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De la réception à la perception du signal lumineux chez les animaux

D’un point de vue théorique, la lumière peut être représentée par des ondes électromagnétiques ou par des photons. La lumière dite visible correspond au spectre du rayonnement électromagnétique perceptible par les Eumétazoaires. Il s’échelonne entre 380 et 780 nm environ. De plus, une autre caractéristique de la lumière, à savoir la longueur d’onde, influe sur la perception sensorielle du signal lumineux en donnant notamment une couleur.

La lumière est l’un des signaux les plus important dans l’environnement. La survie de bon nombre d’organismes eumétazoaires dépend de leur capacité à détecter ce signal notamment. En effet, 90% des espèces animales connues sont pourvues d’un senseur de lumière, et même chez certains groupes, comme les Oiseaux, la vision est le sens dominant. Alors comment les Oiseaux, et plus largement les Eumétazoaires, détectent-ils et perçoivent-ils la lumière ?

La détection de la lumière est assurée par des photopigments universels présents dans les cellules photoréceptrices

La sensibilité à la lumière fluctue d’un organisme à un autre. En effet, la détection du signal lumineux est fonction de structures spécifiques. Par exemple, des chromatophores, cellules tégumentaires comprenant un pigment, sont remarquées dans de nombreux groupes animaux et sont directement liées à la sensibilité à la lumière. Par ailleurs, les chromatophores sont responsables des variations de couleur et de l’obscurcissement du tégument.

Néanmoins, des organes spécialisés dans la détection du signal lumineux sont apparus plusieurs fois au cours de l’évolution, au travers de structures très variées. Bien que ces organes de capture de la lumière soient différents d’un taxon à un autre, les processus initiaux de conversion de l’énergie lumineuse en un message codé sont similaires et impliquent des molécules très conservées : les photopigments.

Les pigments visuels : chromophores et opsines

Les pigments visuels rencontrés chez les Eumétazoaires sont composés d’une molécule d’opsine ainsi que d’un chromophore ou groupement prosthétique dérivé de la vitamine A. Les chromophores fréquemment rencontrés sont le rétinène, aussi appelé rétinal et constitutif de la rhodopsine des Mammifères, le 3-déhydrorétinal composant la porphyropsine des larves de Lissamphibiens ainsi que le 3-hydroxyrétinal à l’origine de la xanthopsine chez certains Insectes.

Figure 1. Action de la lumière sur les pigments visuels avec l’exemple de la rhodopsine des Mammifères vue du dessus (illustration : E. Force). À gauche : obscurité, rétinène en configuration 11-cis ; à droite : lumière, rétinène en configuration trans. 1 à 7 : domaines transmembranaires de l’opsine.

Figure 1. Action de la lumière sur les pigments visuels avec l’exemple de la rhodopsine des Mammifères vue du dessus (illustration : E. Force). À gauche : obscurité, rétinène en configuration 11-cis ; à droite : lumière, rétinène en configuration trans. 1 à 7 : domaines transmembranaires de l’opsine.

La lumière agit directement sur les chromophores en provoquant l’isomérisation du 11ème carbone passant d’une position cis à une position trans. Cet évènement génère par conséquent une modification de la conformation de l’opsine (fig. 1).

En outre, de nombreuses espèces ont plusieurs gènes codant pour des opsines différentes. Ces gènes sont exprimés dans des cellules différentes, et constituent le support de la vision chromatique. Dans le cas des Primates, trois photopigments ont été trouvés au sein des cônes, cellules photoréceptrices spécifiques.

Par ailleurs, la plupart des organismes perçoive les signaux lumineux répartis dans un spectre d’ondes plutôt étroit, compris entre 380 et 780 nm. Ces longueurs d’onde correspondent aux ondes lumineuses visibles émises par le Soleil ainsi qu’aux limites biochimiques des photopigments. En effet, une trop faible énergie ne stimule pas les photopigments alors qu’une trop forte énergie peut détruire ces molécules. De plus, en fonction de la nature du chromophore ou de l’opsine, l’étendue du spectre d’ondes ainsi que la position du maximum d’absorption dans le domaine du visible fluctuent. D’ailleurs, certains Eumétazoaires ont acquis la capacité de détecter le rayonnement ultraviolet (UV) inférieur à 380 nm.

Les deux grands types de cellules photoréceptrices

Figure 2. Les deux grands types de photorécepteurs (illustration : E. Force). A : cellule ciliée (bâtonnet) de Vertébrés ; B : cellule à rhabdomes d’Euarthropodes.

Figure 2. Les deux grands types de photorécepteurs (illustration : E. Force). A : cellule ciliée (bâtonnet) de Vertébrés ; B : cellule à rhabdomes d’Euarthropodes.

