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Le sol : un écosystème à part entière

Sous nos pieds, le sol est, à l’échelle de la planète Terre, une très fine pellicule d’altération recouvrant la roche. Il est constitué de deux fractions : une minérale et une organique. Le sol se forme à partir de la roche et évolue sous l’action des facteurs du milieu, notamment le climat et la végétation. De plus, le sol apparaît, s’approfondit et se différencie en strates superposées appelées horizons. Cette stratification constitue le profil pédologique.

Figure 1. Profil pédologique d’un sol de sous-bois (illustration : E. Force).

Figure 1. Profil pédologique d’un sol de sous-bois (illustration : E. Force).

Classiquement, il est possible de distinguer trois principaux horizons : A, B et C. Les sols peu évolués se composent des horizons A et C, alors que, les sols évolués montrent un profil du type ABC (fig. 1). Sous l’action du climat et de la végétation, le sol atteint un état d’équilibre.

Le sol contient des organismes vivants dans ses horizons les plus superficiels, autrement dit les horizons O et A. Ces êtres vivants permettent un recyclage de débris végétaux ou animaux accumulés en surface : il se forme ainsi de la matière organique, directement réutilisable par d’autres organismes.

En quoi le sol est-il une couche structurée et comment cette dernière évolue-t-elle au cours du temps ? Comment décrire et quantifier la biodiversité faunistique vivant sous nos pieds ?

Le sol, une matrice complexe et structurée

La fraction minérale du sol

La fraction minérale du sol provient de l’altération de la roche mère sous-jacente. Cette altération se réalise, d’une part, par désagrégation mécanique donnant des fragments, et d’autre part, par altération chimique produisant des ions solubles : cations, acide silicique, etc..

L’altération de la roche mère nécessite la présence d’eau et demande une température suffisante. Selon la latitude, et par extension selon la température, l’altération est modérée en climat tempéré alors qu’elle est maximale sous un climat tropical. De plus, cette altération se fait par hydrolyse pour les roches silicatées ou par décarbonatation pour les roches calcaires. Quant aux climats froids ou désertiques, l’altération s’effectue par désagrégation mécanique de la roche mère.

Puis, des gels colloïdaux se forment suite à l’hydratation et la polymérisation de certains cations, comme le fer et l’aluminium, avec la matière organique et des argiles. Les argiles contenues dans ces complexes d’altération sont héritées, transformées ou néoformées. Les autres constituants, qu’ils soient cryptocristallins ou amorphes, tels les oxyhydroxydes de fer, d’aluminium, de magnésium ou de silicium, sont associés aux argiles et complexés avec la matière organique.

Les argiles du sol

Figure 2. Variations de l’abondance des minéraux argileux dans deux sols bruns (illustration : E. Force).

Figure 2. Variations de l’abondance des minéraux argileux dans deux sols bruns (illustration : E. Force).

Plus spécifiquement, les argiles constatées dans un sol sont dépendantes du type de sol ainsi que de la profondeur (fig. 2). Par exemple, l’illite est le minéral argileux le plus abondant (environ 50%) dans les sols des climats tempérés. Viennent ensuite la chlorite, les smectites et la vermiculite. La kaolinite est beaucoup plus rare dans ce type de sol. De plus, l’illite et la chlorite héritées de la roche mère peuvent, durant l’évolution du sol, se transformer en vermiculite et en smectite.

Par ailleurs, les minéraux argileux ont la capacité de fixer et libérer des cations métalliques : on parle de capacité d’échange cationique, également notée CEC. Cette CEC est fonction du type d’argile. Elle est faible pour l’illite, la chlorite ainsi que pour la kaolinite, mais est importante pour la vermiculite et les smectites.

Les autres constituants du sol : les oxyhydroxydes

Les oxyhydroxydes de fer sont variables selon les climats : la goethite FeO(OH) est retrouvée en climat humide, l’hématite Fe2O3 en climat chaud et humide. Ces éléments permettent de lier les argiles à la matière organique. Les complexes nouvellement formés évoluent vers des conformations cryptocristallines puis cristallines.

