1 Septembre 2019
Les plantes terrestres ou Embryophytes sont des organismes fixés qui s’ancrent dans le sol par leur système racinaire, alors que, l’appareil caulinaire s’élève au-dessus de celui-ci afin de collecter la lumière, indispensable à leur croissance.
Malgré leur fixation au substrat, les plantes terrestres sont capables de mouvements suite à une stimulation du milieu extérieur. On parle de tropismes ou de nasties.
Les tropismes sont des mouvements orientés de croissance en réponse à un stimulus. À l’opposé, les nasties sont des mouvements déterminés par la structure de l’organe, répondant à une stimulation du milieu extérieur. De ce fait, les nasties dépendent donc uniquement de l’anatomie de l’organe considéré.
De tels mouvements s’expliquent dans la majorité des cas par des variations de turgescence des cellules composant des zones « articulaires » et sont alors réversibles. Ils peuvent également être produits par une différence de croissance au sein d’un organe et sont alors irréversibles.
Les nasties de turgescence, des mouvements réversibles des plantes terrestres
Les nasties de turgescence répondent à divers stimuli de l’environnement extérieur. Elles peuvent être la conséquence d’un choc ou d’un contact appliqué à un organe végétal, celle d’une variation de l’éclairement du milieu extérieur, ou encore celle d’une diminution de l’humidité relative de l’air.
Quand l’humidité relative de l’air fait se déplier les feuilles
Les variations de l’hygrométrie atmosphérique peuvent engendrer des mouvements chez les plantes. Ces derniers sont dus à des variations différentielles de turgescence de certaines cellules. On parle ainsi d’hydronastie. Ce phénomène est principalement bien illustré par l’Oyat (Ammophila arenaria), une plante de la famille des Poacées, présentant ce type de nastie.
Figure 1. A : Ammophila arenaria ; B : coupe transversale d’une feuille d’Oyat en position fermée x4 ; C : coupe transversale d’une feuille d’Oyat en position fermée x20 (crédit photo : E. Force, collection P. Labrot).
Une observation histologique d’une feuille d’Oyat en coupe transversale permet de noter une organisation tissulaire différente entre les deux faces de la feuille (fig. 1). La face dorsale[1] est rigide, comprenant un épiderme à cuticule épaisse ainsi qu’un parenchyme sclérifié. Cette zone très lignifiée est peu perméable aux variations d’hygrométrie et a tendance à contraindre la feuille à se replier sur elle-même et à s’enrouler.
À l’inverse, la face ventrale, quant à elle, est beaucoup plus perméable à la vapeur d’eau atmosphérique. Elle comprend un épiderme à cuticule fine et est pourvue de stomates. On y observe aussi un parenchyme chlorophyllien à parois cellulosiques ainsi que de grandes cellules bulliformes. Ce sont ces dernières qui, en fonction de leur turgescence, sont responsables des mouvements d’ouverture et de fermeture de la feuille.
Sur un plan physiologique, lorsque les cellules bulliformes sont turgescentes, une pression s’exerce sur les tissus parenchymateux sclérifiés, impliquant une ouverture de la feuille. A contrario, lorsque les cellules bulliformes sont plasmolysées, une diminution de la pression sur les tissus parenchymateux sclérifiés est constatée impliquant un retour à un état de fermeture de la feuille.
Ce type de nastie permet à la plante d’éviter les pertes d’eau par évapotranspiration et par conséquent de résister aux périodes de sécheresse.
Le pulvinus, une « charnière cellulaire » qui module l’orientation de la feuille
De nombreux facteurs externes sont capables d’induire un mouvement des feuilles. Chez l’Oxalis (Oxalis sp.), mais aussi chez le Haricot (Phaseolus vulgaris), il est facile d’observer une inclinaison des feuilles en direction du sol à la tombée du jour.
Ces mouvements sont dus à des variations de turgescence de certaines cellules au niveau d’une zone « articulaire » de la plante appelé pulvinus. Lors d’un faible éclairement, les feuilles sont tombantes alors que soumises à fort éclairement, elles sont dressées.
Ainsi, ces changements d’orientations en fonction de l’intensité de l’éclairement peuvent être interprétés comme une adaptation à la capture de la lumière comme pourrait le faire un panneau solaire orientable.