Deux grands types de récepteurs visuels existent au sein des Eumétazoaires. L’un d’entre eux s’apparente à une cellule ciliée, dont le cil représente la région transductrice du signal lumineux (fig. 2A). Au niveau du cil, la membrane présente de nombreux replis internes contenant les photopigments. Cette cellule photoréceptrice est retrouvée chez les Vertébrés (ex. cellules en bâtonnet), chez les Cnidaires, les vers plats et certains Mollusques.

L’autre type de cellules photoréceptrices présente des évaginations portant les photopigments et formant le rhabdome : on parle de récepteurs rhabdomériques (fig. 2B). Au sein des rhabdomes, les chaînes carbonées du rétinène sont agencées quasi-parallèlement à l’axe des microvillosités qui ont une forme tubulaire. Une telle disposition favorise la détection du plan de polarisation de la lumière, contrairement aux cellules ciliées qui possèdent une disposition des photopigments irrégulière. Les récepteurs rhabdomériques sont remarqués chez les Euarthropodes et chez un bon nombre de Bilatériens hormis les Vertébrés. Ainsi, comme vu précédemment, certains groupes tels que les vers plats ou les Mollusques possèdent les deux types de photorécepteurs.

Figure 3. Les deux grands types de photorécepteurs (d’après Raible & Tessmar-Raible, 2014). A : arbre phylogénétique simplifié des Bilatériens indiquant la position de Platynereis (en jaune) parmi le superphylum des Lophotrochozoaires ; B : vue dorsale d'une femelle mature de Platynereis dumerilii ; C : vue frontale d'un animal transgénique (r-ops::egfp), dans lequel les photorécepteurs sont visualisés par une protéine fluorescente verte (GFP).

Figure 3. Les deux grands types de photorécepteurs (d’après Raible & Tessmar-Raible, 2014). A : arbre phylogénétique simplifié des Bilatériens indiquant la position de Platynereis (en jaune) parmi le superphylum des Lophotrochozoaires ; B : vue dorsale d'une femelle mature de Platynereis dumerilii ; C : vue frontale d'un animal transgénique (r-ops::egfp), dans lequel les photorécepteurs sont visualisés par une protéine fluorescente verte (GFP).

Dernièrement, des études ont montré qu’une Annélide polychète, Platynereis dumerilii, portait ces deux types de récepteurs visuels : les récepteurs rhabdomériques étaient impliqués dans la formation des images (vision sensu stricto) alors que les récepteurs ciliaires étaient spécialisés dans la détection de la lumière pour contrôler les rythmes circadiens de l’animal (fig. 3). Ces deux types de photorécepteurs sont donc apparus simultanément au cours de l’évolution en assurant des fonctions indépendantes.

Les cellules photoréceptrices sont intégrées dans des structures sensibles à la lumière

Les organes sensibles à la lumière se caractérisent par de simples taches oculaires à des organes plus « complexes » qualifiés d’yeux. Ces derniers comportent des structures nerveuses pouvant coder les stimuli lumineux en informations interprétables par le système nerveux central. Ces structures nerveuses forment un feuillet interne au sein d’un ensemble de cellules impliqué dans la perception visuelle : la rétine. Par ailleurs, les autres éléments de l’œil permettent la formation d’image sur la rétine.

Les deux grands types d’yeux : œil camérulaire et œil composé

Selon l’organisation anatomique des organes sensibles à la lumière, il est possible de définir deux types d’yeux. En effet, en fonction que la rétine est concave ou convexe, on parle respectivement d’œil camérulaire ou d’œil composé.

Figure 4. L’œil camérulaire (illustration : E. Force, modifiée d’après Nilsson, 2021). A : structure ; B : œil camérulaire d’une Planaire ; C : œil camérulaire d’une Néréis ; D : œil camérulaire d’un Octopus.

Figure 4. L’œil camérulaire (illustration : E. Force, modifiée d’après Nilsson, 2021). A : structure ; B : œil camérulaire d’une Planaire ; C : œil camérulaire d’une Néréis ; D : œil camérulaire d’un Octopus.

Si la rétine est concave, une image de l’environnement visuel peut être réalisée grâce à l’ajout d’une lentille convergente à la surface de l’œil (fig. 4A). Ce type d’œil est alors qualifié de camérulaire. Ces yeux peuvent être plus ou moins complexes selon l’espèce considérée (fig. 4B-D).