Quant à l’aluminium, cet élément se retrouve sous la forme d’ion Al3+ hydraté. Cette forme est responsable de l’acidité du sol. L’aluminium, comme le fer, assure les liaisons entre les argiles et la matière organique. Aussi, ces ions ont la capacité de se fixer sur les feuillets de vermiculite pour former une nouvelle argile à savoir la chlorite. Les formes cristallines de l’aluminium, telles la gibbsite Al(OH)3 et la bohémite AlO(OH), sont rarement observées dans les sols des climats tempérés.

Le silicium se constate sous sa forme soluble Si(OH)4 ou sous forme de silice amorphe. Cette dernière peut avoir deux origines possibles :

  • la bioopale des phytolithes ;
  • la polymérisation de l’acide silicique absorbé par des gels contenant de l’aluminium ou du fer et évoluant en argiles de néoformation : kaolinite et smectites.

Le climat et l’altération du sol

Figure 3. Le climat et l’altération du sol (illustration : E. Force).

Figure 3. Le climat et l’altération du sol (illustration : E. Force).

L’altération de la roche est fonction du climat. En effet, selon les paramètres du milieu, la roche connait une altération chimique plus ou moins prononcée (fig. 3).

En climat chaud et humide, l’altération par hydrolyse est totale et se déroule à pH neutre. En détails, les silicates sont hydrolysés en gibbsite, l’acide silicique ainsi que les cations solubles sont alors lessivés. Le fer et l’aluminium sont les seuls éléments à rester sur place. Ces derniers forment un sol dit latéritique ou ferralitique. Par ailleurs, les oxydes de fer peuvent être concentrés en surface et constituer une croûte ferrugineuse appelée croûte latéritique. Quant à la matière organique, elle est oxydée et peu mobilisée. Les sols latéritiques déjà en place ou remobilisés peuvent être exploités pour leur roche aux minerais de fer ou d’aluminium : les bauxites. Par exemple, les gisements de bauxite retrouvés dans les Baux en Provence ont cette origine. De plus, des minéraux argileux sont généralement néoformés au cours de ce processus d’altération. Il est possible de constater de la kaolinite et des smectites selon la qualité du drainage. Enfin, les lessivages successifs du sol entrainent son acidification par élimination des cations.

À propos du climat chaud à saison sèche et humide alternant, le lessivage et le confinement des éléments se succèdent. De ce fait, les solutions regagnent la surface en saison sèche. La matière organique peut alors être minéralisée rapidement et donner des smectites. Il est à noter que la silice reste sur place et n’est pas mobilisée. Le sol se compose de l’association de fer, de silice et d’aluminium : il s’agit d’un sol fersialitique caractéristique des régions tropicales et méditerranéennes. Par ailleurs, la concentration des oxydes de fer en surface conduit au phénomène de rubéfaction.

Puis en climat tempéré, l’altération de la roche mère par hydrolyse est partielle. En effet, les argiles sont héritées, comme la chlorite, ou transformées progressivement. Si l’altération est neutre, ce qui est souvent remarquée sur roches calcaires, l’illite est dégradée en smectite : le potassium est remplacé par du calcium ou du magnésium. Concernant une hydrolyse à pH acide, provoquée par l’action d’acides organiques tels l’acide oxalique ou l’acide citrique, l’illite se transforme en vermiculite après la perte d’ions potassium et l’ouverture de ses feuillets minéralogiques. De plus, une transformation de l’illite en chlorite est aussi possible. Il se forme des complexes organométalliques par compléxolyse. Les sols générés sont de couleur brune.

Sous un climat froid et humide, des podzols se mettent en place. Ils présentent des acides organiques dégradant les illites et les vermiculites en smectites. De la kaolinite peut être néoformée.

À côté du climat, la nature de la roche mère altérée entre en considération. Selon la roche mère, les caractères de la fraction minérale sont variables. En effet, sous un climat équatorial, les granites altérés sont à l’origine de la kaolinite. En revanche, les roches basiques, plus riches en cations, sont responsables de la formation des smectites.

La topographie du milieu est un paramètre à prendre en compte. Elle impacte considérablement le drainage des sols. Par exemple, sur roches calcaires, il se forme préférentiellement des rendzines.