Outre la lumière, les chocs ou contacts avec des corps étrangers sur des feuilles peuvent provoquer des mouvements de ces dernières. Les mouvements répondant à un choc, qu’il soit thermique, chimique, électrique, etc., sont des séismonasties alors que, les mouvements répondant à un contact avec un corps étranger à la plante sont des thigmonasties.
Ces deux types de nasties assurent plusieurs fonctions chez les plantes. Chez le Cactus, elles permettent de synchroniser l’ouverture de la fleur au moment où le pollinisateur est présent. Elles peuvent également protéger les organes contre une agression mécanique. Cette dernière fonction est facilement observable chez la Sensitive (Mimosa pudica) où un simple contact entraine rapidement un repliement des feuilles et folioles en quelques secondes. Cette réaction est d’autant plus rapide et importante que la stimulation externe est forte. La plante met ensuite quelques minutes à reprendre son port initial.
[1] La face dorsale d’une feuille correspond à la face inférieure, tournée vers le sol.
Figure 2. Schéma d’une feuille de Mimosa pudica avant (A) et après (B) une stimulation extérieure ; C : schéma de la localisation d’un pulvinus tertiaire (illustration : E. Force, d’après P. H. W. Taubert, 1891).
Ces mouvements sont là aussi permis par une multitude de pulvini. On observe en effet ces structures aux articulations de la tige avec le pétiole pour les pulvini primaires, du pétiole avec les pétiolules pour les pulvini secondaires, et du pétiolule avec les folioles pour les pulvini tertiaires (fig. 2).
C’est l’action conjuguée des pulvini primaires, secondaires et tertiaires qui permet de passer d’un port dressé à un port tombant donnant ainsi, à la feuille, un aspect fané.
Un pulvinus, comment ça fonctionne ?
Figure 3. Schéma d’une coupe longitudinale d’un pulvinus tertiaire de Mimosa pudica en microscopie électronique à transmission (illustration : E. Force, d’après Visnovitz et al., 2008). G : cellule de garde constituant un stomate ; R : cellule mécano-réceptrice ; E : cellule motrice ; Ep : cellule épidermique ; Plasmodesme : interruption de la paroi permettant une jonction cytoplasmique entre deux cellules voisines.
Un pulvinus, est constitué de deux types de cellules distinctes généralement à la base de la feuille. Une coupe histologique permet de distinguer des cellules mécano-réceptrices capables de détecter un contact et des cellules motrices dont la turgescence variable permettra le mouvement de la base de la feuille. Les premières sont situées de part et d’autre de cellules de gardes et sont également en contact avec les cellules motrices allongées (fig. 3). Une fois touchées, les cellules mécano-réceptrices transmettraient un signal électrique, qui se propagerait vers les cellules motrices grâce à la continuité cytoplasmique existant entre ces deux cellules (fig. 3).
Figure 4. Schéma des cellules motrices d’un pulvinus de Mimosa pudica avant (A) et après (B) une courbure (illustration : E. Force, d’après Fleurat-Lessard et al., 1982).
Le repliement des feuilles se fait lorsque les cellules motrices perdent leur turgescence, c’est-à-dire qu’au sein de chaque cellule, le volume de la vacuole est réduit, rendant ainsi la paroi cellulaire moins tendue et par conséquent le tissu plus lâche.
Plus en détails, l’état initial d’une cellule motrice d’un pulvinus est perturbé suite à une stimulation. Ceci cause la sortie d’ions chlorures (Cl-) et potassiums (K+). Cette sortie d’ions s’accompagne d’une sortie massive d’eau traduisant la perte de turgescence. La cellule motrice atteint son état relâché en seulement une seconde (fig. 4).
De cela, nous constatons une très rapide courbure du pulvinus engendrant, par la suite, le repliement des feuilles. Le retour à l’état initial prend beaucoup plus de temps.
L’utilité de tels mouvements chez cette plante reste aujourd’hui encore hypothétique. Néanmoins, il semblerait que ce mécanisme soit un mécanisme de défense lutant ainsi contre les agressions de divers prédateurs.