Figure 5. Les yeux camérulaires de Tripedalia cystophora (modifié d’après Nilsson et al., 2005). A : le rhopalium montre les deux gros yeux supérieur et inférieure, flanqués de deux paires d'yeux plus simples sur les côtés. B et C : l'œil inférieur se compose une pupille mobile. En B, l'œil a été exposé pendant environ 10 min à des intensités lumineuses correspondant à la lumière directe du soleil, ce qui est suffisant pour fermer la pupille au maximum. La pupille complètement ouverte en C est le résultat d'une obscurité totale pendant 10 min. Les ajustements de la pupille prennent environ 1 min. D : modèle anatomique des différents yeux.

Figure 5. Les yeux camérulaires de Tripedalia cystophora (modifié d’après Nilsson et al., 2005). A : le rhopalium montre les deux gros yeux supérieur et inférieure, flanqués de deux paires d'yeux plus simples sur les côtés. B et C : l'œil inférieur se compose une pupille mobile. En B, l'œil a été exposé pendant environ 10 min à des intensités lumineuses correspondant à la lumière directe du soleil, ce qui est suffisant pour fermer la pupille au maximum. La pupille complètement ouverte en C est le résultat d'une obscurité totale pendant 10 min. Les ajustements de la pupille prennent environ 1 min. D : modèle anatomique des différents yeux.

L’œil camérulaire est retrouvé chez divers taxa. Sa version la plus ancienne est probablement celle observée chez les Cubozoaires (fig. 5). De plus, d’autres yeux camérulaires plus élaborés sont constatés chez les Céphalopodes ainsi que les Vertébrés.

Figure 6. L’œil composé (illustration : E. Force). A : structure ; B : exemple des ommatidies des Insectes.

Figure 6. L’œil composé (illustration : E. Force). A : structure ; B : exemple des ommatidies des Insectes.

Si la rétine est convexe, les cellules réceptrices sont stimulées par un faisceau lumineux étroit et perpendiculaire à la surface rétinienne (fig. 6A). Ce type d’œil est retrouvé chez les Euarthropodes et est formé par la juxtaposition d’unité visuelle nommée ommatidie : il s’agit d’un œil composé (fig. 6B). Cet œil ne possède pas un bon pouvoir séparateur mais ne nécessite aucune accommodation du fait que les photopigments sont positionnés sur une grande épaisseur. En comparaison avec les yeux camérulaires, les yeux composés sont moins efficaces pour la formation d’images, mais néanmoins plus performant dans la détection de mouvements.

Figure 7. Œil composé d'un Trilobite (Wallicerops trifurcatus) du Dévonien moyen, Maroc (crédit photo : P. Thomas).

Figure 7. Œil composé d'un Trilobite (Wallicerops trifurcatus) du Dévonien moyen, Maroc (crédit photo : P. Thomas).

Par ailleurs, au cours de l’évolution, les yeux ont également acquis deux ou plusieurs cellules photoréceptrices sensibles à des longueurs d’ondes différentes. Cette caractéristique est fondamentale pour la vision des couleurs notamment. Une telle vision est notamment remarquée chez bon nombre de Vertébrés. Quelle est la structure de l’œil de Vertébrés et comment ses organismes peuvent-ils percevoir les couleurs ?

L’œil de Vertébré : un organe rempli de liquide et délimité par des tissus spécialisés

L’œil camérulaire détecte le signal lumineux par les cellules photoréceptrices positionnées au sein de la rétine. Celle-ci est structuralement et fonctionnellement similaire chez tous les Vertébrés.

Figure 8. Structure schématique de l’œil de Vertébré (illustration : E. Force).

Figure 8. Structure schématique de l’œil de Vertébré (illustration : E. Force).

Plus largement, l’œil de Vertébrés est une sphère remplie de liquide et délimité par une paroi constituée de trois tissus (fig. 8). De l’extérieur vers l’intérieur, ces tissus sont (i) la sclérotique et la cornée, (ii) la choroïde, le corps ciliaire et l’iris, puis (iii) la rétine. En détails, la sclérotique est un tissu conjonctif constituant la plus grande partie du globe oculaire. Jouxtant la sclérotique se trouve la cornée. Cette dernière est transparente et permet le passage des rayons lumineux à l’intérieur de l’œil. Sous la sclérotique, la choroïde est un tissu très pigmenté et irisé. Elle comporte les vaisseaux sanguins irrigant la rétine. Sous la choroïde se trouve la rétine. Celle-ci est constituée par un épithélium pigmentaire externe et par une couche interne composée de cellules nerveuses et sensorielles. Les cellules épithéliales externes contiennent des pigments mélaniques permettant l’absorption des rayons lumineux parasites.