Figure 4. La pédogenèse est fonction de la latitude (illustration : E. Force).

Figure 4. La pédogenèse est fonction de la latitude (illustration : E. Force).

En somme, la formation des sols ou la pédogenèse varie selon la latitude (fig. 4).

Un sol est constitué d’une fraction minérale issue de l’altération du substratum sous-jacent. Toutefois, il se compose aussi d’une fraction organique aux propriétés et origines caractéristiques.

La fraction organique du sol

Au sein du sol se trouve, en plus de la fraction minérale, une fraction organique. Celle-ci se définie comme une matière carbonée issue des êtres vivants. Elle se compose des éléments carbone (C), hydrogène (H), oxygène (O) et azote (N). Aussi, des éléments secondaires sont constatés : soufre (S), phosphore (P), potassium (K), calcium (Ca) et magnésium (Mg).

La fraction organique du sol peut se répartir en quatre groupes à savoir :

  • la matière organique vivante, autant animale que végétale, comportant la totalité de la biomasse en activité ;
  • les débris végétaux et animaux, regroupés sous le terme de matière organique fraîche ;
  • divers composés organiques intermédiaires : on parle de matière organique transitoire. Celle-ci provient de l’évolution de la matière organique fraiche ;
  • des composés organiques stabilisés. Ils constituent les matières humiques provenant de l’évolution de la matière organique intermédiaire.

Les débris végétaux forment la litière de l’horizon O. La décomposition de cette litière dépend de microorganismes. Un humus est formé et des minéraux sont libérés dans l’horizon A. En détails, la matière organique est en premier lieu dépolymérisée : des monomères sont générés et suivent une des deux voies de dégradation :

  • la minéralisation entraine la formation d’éléments minéraux tels le CO2, le NH3, les carbonates ou encore les nitrates ;
  • l’humification consiste en la repolymérisation en composés organiques amorphes se liant ensuite aux argiles. À ce stade, l’humus nouvellement formé peut connaître une minéralisation.

L’humus est le composé final issu de la dégradation de la matière organique. De plus, il se caractérise par sa stabilité, par la présence de noyaux aromatiques et de radicaux libres. L’humus comporte également des acides fulviques et humiques extractibles avec de la soude. En revanche, l’humine est insoluble. Les composés de poids moléculaire supérieur à 100 kDa sont directement polymérisés à partir de noyaux aromatiques, principalement des phénols. Ces derniers proviennent de la dégradation de la cellulose ainsi que de la lignine à partir de microorganismes : bactéries et champignons.

L’humus se trouve souvent associé à des minéraux argileux. Cette association conduit à la formation de complexes argilo-humiques ayant un rôle fondamental dans la structure du sol. En effet, le complexe argilo-humique modifie les propriétés mécaniques, physiques, hydriques et chimiques du sol. Par ailleurs, un sol se caractérise aussi par sa capacité d’échange cationique ou CEC. Celle-ci est proportionnelle à la quantité de charges électriques portées par le complexe argilo-humique. De ce fait, plus la CEC est élevée, plus le sol est en capacité de fixer ou libérer des cations. La CEC est dépendante de la nature des minéraux argileux mais aussi de leur association avec les composés humiques du sol.

Figure 5. Le devenir de la matière organique au sein d’un sol (illustration : E. Force).

Figure 5. Le devenir de la matière organique au sein d’un sol (illustration : E. Force).

La vitesse de formation de l’humus est corrélée à l’activité biologique du sol. Cette activité biologique est elle-même reliée à la température. La quantité d’humus présente dans un sol résulte des actions antagonistes de l’humification et de la minéralisation (fig. 5). En détails, au sein d’un milieu peu actif biologiquement, la décomposition de la litière se fait lentement : l’horizon O, bien distinct, est alors fibreux et acide. Il s’agit d’un mor, vulgairement appelé terre de bruyère. Au sein d’un milieu biologiquement plus actif, l’horizon O est moins épais : on parle de moder. Enfin, dans un milieu très actif, la décomposition de la matière organique est réalisée très rapidement. L’horizon O est absent, l’humus est incorporé dans la fraction minérale du sol au sein des complexes argilo-humiques. Se forme un horizon A nommé mull. Il comporte des agrégats argilo-humiques à fer et aluminium.