Le piège foliaire de la Dionée, un mécanisme plus complexe qu’un simple repliement mécanique
Les nasties de turgescence peuvent aussi servirent à la capture de proies soulignant ainsi qu’un même mécanisme fonctionnel a pu être utilisé dans des stratégies adaptatives différentes. Ceci est observé chez les plantes carnivores comme la Dionée (Dionea muscipula).
La Dionée, est une plante de la famille des Droseracées qui vit dans les tourbières où l’acidité du milieu empêche la minéralisation rapide de la matière organique. Afin de compenser la carence en azote minéral, elle trouve une source alternative d’azote dans les proies qu’elle peut capturer.
Les feuilles de Dionée sont bilobées et possèdent sur les bords des dents en forme d’aiguille (fig. 5). Elles sont spécialisées dans la capture de proies telles que des mouches. L’intérieur des lobes sont munis de trois poils sensitifs. Ils sont également pourvus de glandes nectarifères attirant ainsi les Insectes.
Figure 6. Schéma du fonctionnement du mécanisme de fermeture de la feuille chez Dionea muscipula (illustration : E. Force).
L’Insecte, une fois posé sur un lobe de la feuille ouverte, stimule les poils sensoriels. Ces derniers transmettent l’information au niveau de la nervure centrale ou charnière, mais aussi à l’ensemble de la feuille qui réagit par une variation de turgescence de l’ensemble de ces cellules, provoquant ainsi la fermeture rapide de la feuille. De plus, pour qu’il y ait une stimulation, il est nécessaire de toucher, dans un intervalle de temps très court, plusieurs poils, ce qui est réalisé par un insecte volant de manière désordonnée.
Plus en détails, ce mécanisme de fermeture chez cette plante peut être assimilé à une courbure hydro-élastique (fig. 6). Les lobes de la feuille possèderaient une courbure hydro-élastique aves plusieurs couches de cellules à des pressions de turgescence différentes. Lors d’un stimulus, ceci engendrerait l’ouverture de pores connectant les différentes couches cellulaires. Ainsi, on observerait une migration de l’eau d’une couche de cellules à une autre jusqu’à arriver à un équilibre qui serait, par conséquent, l’état de fermeture de la feuille.
C’est ainsi que les nasties observées chez ces plantes carnivores reflètent un mécanisme bien plus complexe qu’un simple repliement mécanique.
Les nasties de croissance, des mouvements irréversibles des Embryophytes
Les nasties de croissance se différencient des nasties de turgescence par le fait qu’elles sont irréversibles. Lors du développement d’un organe telle qu’une feuille, un bourgeon ou encore un hypocotyle, celui-ci peut être amené à se courber suite à une inégale croissance cellulaire entre les deux faces de cet organe. Si la face supérieure d’une feuille croit plus rapidement que la face inférieure, alors on observera une courbure générale en direction du sol. On parle d’hyponastie. À l’opposé, si la face inférieure croit plus rapidement que la face supérieure, alors la feuille s’orientera vers le haut. Cette nastie est dite épinastie.
Ces types de nasties répondent à différents stimuli environnementaux comme une immersion d’un organe dans l’eau, une carence nutritionnelle de la plante, mais également une variation de l’apport en éthylène émit par d’autres plantes, etc.
Des fleurs qui s’ouvrent et se ferment au fil du jour et de la nuit
Certaines fleurs ont la capacité de s’ouvrir le jour et de se fermer la nuit. Ici, le stimulus environnemental n’est pas la lumière mais bien la température qui varie entre le jour et la nuit. Ces mouvements sont alors qualifiés de thermonasties. Ces derniers résultent d’une différence de la vitesse de croissance des deux faces du pétale. Ce type de mouvement est notamment constaté chez la Tulipe (Tulipa sp.).
Figure 7. Résultats d’une expérience montrant un différentiel de croissance d’un pétale en fonction de la température du milieu extérieur (illustration : E. Force, d’après Wood-Crombie et al., 1962).
Afin de comprendre le mécanisme en question, une expérience a été réalisée en soumettant des morceaux de tissus des faces interne ou externe de la base d’un pétale, à des changements de température et en mesurant, par la suite, leurs dimensions au cours du temps (fig. 7).