Quant à l’intérieur de l’œil, il est divisé en deux cavités remplies de liquide transparent favorisant ainsi le passage de la lumière de la cornée jusqu’à la rétine. Ces cavités sont séparées par un cristallin (fig. 8). La première cavité située entre la cornée et le cristallin est remplie d’une solution aqueuse ou humeur aqueuse ; la seconde cavité positionnée entre le cristallin et la rétine contient un liquide gélatineux : l’humeur vitrée. Cette dernière est d’importance du fait qu’elle participe au maintien de la forme globulaire de l’œil. L’humeur aqueuse, quant à elle, transporte les nutriments fondamentaux pour la cornée et le cristallin, tissus non irrigués. En effet, si des vaisseaux étaient présents au sein de ces tissus, ils pourraient être des obstacles aux rayons lumineux.

Néanmoins, bien que le passage des rayons lumineux ne soit pas entravé par les tissus de l’œil, la quantité de lumière entrante est contrôlée par une structure en anneau, fine et pigmentée.

L’iris et la diaphragmation

Figure 9. Contrôle du diamètre de la pupille d’un œil de Mammifère (illustration : E. Force).

Figure 9. Contrôle du diamètre de la pupille d’un œil de Mammifère (illustration : E. Force).

L’iris est une structure en anneau, fine et pigmentée (conférant la « couleur de l’œil ») et composée de fibres musculaires lisses. Elle est à l’origine du contrôle de la quantité de lumière qui pénètre dans l’œil. Un trou central est présent et forme la pupille (fig. 9). De plus, certaines fibres musculaires sont organisées de façon radiaire alors que d’autres sont agencées de façon circulaire. Ainsi, lorsque les premières se contractent, elles provoquent la dilatation de la pupille appelée mydriase. À l’opposé, quand les fibres musculaires circulaires se contractent, une diminution du diamètre de la pupille se produit : il s’agit de la myosis (fig. 9).

Les contractions des fibres musculaires de l’iris sont sous le contrôlent du système nerveux autonome. En effet, la mydriase est reliée au système nerveux sympathique, la myosis au système nerveux parasympathique (fig. 9). De plus, l’ouverture de la pupille étant contrôlée par le système nerveux autonome, des facteurs environnementaux comme la lumière elle-même peuvent être à l’origine de changement de la taille de la pupille. Par exemple, un trop fort éclairement induit une fermeture drastique de la pupille.

L’équilibre entre les deux mouvements de l’iris contrôle ainsi la quantité de lumière pénétrant dans l’œil. Les rayons lumineux entrant sont dirigés précisément sur la rétine grâce aux diverses structures de l’œil.

L’œil : un système convergent modulable

Figure 10. L’œil : une lentille convergente (illustration : E. Force). r : rayon de courbure ; n : indice de réfraction.

Figure 10. L’œil : une lentille convergente (illustration : E. Force). r : rayon de courbure ; n : indice de réfraction.

Les milieux internes ainsi que la région antérieure de l’œil sont transparents et ont la particularité de pouvoir concentrer les rayons lumineux en un point précis. En effet, ces structures convergent les rayons lumineux sur la rétine, et possèdent des indices de réfraction différents. Tout d’abord, le principal dioptre oculaire (surface optique séparant deux milieux de réfringence inégale) est la cornée qui assure les 2/3 de la convergence totale des rayons lumineux (fig. 10). Une telle convergence est le fait d’une part de la forme convexe de la cornée et d’autre part de son indice de réfraction égale à 1,376. Par la suite, la lumière traverse la chambre antérieure de l’œil remplie d’humeur aqueuse (indice de réfraction de 1,336). Dès lors, les rayons lumineux passent dans la chambre postérieure de l’œil en traversant d’abord le cristallin. Le cristallin est une lentille convergente amplifiant la convergence des rayons lumineux (indice de réfraction de 1,413) (fig. 10). Enfin, la lumière pénètre l’humeur vitrée (indice de réfraction égale à 1,337). Tous ces milieux transparents de l’œil au repos s’apparentent à une lentille convergente dont les rayons se concentrent en un point situé à 17 mm après la lentille (il s’agit du foyer de l’image) (fig. 10). À l’instar d’un appareil photo, l’image formée sur la rétine sera codée point par point par les récepteurs visuels.

La mise au point, ou le fait d’avoir une image nette sur la rétine, des objets proches comme éloignés peut s’effectuer par une variation de la convergence de la lentille ou de la distance de cette dernière par rapport à la rétine : on parle d’accommodation. Par exemple, chez les Téléostéens, l’accommodation est faite grâce à un déplacement du cristallin sur l’axe optique.

Figure 11. L’accommodation chez les Mammifères (illustration : E. Force). F : foyer de l’image.

Figure 11. L’accommodation chez les Mammifères (illustration : E. Force). F : foyer de l’image.