En cela, l’humus possède un rôle majeur sur la valeur agronomique des sols cultivés. Il influence également la physiologie des organismes végétaux, notamment en modifiant les capacités de rétention de l’eau, de fixation d’oligo-éléments, etc. Chaque année, par minéralisation, le sol perd de l’humus. Cette perte est dépendante du sol ainsi que du climat. En agriculture, pour conserver les propriétés conférées par l’humus, des apports compensatoires de matières organiques sont réalisés. Il s’agit, entre autres, d’engrais, d’amendements organiques, d’enherbement temporaire, de déjections animales, etc. Nous aborderons plus loin dans cet article le rôle de la biodiversité du sol pour une gestion plus durable de l’agriculture.

Structure et évolution du sol

La structure d’un sol se définit comme l’organisation des éléments en son sein. Cette structure est dépendante de particules appelées colloïdes. Les colloïdes sont le résultat de l’association d’éléments argileux avec des substances humiques organiques. Les argiles participent à la fragmentation du sol. Elles dessinent des fentes de retrait à la dessication. Aussi, les argiles ont la capacité d’enrober d’autres particules et de colmater les pores.

Figure 6. Le complexe argilo-humique fixant certains ions (illustration : E. Force).

Figure 6. Le complexe argilo-humique fixant certains ions (illustration : E. Force).

Les minéraux argileux, constitués d’un assemblage de feuillets, peuvent fixer des composés organiques par absorption, et ce, par l’intermédiaire des oxyhydroxydes d’aluminium et de fer constituant un revêtement particulaire. Les complexes ainsi formés, aussi nommés complexes argilo-humiques (fig. 6), s’assemblent en agrégat et incorporent des mycéliums et autres bactéries à polysaccharides.

Figure 7. Schéma de la structure d’un macro-agrégat (A) et d’un mico-agrégat (B) (illustration : E. Force).

Figure 7. Schéma de la structure d’un macro-agrégat (A) et d’un mico-agrégat (B) (illustration : E. Force).

La structure du sol peut se présenter selon trois configurations. Une première, dite particulaire, est typique des sols très meubles (fig. 7). Les éléments liés par un ciment sont caractéristiques des sols massifs. Enfin, une configuration fragmentaire d’un sol se définit par la présence d’agrégat (taille millimétrique) et de grumeaux (taille centimétrique) très favorables aux cultures.

À propos de la végétation, celle-ci apporte l’humus et confère une circulation ascendante des matières. De plus, elle protège la roche de l’érosion. C’est pourquoi la destruction de la végétation conduit à la détérioration des sols évolués, voire favorisent la régression des sols. En effet, les cycles évolution-régression des sols se succèdent à intervalle de temps courts. Ils peuvent aussi se dérouler sur des temps plus longs : on parle de pulsations climatiques.

Dans les années 1950, Erhart souligna le rôle déterminant du climat dans l’altération des roches et la formation des sols : il s’agit de la théorie de la bio-rhéxistasie. Par exemple, en climat humide, nous remarquons une altération des roches, un développement de la végétation ainsi que la formation de sols. Dans ces zones, la destruction des sols se limitent aux phénomènes chimiques dégageant des ions solubles. Cette période est propice à la vie : on parle de biostasie. En revanche, lors de période sèche, les roches mises à nue connaissent une dégradation mécanique générant des matériaux détritiques : c’est la rhéxistasie. Concernant les climats tempérés, la formation d’un horizon A demande quelques centaines d’années, et plusieurs milliers d’années pour un horizon B.

Les sols se caractérisent par leur composition physico-chimique à l’origine d’une matrice complexe et structurée. Par ailleurs, ils constituent des milieux de vie pour une grand nombre d’espèces animales.

Le sol et sa biodiversité faunistique

La faune du sol : une diversité immense si mal connue

Figure 8. A : macrofaune du sol (illustration : Village des Sciences Sorbonne Université) ; B : microfaune du sol (illustration : R. Rodriguez).