On tire de cette expérience que lors d’un réchauffement, c’est la face interne qui grandit plus rapidement que la face externe provoquant l’ouverture de la fleur. À l’inverse, lors d’un refroidissement, la face externe croit plus rapidement que la face interne ce qui engendre la fermeture de la fleur.
Les nyctinasties, ou quand les plantes font « tic-tac »
Carl Von Linné, un naturaliste suédois, a étudié le mouvement des pétales chez plusieurs espèces de plantes à fleurs. Il en a conclu que certaines plantes s’ouvraient ou se refermaient à une heure relativement fixe de la journée. De cette expérience, il a construit une horloge florale (fig. 8), suggérant le fait que les plantes avaient une horloge interne. Environ un siècle plus tard, Augustin de Candolle, qui travaillait sur les mouvements journaliers des feuilles de Mimosa pudica constata que ceux-ci persistaient à l’obscurité et avaient une périodicité de 22 à 23 heures. Il en conclu que cette espèce présentait une tendance endogène à avoir un mouvement rythmique des feuilles. Bien plus tard, en 1959, Franz Halberg, introduit le terme de « circadien » signifiant littéralement « autour du jour », pour décrire ce rythme endogène proche, sans être parfaitement égal, de la période du cycle jour/nuit.
Aujourd’hui, la présence d’une horloge circadienne endogène a été prouvée par l’expression rythmique de certains gènes dès l’inhibition de graines soumises à un seul stimulus, la présence d’eau.
Figure 9. Schéma représentant les trois composantes de l’horloge circadienne (illustration : E. Force).
D’une manière générale et un peu simpliste, une horloge circadienne présente trois composantes : des stimuli environnementaux, un oscillateur central et des voies de sorties délivrant la rythmicité d’un processus biologique (fig. 9). L’oscillateur central dans une cellule correspond à un ensemble de gènes dits « maîtres » dont l’expression est coordonnée avec une périodicité proche des 24 heures. L’expression de ces gènes produit des protéines appelées facteur de transcription qui vont, à leur tour, activer l’expression d’un ensemble de gènes impliqué dans un phénomène physiologique comme une nastie par exemple. Il arrive que cette horloge ait besoin d’être « remise à l’heure ». C’est là qu’interviennent les stimuli environnementaux qui sont souvent d’ordre lumineux. La plante est capable de détecter des variations de qualité et d’intensité de la lumière par nombre de photorécepteurs qui pourront, par la suite, recadrer l’activité rythmique de l’expression des gènes de l’oscillateur central. Ces mécanismes sont très complexes et encore très loin d’être complètement élucidés.
En conclusion, les nasties représentent diverses stratégies adaptatives mises au point par les plantes terrestres afin d’échapper à l’immobilité. Certaines de ces adaptations ont apporté un avantage sélectif pour résister aux conditions abiotiques du milieu extérieur tels que la sécheresse, le froid, etc., mais également aux conditions biotiques comme l’herbivorie, ou encore la capture de proies. Ainsi, ces mouvements mettent en évidence une sensibilité des plantes à leur milieu. Par ailleurs, il existe aussi chez ces dernières des mécanismes de transmission du signal, mettant en cause un flux ionique qui crée une onde de dépolarisation identique à celui observé dans un signal nerveux même si la spécialisation cellulaire chez les plantes est moindre que celle observée chez les animaux.
Dans tous les cas, l’explication des mécanismes sous-jacents à la perception des stimuli de nasties restent peu connus et susciteront encore l’intérêt de nombreuses recherches.
Bibliographie
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Harmer S.-L.. The circadian system in higher plants. Annual review Plant biology, 2009. n° 60, pp. 357-377.
Mary W. & Crombie L.. Thermonasty. Plant physiology, 1962. n° 532, pp. 15-28.
Ueda M. & Yamamura S.. Chemistry and biology of plant leaf movements. Angewandte Chemie International Edition, 2000. n° 39, pp. 1400-1414.
Visnovitz T. et al.. Mechanoreceptor cells on the tertiary pulvini of Mimosa pudica L.. Plant Signaling & Behavior, 2007. n° 2, pp. 426-466.
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