En revanche chez les Mammifères, l’accommodation s’effectue par une variation de la convergence du cristallin (fig. 11). Celle-ci est permise par l’action des muscles ciliaires. En effet, lorsque l’œil est au repos, les ligaments suspenseurs étirent le cristallin lui donnant alors une forme aplatie et peu convergente. Alors qu’au cours de l’accommodation, la contraction des muscles ciliaires implique le relâchement des ligaments suspenseurs : le cristallin prend une forme bombée et devient plus convergent (fig. 11).

L’œil focalise les rayons lumineux sur la rétine, structure qui se compose de plusieurs couches de cellules dont les cellules photoréceptrices convertissant l’énergie des photons en signaux électriques.

La rétine des Vertébrés, un ensemble de cellules traversé par les rayons lumineux

La rétine des Vertébrés est formée de différentes couches de cellules nerveuses. Ces dernières sont disposées de manière à ce que les rayons lumineux traversent les neurones d’intégration avant d’atteindre les cellules photoréceptrices. En cela, la rétine des Vertébrés est dite inversée.

Figure 12. A : photographie d’une coupe de rétine de poisson (Vertébrés), MO x40 (modifiée d’après P. Labrot) ; B : schéma anatomique de la rétine des Vertébrés (illustration : E. Force).

Figure 12. A : photographie d’une coupe de rétine de poisson (Vertébrés), MO x40 (modifiée d’après P. Labrot) ; B : schéma anatomique de la rétine des Vertébrés (illustration : E. Force).

Les Vertébrés possèdent une rétine qui provient de l’évagination du diencéphale. Ainsi la rétine est constituée de deux feuillets, un premier interne composé d’un tissu nerveux, et un second formé de cellules gliales différenciées en cellules pigmentaires (fig. 12). Ces dernières participent tout d’abord à l’absorption des rayons lumineux ayant franchi d’une part le feuillet interne de la rétine, évitant la réflexion des rayons lumineux, et d’autre part ceux qui ont traversé la boîte crânienne. Puis, les cellules pigmentaires participent au renouvellement des pigments des cellules photoréceptrices.

Au niveau de l’axe optique, une dépression dans l’épaisseur de la rétine est remarquée : il s’agit de la fovéa. Elle correspond à un rejet des neurones d’intégration en direction des régions périphériques de la fovéa. Ainsi les rayons lumineux peuvent atteindre directement les récepteurs sans traverser les autres couches de neurones plus internes. En conséquence, la fovéa minimise les effets de la diffraction et améliore la qualité de l’image se formant en ce point précis de la rétine.

De plus, sur un plan anatomique, un point aveugle est présent sur la rétine et correspond à la région du regroupement des fibres qui forment le nerf optique. Du fait que la rétine soit inversée chez les Vertébrés, les fibres nerveuses sortant de la rétine se prolongent vers l’encéphale en courant sur la surface interne de la rétine. Puis, les fibres nerveuses se concentrent en un point de départ du nerf optique qui franchi la sclérotique et rejoint ensuite le cerveau. En ce dernier point précis, aucune cellule réceptrice n'est présente, d’où l’absence de sensibilité visuelle.

Par ailleurs, la perception visuelle ne résulte pas d’une simple analyse statique de l’image optique sur la rétine. La vision d’un objet demande d’effectuer des mouvements permanents et coordonnés des yeux de quelques millisecondes permettant alors la succession d’une projection de plusieurs points de l’objet sur la fovéa. La vision d’une image globale statique est donc le résultat d’une intégration au niveau du cerveau de plusieurs images partielles différentes des unes des autres.

La transmission et l’intégration du signal lumineux chez les Vertébrés

La transduction du signal lumineux

La transduction des signaux lumineux se produit au niveau des cellules photoréceptrices de la rétine, à savoir les cônes et les bâtonnets. Ce phénomène implique un codage du signal lumineux en variation du potentiel électrique membranaires des cellules photoréceptrices.

Figure 13. Le potentiel récepteur des cellules photoréceptrices et ses variations selon le stimulus lumineux (illustration : E. Force).

Figure 13. Le potentiel récepteur des cellules photoréceptrices et ses variations selon le stimulus lumineux (illustration : E. Force).

À l’obscurité, soit en l’absence de signal lumineux, les cellules photoréceptrices ont un potentiel membranaire d’environ -40 mV. Lors d’un faible éclairement, une hyperpolarisation se produit provoquant alors le passage du potentiel électrique membranaire à environ -70 mV. Ce potentiel est qualifié de potentiel de récepteur (fig. 13). Par ailleurs, l’amplitude de ce dernier est proportionnelle à l’intensité du signal lumineux atteignant la cellule photoréceptrice.

Figure 14. Les cellules photoréceptrices des Vertébrés : bâtonnet (à gauche) et cône (à droite) (illustration : E. Force).