Figure 8. A : macrofaune du sol (illustration : Village des Sciences Sorbonne Université) ; B : microfaune du sol (illustration : R. Rodriguez).

Tous les jours, nous marchons sur des sols sans nous rendre compte de la biodiversité que ces milieux abritent. Et pourtant, la biodiversité faunistique est conséquente. Un nombre important de types d’organismes existe, et au sein de chaque type, un nombre très élevé d’espèces est constaté (fig. 8).

Figure 9. L’appareil de Berlèse et la récolte de la faune du sol (illustration : E. Force, d’après Académie de Nancy-Metz).

Figure 9. L’appareil de Berlèse et la récolte de la faune du sol (illustration : E. Force, d’après Académie de Nancy-Metz).

La détermination des espèces de la faune du sol s’effectue à l’aide d’un montage simple appelé appareil de Berlèse (fig. 9).

Figure 10. Clé de détermination simplifiée des organismes du sol (illustration : E. Force). Les embranchements sont écrits en majuscule, les classes en italique.

Figure 10. Clé de détermination simplifiée des organismes du sol (illustration : E. Force). Les embranchements sont écrits en majuscule, les classes en italique.

Après récolte de la faune du sol, il est possible d’identifier les espèces présentes à l’aide de clés de détermination (fig. 10).

Figure 11. Estimation de la faune du sol dans un quadra d’1 m^2 de prairie tempérée (illustration : E. Force).

Figure 11. Estimation de la faune du sol dans un quadra d’1 m^2 de prairie tempérée (illustration : E. Force).

La figure 11 illustre la densité et la diversité des grands types d’organismes présents dans 1 m2 de sol de prairie tempéré. Ces organismes sont classés par groupe systématique et leur taille. Les organismes du sol sont caractérisés, pour la plupart, par une petite taille les rendant invisibles à l’œil nu.

Figure 12. Estimation du nombre d’espèce connues et du nombre total d’espèce supposées pour différents groupes d’êtres vivants du sol (illustration : E. Force).

Figure 12. Estimation du nombre d’espèce connues et du nombre total d’espèce supposées pour différents groupes d’êtres vivants du sol (illustration : E. Force).

Aussi, ces organismes vivent dans un milieu opaque et difficile d’accès. En cela, la biodiversité faunistique est encore aujourd’hui peu étudiée en comparaison aux organismes aériens : 45 000 espèces de Vertébrés ont été décrites (fig. 12). Une proportion considérable d’espèces reste à décrire et à nommer, et ce d’autant plus qu’il existe un grand nombre de complexes d’espèces dites cryptiques. Ces complexes regroupent des espèces génétiquement différentes mais morphologiquement semblables.

Une majeure partie de la faune du sol se compose de bactéries et de champignons. Ces organismes ne peuvent être classés avec les méthodes classiquement employées. En effet, ces méthodes sont peu pertinentes au regard des modes de reproduction particuliers de ces êtres vivants, avec par exemple des transferts horizontaux de gènes. L’ensemble de ces problématiques fait que la caractérisation des communautés du sol, c’est-à-dire l’indentification et la quantification des espèces, ne peut être permise que par l’utilisation d’outils moléculaires : la variabilité génétique entre espèces est principalement pratiquée. Cette approche moléculaire est aujourd’hui de plus en plus employée pour des organismes de taille supérieure, comme chez les Lombrics par exemple.

Les Lombrics, et bien d’autres êtres vivants, sont considérés comme des organismes moteurs du fonctionnement de l’écosystème sol.

La faune du sol et son rôle dans le fonctionnement de cet écosystème

L’écologie est une discipline de la biologie s’intéressant aux interactions entre les organismes et entre les êtres vivants et leur milieu. En effet, de nombreux organismes modifient leur environnement : il s’agit d’espèces ingénieurs. Ces organismes sont nombreux au sein de l’écosystème sol. La structure et la chimie du sol se voient changées par le déplacement, l’ingestion et le rejet de substances organiques. Le sol est donc le fruit des interactions entre la matière minérale et les êtres vivants.

