19 Avril 2020
L’humanité connaît aujourd’hui une crise sanitaire inédite liée au COVID-19. Cependant il ne s’agit pas de la première épidémie : l’Homme fut déjà confronté à d’autres épidémies dans le passé. En effet, il y a moins d’une quarantaine d’années, a été découvert le VIH, virus à l’origine du Syndrome de l’immunodéficience acquise ou Sida, causant aujourd’hui encore plus 700 000 morts par an dans le monde. Aussi, la grippe aviaire a frappé nos sociétés à la fin des années 1990, causant également de nombreuses pertes humaines. Si toutes ces épidémies sont différentes des unes des autres de par l’agent pathogène considéré et de par leurs effets sur l’Homme, il est toutefois possible de leur trouver un point commun : ce sont toutes des zoonoses. Les zoonoses sont des maladies transmises d’un animal à l’Homme.
Ainsi, comment expliquer que des virus ayant une origine naturelle confirmée, tel le SARS-CoV-2, puissent contaminer l’humanité de manière récurrente ? Aujourd’hui, pour une large partie de la communauté scientifique, la faute incombe à l’Homme même. Ceci peut être démontré par le développement de nos sociétés qui dérègle l’ensemble des écosystèmes. C’est pourquoi nous pouvons penser que l’émergence du SARS-CoV-2 est le résultat de nos modes de vie.
Depuis l’apparition de l’Homme moderne (Homo sapiens) il y a environ 200 000 ans, celui-ci a su s’adapter à son environnement proche, mais a aussi profondément modifié les milieux qu’il pouvait fréquenter. Aujourd’hui, le développement de nos sociétés nous a conduit à conquérir des territoires sauvages, chacun peuplé d’une riche biodiversité. C’est ici que se trouve la responsabilité de l’Homme dans l’apparition de nouvelles pandémies. En quoi sommes-nous responsables de l’émergence de nouvelles pandémies ?
Figure 1. Nombre de maladies en fonction des années (illustration : E. Force, d’après Kate E. et al., 2008).
Courant le XXe siècle, un accroissement de l’apparition de zoonoses peut être constaté (fig. 1). Ce dernier est le reflet d'une part des diverses avancées techniques, et d'autre part de l'action de l'Homme sur son environnement. Notons un pic dans les années 1980 correspondant à la découverte de nouveaux agents pathogènes dont le VIH, responsable du Sida et initialement transmis par le Singe. Plus récemment, les épidémies de grippe aviaire ou encore d’Ébola ont trouvé leur origine suite à un contact direct, ou non, de l’Homme avec des animaux sauvages. Alors comment expliquer les apparitions répétées de ces épidémies ?
Les zoonoses sont connues depuis longtemps et constituent le point de départ à toute nouvelle épidémie. De plus, la domestication animale est un facteur important à prendre en considération dans l’émergence de telles maladies. En effet, il est possible de corréler le temps de domestication d’un animal avec le nombre de maladies infectieuses partagées avec l’Homme.
Figure 2. Relation entre la durée de domestication d’un animal et le nombre de maladies infectieuses partagées avec l’Homme (illustration : E. Force).
De cette figure 2, nous constatons que plus nous domestiquons d’animaux durant une période de temps longue, plus le nombre de maladies infectieuses transmises à l'Homme augmente. Par exemple, la Vache, un animal domestiqué depuis plus de 10 000 ans, a transmis nombre de virus dont la variole, la rougeole ou encore les oreillons. Cependant, de nos jours, l’apparition de nouvelles maladies vient principalement des Chauves-souris. Comment cela est-il possible ? L’Homme entre en contact fréquent avec ces animaux sauvages alors que nous ne sommes pas censés cohabiter avec ces espèces. Mais, au niveau des tropiques, là où la biodiversité est des plus riches, la cohabitation Homme Chauve-souris est constatée. En effet, l’accroissement démographique des populations humaines implique la colonisation à tort ou à raison des forêts tropicales. Un indicateur, la superficie forestière par habitant, apporte des éléments de réponse à ces propos.
Figure 3. Superficie forestière par habitant en fonction des années dans les zones tropicales (illustration : E. Force).