Figure 14. Les cellules photoréceptrices des Vertébrés : bâtonnet (à gauche) et cône (à droite) (illustration : E. Force).

Chez les Vertébrés, les cellules photoréceptrices sont formées de deux segments : un premier interne comprenant les organites indispensables au métabolisme de la cellule (ex. mitochondries), et un second externe constitué d’une succession de replis membranaires pour les cônes ou de saccules individualisés pour les bâtonnets (fig. 14).

Figure 15. Le courant d’obscurité des cellules photoréceptrices (illustration : E. Force).

Figure 15. Le courant d’obscurité des cellules photoréceptrices (illustration : E. Force).

La membrane du segment interne des cellules photoréceptrices porte des ATPases Na+/K+ dépendantes maintenant un flux de sodium et de potassium identique aux autres cellules. En revanche, à la différence des autres cellules de l’organisme, les membranes plasmiques des segments internes et externes sont perméables au sodium à l’obscurité. Alors un courant permanent entrant de Na+ au niveau du segment externe n’est pas compensé par une sortie active de ces mêmes ions (fig. 15). Sachant que le sodium est chargé positivement, un tel courant ionique engendre une dépolarisation des membranes. D’un point de vue purement électrique, les lignes de courant entre les segments externe et interne se bouclent et constituent un courant dit d’obscurité (fig. 15).

Figure 16. Action du GMPc sur les canaux sodium en fonction des conditions lumineuses (illustration : E. Force).

Figure 16. Action du GMPc sur les canaux sodium en fonction des conditions lumineuses (illustration : E. Force).

Plus en détails, l’ouverture des canaux Na+ au niveau du segment externe est engendré par la présence de GMPc (Guanosine MonoPhosphate cyclique) qui se fixe sur ces canaux (fig. 16). Par la suite, lorsqu’un signal lumineux atteint un bâtonnet, l’activation des rhodopsines entraîne l’activation de la transducine, une protéine G située à la membrane des saccules. S’ensuit la dégradation du GMPc en GMP par l’intermédiaire d’une phospho-diestérase (PDE). Ainsi les canaux sodium se ferment, le courant d’obscurité s’interrompt, à l’origine d’une hyperpolarisation membranaire (fig. 16).

En outre, l’activation d’une rhodopsine entraîne l’activation d’environ un millier de PDE. Ceci provoque une chute brutale de la concentration intracellulaire en GMPc et ferme instantanément un très grand nombre de canaux Na+ au niveau du segment externe. Ce phénomène amplifie l’effet originel et explique pourquoi le seuil de sensibilité visuelle (combinaison de plusieurs qualités de stimulation) est faible chez les Vertébrés.

La rétine : premier site de traitement de l’information visuelle

Les informations issus des cellules photoréceptrices sont intégrées par des neurones du système nerveux central, aussi présents au niveau de la rétine. Cette dernière se compose, en plus des cônes et bâtonnets vus précédemment, de cellules participant à l’intégration de l’information comme les cellules bipolaires, horizontales, amacrines et ganglionnaires.

Figure 17. Les connexions synaptiques au sein d’un pédicule de bâtonnet (illustration : E. Force). Flèches violettes : circulation des vésicules synaptiques ; flèches rouges : transfert d’information.

Figure 17. Les connexions synaptiques au sein d’un pédicule de bâtonnet (illustration : E. Force). Flèches violettes : circulation des vésicules synaptiques ; flèches rouges : transfert d’information.

Par ailleurs, ces cellules intégratrices sont étroitement connectées aux cellules photoréceptrices (fig. 17). En effet, les terminaisons synaptiques des bâtonnets et cônes sont typiques et dites « en ruban ». Associées aux rubans (éléments du cytosquelette), des vésicules synaptiques riches en glutamate sont dirigées vers la zone d’exocytose. De plus, les cellules photoréceptrices possèdent des pédicules au sein desquels des invaginations portent les terminaisons synaptiques. Le nombre d’invaginations est dépendant du type du photorécepteur, bien que deux cellules horizontales sont toujours présentes a minima.

Quant à leur rôle intégrateur au sein du pédicule, les cellule horizontales reçoivent des informations provenant directement des cellules photoréceptrices et transmettent l’information à d’autres récepteurs et communiquent réciproquement avec les photorécepteurs (fig. 17). En outre, les cellules bipolaires reçoivent des informations des cellules photoréceptrices mais ne transmettent pas d’informations aux photorécepteurs. Puis, une cellule horizontale et bipolaire ne sont pas exclusive à un seul photorécepteur, mais sont reliés à plusieurs cellules photoréceptrices.

Le champ récepteur et les cellules bipolaires

Figure 18. Réponses des cellules bipolaires des cônes selon le champ récepteur (illustration : E. Force). ddp : différence de potentiel.