Le sol se compose d’un mélange de matière minérale et de matière organique issue des végétaux et animaux. Cette matière organique est ensuite fragmentée, transformée et incorporée dans le substrat par les organismes du sol. Le sol montre une structure en couches formées d’agrégats de différentes tailles séparés par des espaces libres remplis d’air ou d’eau. Cette organisation est dépendante du mélange intime entre la matière organique et la matière minérale déterminant la solidité des agrégats. Aussi, les agrégats sont généralement produits par les organismes vivants du sol. Ainsi, une structure équilibrée du sol est indispensable pour l’infiltration et la rétention de l’eau propice au développement des plantes.

Les êtres vivants du sol se nourrissent directement ou indirectement de matière organique morte. La matière organique produite par les plantes au cours de la photosynthèse est déposée sur le sol sous forme de feuilles, racines ou bois morts. À cet instant, les décomposeurs du sol consomment cette matière organique morte, qui eux-mêmes sont prédatés par des consommateurs du sol : un réseau trophique détritivore, ou réseau trophique brun, est mis en place. Par exemple, les bactéries et champignons se nourrissent de la matière organique morte. Ces micro-organismes sont ensuite consommés par des protozoaires, des Nématodes ou encore des Collemboles. La consommation de la matière organique morte engendre sa dégradation ou décomposition. En effet, les composés carbonés sont ingérés par les organismes du sol pour produire de l’énergie, libérant alors du CO2 et des substances minérales comme de l’azote ou du phosphore. C’est ainsi que la faune du sol consomme et recycle la matière organique produite au-dessus de ce milieu, et rend à nouveau disponible des composés pour la nutrition des plantes : il s’agit des cycles des nutriments.

En outre, certaines fonctions remplies par les organismes vivants du sol apportent des bénéfices aux sociétés humaines : on parle de services écosystémiques. La faune du sol joue un rôle fondamental dans la formation des sols et le maintien de leur fertilité. Ces conditions sont indispensables pour l’agriculture. Aussi, la structure du sol, dépendante des êtres vivants qui le constituent, empêche l’érosion et favorise l’infiltration, la filtration ainsi que l’épuration de l’eau de pluie. Cela tend à limiter les risques d’inondation et de contamination des eaux de surface.

Par ailleurs, les sols participent à la régulation du climat. Ils limitent ou augmentent la production de gaz à effet de serre par stockage de matières organiques ou bien par libération de ces matières. À l’échelle mondiale, la matière organique morte des sols stocke plus de carbone que l’ensemble de la biomasse active et l’atmosphère. Le réseau trophique brun montre une étape de minéralisation de la matière organique, étape s’accompagnant de la libération de CO2. Aussi, les organismes du sol sont responsables de la stabilisation d’une partie de la matière organique au sein des agrégats. C’est pourquoi une mise en culture d’une prairie ou d’une forêt conduit au déstockage du carbone, l’inverse génère un stockage de cet élément. De nos jours, suite aux changements d’usage des terres et de l’agriculture qui perturbent les équilibres au sein de l’écosystème sol, il est craint une amplification de la libération de CO2 atmosphérique pouvant contribuer au réchauffement climatique global.

En outre, la connaissance de la faune du sol et de ses rôles dans cet écosystème sont des enjeux majeurs, notamment dans le domaine agricole.

La biodiversité du sol et son usage pour une agriculture plus durable

L’agriculture peut être définie comme une méthode d’artificialisation d’un écosystème afin d’accroitre la fourniture d’un service écosystémique, ici la production d’aliments. En ce sens, plusieurs outils ont été fabriqués. Le travail du sol ou labour, l’utilisation d’amendements diversifiés ainsi que de fertilisants minéraux pour augmenter la croissance des plantes, l’application de pesticides pour éviter la compétition entre les plantes sauvages et les plantes cultivées, l’irrigation et la sélection de plantes sont autant d’exemples de pratiques développées pour améliorer les rendements.

