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Quand la parfumerie voit la vie en Rose

L’odeur émise par la Rose est connue de l’Homme depuis plusieurs centaines d’années. En effet, la lecture de vieux écrits perses, grecs ou encore romains met en lumière le fort intérêt que suscite cette essence mythique. Depuis l’Antiquité, la Rose est utilisée en parfumerie, soit seule, soit associée à d’autres essences pour la production de parfums dits floraux. Plus récemment, des analyses chimiques de l’odeur de Rose montre la présence d’une centaine de molécules organiques volatiles au sein desquelles seulement une dizaine seraient à l’origine de ce parfum si caractéristique.

D’où provient le parfum de Rose ? Comment l’industrie du parfum extrait-elle ces molécules odorantes ?

Un cocktail de molécules à l’origine du parfum de Rose

Le parfum de Rose naît d’un mélange de composés volatils en quantités relatives précises indispensables à la perception de l’odeur chez l’Homme. Certains composés, en plus forte concentration, sont les constituants essentiels du parfum de Rose. Parmi eux, ont été décrits l’alcool 2-phényléthylique, le nérol ou encore le géraniol. Les autres composés, en moindre quantité, apportent une signature particulière au parfum comme l’alpha-ionone, donnant une note de Violette, ou bien la béta-ionone caractéristique d’une note boisée. C’est ainsi que la description des voies de biosynthèse de ces composés revête un enjeu majeur dans la compréhension et le contrôle de la composition du parfum de Rose.

Figure 1. La biosynthèse du géraniol (illustration : E. Force, d’après J.-C. Caissard & S. Baudino, 2015). P : groupement phosphate ; GPP : diphosphate de géranyle ; GP : phosphate de géranyle ; G : géraniol.

Figure 1. La biosynthèse du géraniol (illustration : E. Force, d’après J.-C. Caissard & S. Baudino, 2015). P : groupement phosphate ; GPP : diphosphate de géranyle ; GP : phosphate de géranyle ; G : géraniol.

En 2015, une voie inattendue d’un composé volatil du parfum de Rose a pu être décrite. Il s’agit de la voie de biosynthèse du géraniol (fig. 1). En quoi cela est-il surprenant ? En détails, les plantes synthétisant le géraniol et tous ses dérivés présentent une étape atypique dans leur voie de biosynthèse : le passage du diphosphate de géranyle en géraniol est permis par une enzyme, la géraniol synthétase, ôtant directement deux groupements phosphates à son substrat. Ceci est observé chez diverses plantes tels les agrumes, la Vigne, le Basilic ou même l’Olivier.

Toutefois, chez la Rose, la géraniol synthétase est absente dans la voie de biosynthèse du géraniol. Alors comment le géraniol peut-il être produit ? La synthèse du gérianol chez la Rose réside dans l’action d’une enzyme : la NUDIX hydrolase ou NUDIX1. Cette dernière déphosphoryle le diphosphate de géranyle en monophosphate de géranyle. Le groupement phosphate restant est retiré par une autre enzyme, encore inconnue, formant alors le géraniol.

Cette enzyme présente une spécificité chez la Rose, son rôle dans l’élaboration du parfum n’est pas retrouvé chez les autres plantes parfumées qui la possédent. Elle agit en coupant une liaison phosphate entre un nucléotide et un autre groupement quelconque d’où sa dénomination : NUcleotide DIphosphate linked to some moiety X. Plus surprenant encore, cette enzyme participe à la détoxification des cellules comme cela a pu être étudié chez des modèles en biologie dont l’Arabette des dames, mais aussi Escherichia coli et même chez l’Homme ! La NUDIX est donc un magnifique exemple de diversification des fonctions d’une même enzyme au cours de l’évolution, et de la convergence entre plusieurs enzymes synthétisant un même produit, ici, le géraniol.

Figure 2. Épiderme supérieur d’un pétale de Rose (crédit photo : HiaYvf). Les cellules sont coniques et présentent des pigments à l’origine de la couleur rouge. C’est aussi au sein de ces cellules qu’a lieu la synthèse du géraniol.

Figure 2. Épiderme supérieur d’un pétale de Rose (crédit photo : HiaYvf). Les cellules sont coniques et présentent des pigments à l’origine de la couleur rouge. C’est aussi au sein de ces cellules qu’a lieu la synthèse du géraniol.