Figure 18. Réponses des cellules bipolaires des cônes selon le champ récepteur (illustration : E. Force). ddp : différence de potentiel.

À la suite de la détection d’un signal lumineux au niveau des photorécepteurs, les cellules bipolaires sont ensuite dépolarisées ou hyperpolarisées (fig. 18). En effet, ceci dépend du champ récepteur de ces cellules. Le champ récepteur se définit comme l’espace virtuel sur lequel les cellules connaissent un changement de leur potentiel membranaire au cours d’une stimulation. Ce champ récepteur est de quelques degrés d’angle ou de quelques micromètres de diamètre. Il est également organisé de manière concentrique. Autrement dit, les réponses sont différentes entre la région centrale et la région périphérique du champ récepteur (fig. 18). Les cellules bipolaires dites « ON » répondent par une dépolarisation lorsqu’elles sont situées au centre du champ récepteur et par une hyperpolarisation lorsqu’elles se trouvent à la périphérie. À l’opposé, les cellules bipolaires nommées « OFF » présentent une hyperpolarisation lorsqu’elles se localisent au centre du champ récepteur et une dépolarisation lorsqu’elles se situent en périphérie.

Le codage de l’information en fréquence de potentiels d’action par les cellules ganglionnaires

Figure 19. Réponses des cellules ganglionnaires en fonction du champ récepteur (illustration : E. Force). ddp : différence de potentiel.

Figure 19. Réponses des cellules ganglionnaires en fonction du champ récepteur (illustration : E. Force). ddp : différence de potentiel.

Après une intégration du signal lumineux au niveau des cellules bipolaires, les cellules ganglionnaires à leur tour intègrent les informations reçues par les cellules bipolaires. Tout d’abord au sein des cellules ganglionnaires, et lors d’une stimulation lumineuse, un potentiel générateur se forme suivi de potentiels d’action (fig. 19).

Comme pour les cellules bipolaires, les cellules ganglionnaires ne présentent par les mêmes réponses en fonction du champ récepteur (fig. 19). Cette réponse se caractérise par une variation de la fréquence de potentiels d’action. Les cellules ganglionnaires connaissant une augmentation de la fréquence des potentiels d’action au centre du champ récepteur et une inhibition des cellules ganglionnaire en périphérie sont dites « centre ON ». Alors que les cellules ganglionnaires « centre OFF » présentent une inhibition lorsqu’elles se localisent au centre du champ récepteur et une augmentation de la fréquence des potentiels d’action lorsqu’elles se situent en périphérie.

Plus généralement dans la rétine, les cônes sont connectés à des cellules bipolaires ON ou OFF, elles-mêmes reliées à des cellules ganglionnaires centre ON ou centre OFF (fig. 19). En revanche, les bâtonnets sont associés à des cellules bipolaires spécifiques appelées cellules bipolaires des bâtonnets. L’information est par la suite communiquée aux cellules amacrines puis aux cellules bipolaires ON ou OFF des cônes et pour finir aux cellules ganglionnaires centre ON ou centre OFF. Une telle connexion augmente la sensibilité du système, notamment lors d’une faible luminosité, puisqu’une seule cellule ganglionnaire reçoit toutes les informations émises par 1 000 bâtonnets.

Dès lors, toutes les informations issues des cellules ganglionnaires passent par le nerf optique et sont intégrées à différents niveaux du système nerveux central.

Le cortex visuel et le traitement de l’information

Figure 20. Organisation des voies de projection visuelles (illustration : E. Force).

Figure 20. Organisation des voies de projection visuelles (illustration : E. Force).

Indépendamment du niveau considéré, une organisation topique des projections visuelles existe. En effet, toutes cellules anatomiquement proches intègrent des informations issues de régions de l’espace visuel géographiquement proches. Plus particulièrement chez les Mammifères, les fibres nerveuses conduisant les informations de l’hémichamp visuel gauche atteignent l’hémi-encéphale droit. Réciproquement, les fibres nerveuses de l’hémichamp visuel droit se projettent dans l’hémi-encéphale gauche (fig. 20). Par ailleurs, le croisement total des informations visuelles s’effectue grâce à une croisement partiel des fibres nerveuses au niveau du chiasma optique. De ce fait, chaque centre supérieur, les corps genouillés du thalamus, reçoit des informations provenant de l’hémichamp visuel situé du côté opposé, aussi dit controlatéral, et issues des deux yeux (fig. 20).