Ces diverses pratiques influencent directement ou indirectement les interactions entre l’écosystème sol et les autres écosystèmes aériens ci-dessus. En découle des cascades de processus recherchées ou non telle une fertilisation minérale permettant d’augmenter la croissance des plantes cultivées, et par conséquent, la teneur de la récolte en nutriments minéraux. En retour, les plantes deviennent plus nutritives et accroissent possiblement le développement de leurs pathogènes et/ou herbivores. Aussi, la sélection d’espèces plus productives et l’homogénéisation génétique au sein des cultures augmentent les rendements, tout en rendant les exploitations plus vulnérables aux pathogènes et herbivores aériens comme souterrains. De ce fait, l’optimisation du service obtention de récoltes abondantes conduit à une dérégulation d’autres services, en l’occurrence ceux apportés par le sol.

Plus précisément, les systèmes agricoles modernes pratiquent des mécanismes de régulation liant le souterrain à l’aérien dans les écosystèmes naturels. Une pensée évidente serait de favoriser ces mécanismes pour entrer dans une agriculture plus durable. Néanmoins, à la suite de la révolution verte des années 1960 à 1990, une intensification de l’agriculture a généré le développement de la fertilisation minérale par remplacement de la gestion du stock de nutriments minéraux compris dans la matière organique des sols par les plantes et le réseau trophique détritivore. Aussi, une tendance à la diminution du contenu en matière organique des sols agricoles est constatée. Une baisse de la densité ainsi que de la diversité en certaines espèces d'êtres vivants du sol sont quantifiables suite à l’utilisation de pesticides et la diminution d’apports en matière organique. L’arrivée de l’intensification de l’agriculture a également provoqué une perte de la diversité génétique intra-spécifique, caractéristique fondamentale des écosystèmes naturels favorisant la gestion des interactions entre les plantes et l’écosystème sol.

Puis, la sélection des plantes, en l’occurrence cultivées, conduit à des rendements très élevés lorsque les organismes sont dans des conditions optimales de croissance. En effet, il semblerait que les variétés modernes actuellement cultivées tirent un bénéfice moindre de la fixation symbiotique de l’azote ou des mycorhizes en comparaison avec les variétés anciennes ou sauvages. Ceci peut être expliqué par le fait que ces nouvelles variétés n’ont pas élaboré d'interactions complexes avec les organismes du sol. Une hypothèse selon laquelle les variétés cultivées auraient perdu, au cours de la sélection, une partie de leur capacité à profiter des interactions avec l’écosystème sol est privilégiée. De plus, ceci montre que le développement de pratiques agricoles alternatives et plus durables doit s’accompagner d’une sélection de nouvelles variétés mieux adaptées à ces nouvelles méthodes élaborant des interactions fortes avec l’écosystème souterrain.

Ces constatations mettent en lumière la nécessité d’un changement de paradigme passant d’une agriculture basée seulement sur l’optimisation du rendement à une agriculture plurifonctionnelle au sein de laquelle la production agricole n’est plus le seul service écosystémique optimisé. Ceci est possible après une prise en considération du fonctionnement de l’écosystème sol. Ainsi, la biodiversité faunistique du sol pourrait participer à la transition vers une agriculture plus durable.

 

L’écologie des sols s’est généralement développée indépendamment des autres disciplines écologiques, et ce dû à la nécessité d'élaborer de nombreux outils d’analyse propres à cet écosystème. Toutefois, depuis une dizaine d’années, l’étude des liens entre les organismes aériens et souterrains a permis de relier l’écologie des sols au reste de l’écologie. Ces liens sont dépendants des plantes à l’origine de la continuité entre le sol et le milieu aérien. En effet, des études montrent que la faune du sol influence la croissance des plantes aussi bien quantitativement que qualitativement. De telles modifications impactent les herbivores se nourrissant des parties aériennes des plantes. Et, cela peut agir sur les prédateurs et parasites des herbivores. En retour, l’herbivorie modifie la croissance des plantes et la qualité de la biomasse produite par ces êtres vivants photosynthétiques. Il en ressort un système complexe d’interactions en cascade et de rétroactions entre deux réseaux trophiques : le réseau trophique vert et le réseau trophique brun.

Bibliographie et sitographie

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Gobat J.-M. et al.. Le sol vivant : bases de pédologie, biologie des sols. PPUR Presses polytechniques, 2010. 848 p.. ISBN 978-2880747183

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Ponge J.-F.. Le sol est-il un écosystème ?. Technical Report, 2012.

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