Au niveau de l’équateur, la superficie forestière par habitant a drastiquement été divisée par deux en 25 ans (fig. 3). Ceci pose incontestablement le problème suivant : plus la superficie des habitats des animaux sauvages est réduite, plus l’on accroit le risque d’apparition de nouvelles maladies. Cela peut s’expliquer par l’augmentation de la densité des espèces, y compris l’Homme, en un lieu donné, facilitant la transmission des virus entre les animaux sauvages et l’espèce humaine. De plus, les animaux qui s’acclimatent le mieux à la présence de l’Homme sont le plus souvent des espèces dites généralistes tels le Rat ou le Moustique par exemple. En effet, ces espèces s’habituent rapidement à leur nouvel environnement et possèdent un régime alimentaire omnivore dans le cas du Rat. De ce fait, de par leur régime alimentaire, ces animaux augmentent leurs risques de contamination par des pathogènes. Néanmoins, au fil du temps, les espèces généralistes acquièrent des résistances pour ces pathogènes. Ces derniers ne sont donc plus virulents mais sont tout de même véhiculés par ces animaux, pouvant alors contaminer l’Homme. En détails, comment cette contamination se réalise-t-elle ?
Généralement, la transmission à l’Homme d’un virus présent chez une espèce animale sauvage comme la Chauve-souris nécessite l’intervention de vecteurs. Durant le passage de vecteur en vecteur, il se peut que le virus mute afin de s’adapter à ses nouveaux hôtes. Ces mutations peuvent entraîner une augmentation de la virulence du pathogène. Ces vecteurs sont aussi nommés espèces relais. Celles-ci peuvent être aussi bien des animaux sauvages comme les Singes (cas du virus Ébola), que des animaux domestiques : Chien, Chat, Cochon, Vache, etc. Du fait du développement de nos sociétés humaines, ces populations d’animaux domestiqués et sauvages sont amenées à se rencontrer. Cela a été notamment le cas, dernièrement, au sein du marché alimentaire de Wuhan en Chine où se trouvaient des animaux sauvages exposés aux côtés d’animaux domestiqués. C’est ce qui aurait provoqué l’émergence de l’épidémie au COVID-19. Un autre exemple encore plus révélateur peut être cité. La déforestation pratiquée par l’Homme a pour but de convertir les forêts en terres agricoles pour y permettre, entre autres, l’élevage d’animaux. Tel a été le cas en Malaisie dans les années 1990. Les forêts ont été coupées au profit de fermes à Cochons. Aussi, cette région du monde abrite une Chauve-souris porteuse d’un virus appelé Nipah. Cette Chauve-souris est frugivore. Les Cochons d’élevage se nourrissent aussi de fruits notamment des restes de fruits consommés par ces Chauves-souris porteuses du Nipah. C’est ainsi que les Cochons entrent en contact avec le virus et le diffusent aux éleveurs. En conséquence, plusieurs dizaines de personnes sont décédées de ce virus. La seule solution pour stopper la propagation de l’épidémie a été d’abattre des centaines de milliers de Porcs. Le plus déplorable est que ces animaux d’élevages, destinés à l’exportation, ne se retrouvent pas naturellement dans cette région du monde, et ne cohabitent donc aucunement avec des Chauves-souris. C’est pourquoi la faute ne revient pas à ces espèces mais bien à l’Homme ayant élevé des animaux domestiques au contact de ces Chauves-souris. En d’autres termes, le développement économique de nos sociétés favorise les contaminations entre les animaux et permet ainsi la transmission de virus à l’espèce humaine. Pour appuyer cet argumentaire, au Congo, des mines à ciel ouvert ont émergé pour extraire le coltane, un minerai entrant dans la composition des smartphones, ordinateurs ou autres. Les mineurs travaillant à ces endroits se nourrissent d’animaux sauvages pouvant porter des virus. C’est ainsi qu’en achetant un smartphone ou autres objets technologiques, nous contribuons indirectement à l’exploitation massive de ces mines de coltane et par extension nous favorisons l’émergence de nouveaux virus.
L’ensemble de ces faits explique le déclenchement d’une épidémie humaine. Aussi, la responsabilité de l’Homme est mise en cause dans la propagation de ces nouveaux virus. Sont ici ciblés les changements anthropiques et démographiques principalement. Selon certains scientifiques, il existerait plus de 300 000 virus encore inconnus, tous portés par des animaux sauvages. Cela signifie qu’à leur contact, de nouvelles pandémies, aux conséquences imprévisibles, pourraient naitre. C’est pourquoi il est fondamental et peut-être même vital de remettre en question nos modes de vie et ainsi changer nos comportements sans quoi, ce triste épisode sanitaire que nous connaissons aujourd’hui pourra probablement se représenter dans un futur proche.
Bibliographie
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Illustration de couverture : shutterstock.com