Ensuite, les informations visuelles transitent vers le cortex visuel primaire. Ce dernier se compose de l’aire visuelle primaire, subdivisée en six couches cellulaires superposées. La majeure partie des projections arrivent au niveau de la couche 4 de l’aire visuelle primaire. Ici, les neurones de cette couche possèdent un champ récepteur circulaire concentrique similaire à ceux des cellules bipolaires et ganglionnaires de la rétine. Les neurones de la couche 4 sont alors des relais de l’information venant des centres supérieurs du thalamus.

Figure 21. A : champ récepteur d’une cellule simple, somme des champs récepteurs de centaines de cellule de la couche 4 ; B : variation de l’activité électrique d’une cellule simple en fonction de l’orientation d’un stimulus allongé (illustrations : E. Force).

Figure 21. A : champ récepteur d’une cellule simple, somme des champs récepteurs de centaines de cellule de la couche 4 ; B : variation de l’activité électrique d’une cellule simple en fonction de l’orientation d’un stimulus allongé (illustrations : E. Force).

En outre, les neurones de la couche 4 projettent vers d’autres neurones du cortex visuel primaire aux propriétés différentes, les cellules « simples » (fig. 21A). Ces dernières forment le premier niveau d’intégration centrale. Les champs récepteurs des cellules simples sont allongés (du fait de la convergence de plusieurs cellules de la couche 4 vers une seule cellule simple), conférant une sensibilité au stimulus orienté dans l’espace visuel (fig. 21B). Ces cellules sont donc des détecteurs d’orientation. Puis, d’autres cellules du cortex visuel possèdent des spécificités : la succession de phénomènes intégrateurs mène à un traitement séquentiel de l’information visuelle. Ce traitement séquentiel est plus précisément conjoint à un traitement parallèle de l’information visuelle. En effet, plusieurs neurones traitent simultanément la même information.

Figure 22. Une hypercolonne : association de l’ensemble des colonnes d’orientation et des colonnes de dominance oculaire (illustration : E. Force, modifiée d’après Behnke, 2003).

Figure 22. Une hypercolonne : association de l’ensemble des colonnes d’orientation et des colonnes de dominance oculaire (illustration : E. Force, modifiée d’après Behnke, 2003).

Par ailleurs dans le cortex visuel, au sein d’une même colonne de neurones de quelques dizaines de micromètres de diamètre, les cellules simples positionnées perpendiculairement à la surface du cortex possèdent un champ récepteur d’orientation préférentielle identique (angle compris entre 0 et 180°) : ceci constitue une colonne d’orientation (fig. 22). À côté des colonnes d’orientation, d’autres cellules du cortex visuel sont organisées en colonne dite de dominance oculaire en fonction de leur réponse préférentielle à un des deux yeux (œil controlatéral ou ipsilatéral).

En somme, le cortex visuel se compose d’une multitude de colonnes d’orientation et de colonnes de dominance oculaire. Un volume élémentaire du cortex visuel, appelé hypercolonne, est formé de toutes les colonnes d’orientation couvrant les angles d’orientation compris entre 0 et 180°, ainsi que de toutes les colonnes de dominance oculaire possibles (fig. 22). Une hypercolonne regroupe environ 50 000 neurones. De plus, elle est interrompue par des neurones spécifiques au traitement des couleurs : il s’agit d’une tache (fig. 22).

 

Pour finir, la raison pour laquelle actuellement la physiologie de la vision occupe une place importante dans tous les champs thématiques de la physiologie sensorielle serait le fait que l’univers sensoriel est pour bonne partie visuel. Depuis 1930, année de l’identification de la vitamine A au sein de la rétine par George Wald, et de l’acquisition des premiers enregistrements électrophysiologiques de l’activité cellulaire de l’œil, menés chez la Limule par Keffer Hartine, une nouvelle discipline scientifique traitant de la vision a émergée. Le développement de cette dernière a pris un coup d’accélérateur à partir de 1953 lorsque Horace Barlow a constaté, suite à l’étude des propriétés fonctionnelles des cellules ganglionnaires de la rétine de Grenouille, qu’il était possible de conclure que certaines cellules ganglionnaires fonctionnaient comme des « détecteurs de mouches » ; alors que Stephen Kuffler initia l’analyse systématique des propriétés des champs récepteurs des cellules du système visuel, quelques années plus tard, deux de ces élèves David Hubel et Torsten Wiesel ont poursuivi ces travaux. Finalement, toutes les recherches menées pour éclaircir les connaissances sur la vision des animaux se sont faites autour de questionnements fondamentaux que nous avons essayé de traiter au cours de cet article à savoir comment la lumière engendre-t-elle une activité du système nerveux, quels sont les mécanismes physico-chimique à l’origine et comment un organisme avec un œil peut-il capter, élaborer et répondre aux informations visuelles parvenant de son environnement ?

 

Bibliographie et sitographie

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