullec J.-Y.. Insectes. In Universalis éducation [en ligne]. Encyclopaedia Universalis [consulté le 21 janvier 2021]. Disponibilité et accès sur : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/insectes/

Le Moigne A. & Foucrier J.. Biologie du développement. Dunod, 2009. 416 p.. ISBN 978-2100530113

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