Cette surprenante découverte ne laisse pas sans questions. En effet, qu’en est-il de la localisation intracellulaire de cette réaction enzymatique ? Chez toutes les plantes à fleurs, le diphosphate de géranyl est produit au sein des plastes. Néanmoins, chez la Rose, la NUDIX hydrolase est absente des plastes et est localisée dans le cytoplasme des cellules épidermiques des pétales (fig. 2). De cela, se dessine probablement un transport du diphosphate géranyle des plastes vers le cytosol. Aussi, une autre possibilité est envisagée : n’existerait-il pas une voie de production de NUDIX1 directement dans le cytoplasme ? Cette dernière question souligne l’origine évolutive de la nouvelle fonction de NUDIX1 : est-elle apparue lors de la domestication de la Rose, ou alors était-elle déjà présente dans les Roses sauvages ? Par exemple, la couleur rouge de certaines Roses n’est pas observée chez les plantes sauvages. Ainsi, une mutation est apparue au cours de la domestication et a été sélectionnée par l’Homme : la couleur rouge n’a donc aucun effet écologique. En est-il de même pour la NUDIX hydrolase ?

À leur actuelle, des scientifiques cherchent à savoir si cette enzyme possède le même rôle dans les Roses sauvages que celui découvert chez la Rose domestiquée. Si cela venait à être démontré, alors quel intérêt écologique le géraniol présenterait-il ?

À côté des recherches scientifiques sur le parfum de Rose, une industrie exploite ses potentiels odorants.

La Rose et l’industrie du parfum

En parfumerie, la Rose constitue une fleur de grand intérêt. Apprécié de l’Homme, son parfum est présent dans de nombreux produits comme des crèmes cosmétiques, lotions, huiles essentielles, etc.

Figure 3. A : distillation de la Rose ; B : méthodes d’extraction du parfum de Rose (illustration : E. Force).

Figure 3. A : distillation de la Rose ; B : méthodes d’extraction du parfum de Rose (illustration : E. Force).

L’extraction du parfum de Rose demande l’élaboration de procédés techniques complexes. Entre autres, l’essence de Rose est obtenue par distillation des pétales (fig. 3A) ou par extraction au solvant (fig. 3B). La première technique est un procédé permettant de récupérer le distillat sous forme d’eau de Rose alors que le second donne, après évaporation du solvant, une pâte appelée concrète. Cette concrète peut être lavée à l’alcool puis filtrée pour produire une autre pâte nommée absolue.

Comme étudié plus haut, la fragrance de Rose émane de différents composés organiques volatiles, dont le géraniol. Mais, d’autres composés produits lors du chauffage présentent une importance dans l’odeur de ces huiles essentielles. En effet, divers composés volatils minoritaires apportent une signature particulière au parfum comme les ionones conférant une note de Violette ou de boisée, ou encore des dérivés d’acides gras donnant des notes vertes à l’ensemble.

Figure 4. A : Rosa x damascena (crédit photo : D. Stang) ; B : Rosa x centifolia (crédit photo : Salicyna).

Figure 4. A : Rosa x damascena (crédit photo : D. Stang) ; B : Rosa x centifolia (crédit photo : Salicyna).

Le parfum de Rose provient de deux espèces cultivées : Rosa x damascena (fig. 4A) et Rosa x centifolia (fig. 4B). La première est notamment utilisée pour parfumer les huiles essentielles, la seconde, pour obtenir la concrète et l’absolue. Cependant, grâce aux nouvelles découvertes des voies de biosynthèses de molécules odorantes chez la Rose, l’industrie du parfum peut aujourd’hui produire des molécules de synthèse permettant de se passer des essences naturelles.

 

La Rose n’est pas seulement utilisée en parfumerie. Cette fleur montre des potentialités dans des domaines tout aussi différents les uns des autres. Le sirop de Rose présente des vertus thérapeutiques et soignerait les maux de tête ainsi que les lourdeurs d’estomac. En parallèle de cette utilisation médicinale de la Rose, dans le monde de la décoration ou même en bijouterie, cette fleur, après naturalisation par séchage et fixation de sa couleur, embellie nos maisons et apporte une pointe de fantaisie sur nos accessoires. Dans le domaine culinaire, la Rose émerveille aussi nos papilles gustatives : les pétales de Roses peuvent parfumer un thé, être à la base de liqueurs et même de confitures.

À côté d’un fort ancrage dans l’industrie, la Rose possède une symbolique sans précédent au cours de l’histoire, et ce, notamment par son essence mythique encore très recherchée à l’heure actuelle.

 

Bibliographie

Magnard J.-L. et al.. Biosynthesis of monoterpene scent compounds in roses. Sciences, 2015. n° 349, pp. 81-83.

Caissard J.-C.. L’épineuse question du parfum des roses. La Recherche, 2015. n° 506, pp. 72-75.

Wheeler W.. Histoire des roses. Du May, 1995. 141 p.. ISBN 978-2841020218

Lacy A.. Splendeur des roses. Flammarion, 1999. 239 p.. ISBN 978-2082009218

Bergougnoux V.. Biosynthèse et sécrétion du parfum chez Rosa x hybrida L.. Thèse de l’université Jean Monnet de Saint-Étienne, 2005.

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